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Critique de Darjeelingdo


«  Nous aurions dû savoir que la fin était proche. Comment se fait-il que nous ne l'ayons pas su ? Lorsqu'il s'est mis à pleuvoir de l'acide et que l'eau des rivières est devenue verte, nous aurions dû savoir que, bientôt, notre terre serait morte. En même temps, comment l'aurions-nous su alors qu'ils ne voulaient pas que nous le sachions ? [...] Ils nous ont dit que nous devions leur faire confiance. »


Dès les premières lignes du roman, le cadre est donné : « Nous » , ce sont les habitants du petit village (fictif) de Kosawa, en Afrique de l'Ouest. « Ils », ce sont les dirigeants du groupe pétrolier américain Pexton qui exploite depuis trois décennies les terres jouxtant le village, polluant allègrement l'air, le sol, le fleuve et l'eau du puits. Pexton a promis « civilisation et prospérité » , elle n'a apporté que désolation, empoisonnement et morts à petit feu.

Dans ce pays qui n'est jamais nommé , où « son Excellence », le Président du pays (un homme portant un « chapeau en peau de léopard incliné sur la droite » ) a bradé les terres et s'est rempli les poches, un village meurt dans l'indifférence générale ou presque.


Fausses négociations et fausses promesses pour endormir la révolte qui gronde.... Confiants en leurs droits et en la justice, les habitants tentent de sauver leurs terres et leurs enfants . Mais peut-on combattre le capitalisme allié à un état corrompu sans avoir recours à la violence ?


Thula qui a grandi dans ce village, a vu mourir certains de ses camarades et vu son père puis son oncle porter en vain les revendications, a eu l'opportunité de partir étudier aux États-Unis. Elle y forge son expérience militante auprès des différents mouvements de contestation sociale puis revient au pays mener le combat contre l'injustice et la corruption car «  je serai toujours l'une d'entre nous » écrit-elle à ses amis d'enfance.
Elle est l'une des voix de ce roman polyphonique , à côté de sa grand-mère Yaya , mémoire de son peuple, et de son jeune frère Juba tiraillé entre ses idéaux et son pragmatisme. Et puis il y a « Les enfants », comme le choeur d'une tragédie antique fait avancer le récit et le conclue.


Fable politique tout autant que roman, c'est la triste histoire de pays qui ont successivement subi la traite et l'esclavage , puis la colonisation et ses abus et qui souffrent aujourd'hui de la corruption de ses gouvernants et d'une forme de colonialisme économique dans laquelle le profit et la rentabilité passent bien avant le bien-être des populations.

On oscille entre révolte devant tant d'hypocrisie et de malheurs, et admiration devant la pudeur et la dignité de ces familles qui puisent dans leurs croyances et valeurs ancestrales la force de résister.


Un livre puissant sur ceux que Frantz Fanon appelait «  les Damnés de la terre » , qui rappelle en passant que les problèmes de ces pays viennent aussi de leur découpage arbitraire post colonial :
« Nous formons un agrégat de tribus sans rêve commun . Notre pays a été construit de force sur des sables mouvants qui, aujourd'hui, s'effondrent de l'intérieur. »


Même si je l'aurais aimé un peu plus resserré, ce 2ème roman de l'auteure americano-camerounaise Imbolo Mbue ne peut laisser indifférent.


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