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Sonderkommando Birkenau 1944 – Thessalonique 1947 Résurgence »
Marcel Nadjary, traduit du grec par
Loïc Marcou. Éditions Artulis, Pierrette Turlais & les Éditions Signes et balises.
Voici l'oeuvre perpétuelle, ultime, la prononciation du devoir, l'hommage invincible pour
Marcel Nadjary (1917 – 1971), juif grec de Thessalonique.
Sonderkommando, lorsque la vie s'arrête. L'humanité étranglée par l'incommensurable. Un homme épris de loyauté, de bravoure, déporté à
Auschwitz – Birkenau au printemps 1944.
Le bandeau noir sur ce livre bleu-nuit, dont la couverture de Samis Taboh (Nostalgie) inspire au sanglot long.
Marcel Nadjary qui pressentait sa mort certaine a écrit une lettre en novembre 1944, enroulée dans une bouteille hermétique et protégée dans une sacoche en cuir « aux abords du crématoire III de Birkenau ».
Retrouvée en 1980, neuf ans après sa mort, il ne saura jamais sa résurgence. Elle est ici. Dans le tremblant de ce livre qui rassemble l'épars. le temps gris et hivernal, filigrane d'une oeuvre inestimable et signataire du devoir de mémoire. Cette lettre est le bouleversant documentaire, douze feuillets à peine lisibles. Mais c'est sans compter sur la ténacité des érudits historiens. Elle est conservée au musée d'état d'
Auschwitz – Birkenau. Il remet d'équerre ce qui fut de ces camps de la mort. Testament irrévocable et foudroyant. « Le fouet à la main les Allemands les forçaient à se presser pour en entasser le plus possible, une véritable boîte à sardines d'êtres humains, puis ils fermaient la porte hermétiquement ».
Il écrit l'horreur, il somme l'exutoire, de ce qu'il a fait :
Sonderkommando, la plus douloureuse des tortures. Pressentir qu'il sera fusillé en dernier ou anéanti par le gaz.
Pousser son frère en humanité, ses coreligionnaires. « Si quelqu'un demande de mes nouvelles dites que je n'existe plus ».
Lettre ultime, implorer le pardon pour lui-même, dénoncer la bête immonde, le SS.
Lire en 2023 cette missive, c'est encore apprendre à se méfier pour demain. C'est démontrer que l'homme est un loup pour l'homme. (
Thomas Hobbes). C'est implorer, plus jamais. C'est aimer le mot Juif encore plus fort. Acter la résistance et abolir ce paroxysme de folie et de haine. Trente-six ans de silence, une lettre inondée de terre et de sang avant sa venue dans un monde où persistent les relents d'antisémitisme. Cette lettre devrait être lue à la jeunesse, à d'aucuns et à tous. Nous.
Le deuxième récit de Marcel Nadjary est son témoignage rédigé en 1947. Journal et sceau pour l'humanité. Ce manuscrit est une preuve.
Marcel Nadjary crie l'horreur, le génocide, le meurtre de masse. « Si l'un de nous parvenait à sortir vivant de là, il pourrait témoigner ».
L'hiver glacial, la faim et le pain moisi, jeté en pâture, les coups et les vulnérabilités, les souffrances effroyables, les tortures, les fours crématoires, les hommes, les femmes et enfants qui tombent comme des mouches, plus qu'un seul corps. «
Marcel Nadjary, combattant, résistant et rescapé de l'ultime étape du génocide, est donc l'un des rares humains à être entré en enfer, à en être sorti et à l'avoir décrit ; un enfer sur la terre réservé presque exclusivement aux juifs ». Il n'aurait pas dû survivre. Les «
Sonderkommandos », derniers témoins. le silence sur les cendres, taches sur la neige, ou bien jetées dans la Vistule, four crématoire de l'immonde. Cet homme à la mise à mort promise, Juif grec, dans un
Auschwitz -Birkenau où l'on a retrouvé « Le rouleau d'
Auschwitz ». Un rouage de la machine d'extermination nazie : Soderfo.
La dimension collective, universelle, des vérités révoltantes, les traces indélébiles, cicatrices sur l'âme et la peau. Il dépose l'ultime acte de résistance au fronton de la mémoire, pour toujours. «
Auschwitz était une planète, un monde à part, alors chacun de ces camps était un continent en soi, séparé des autres par d'infranchissables montagnes de barbelés, qui constituaient autant de « terrae incognitae » pour les prisonniers ». « L'ère du témoin ».
Comme l'exprime le traducteur perfectionniste et érudit :
Loïc Marcou, « En effet, loin de se limiter à sa langue nationale, le «
Sonderkommando » grec déploie tout un éventail linguistique dans ses deux manuscrits. S'il utilise souvent la « Lagersprache » - ce langage des camps, constitué à la fois de mots allemands et de termes d'autres langues, reflet de la diversité des groupes ethniques déportés à
Auschwitz – il tire aussi parti des deux autres idiomes qu'il maîtrise en sa qualité de Juif sépharade ayant grandi dans la Thessalonique de l'entre-deux-guerres : le judéo-espagnol – la langue des Juifs chassés de la péninsule Ibérique à partir de la fin du XVe siècle, encore très vivace dans la « Jérusalem des Balkans » avant la « solution finale » - et le français – la lingua franca de la bourgeoisie commerçante juive thessalonicienne à laquelle il appartenait ».
Il aura acté plus que la vérité : le paroxysme de la finitude. 1.400.000 , le nombre d'être humains assassinés à
Auschwitz, « dans ce nadir de la condition humaine ».
Des textes de
Serge Klarsfeld, Alberto Nadjary, Fragiski Ampatzopoulou,
Georges Didi-Huberman,
Tal Bruttmann,
Loïc Marcou et Andreas Kilian « accompagnent et éclairent ces deux documents exceptionnels ».
Prenez soin des annexes en pages finales, elles sont la source du Savoir et la démonstration fabuleuse d'un travail de recherches colossales.