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Critique de jphial


Laurent Mauvignier nous embarque dans un terrifiant et foisonnant "Voyage autour du monde". le tsunami qui frappa le Japon en mars 2011 est aussi bien le point de départ que la destination finale du roman. C'est aussi le fil directeur de toutes les histoires qui se succèdent sur 400 pages : les personnages apprennent la tragédie qui vient de se produire en écoutant la télévision ou la radio. Mauvignier nous entraîne aux quatre coins du globe, en partance pour un long voyage qui fera se succéder 14 micro-histoires, comme autant d'escales. Elles n'ont aucun rapport entre elles, si ce n'est qu'elles mettent en scène des gens qui voyagent, que ce soit pour le travail ou pour le plaisir.

Au tsunami originel s'ajoutent d'autres drames. Simultanément a lieu une explosion kamikaze à Tel-Aviv, en même temps que se télescope dans la tête de Luli le souvenir d'une catastrophe plus ancienne, celui de l'extermination des juifs par les nazis. Ces trois événements convergent comme les trois plaques tectoniques qui ont déclenché le tsunami. le chaos n'est pas seulement extérieur. Quelque chose craque dans le monde et en même temps dans la vie des personnages, si bien que Luli "ne comprend pas ce qui la sidère le plus de sa journée vécue ou de ce qu'elle voit à la télévision, ou les deux, la conjonction des deux". Mauvignier donne à voir par bribes la violence à laquelle les hommes sont confrontés. Il met en avant leur petitesse et leur impuissance face aux forces de la nature, au risque des attentats, face à leurs semblables ou à eux-mêmes. Chaque histoire submerge le lecteur comme une gigantesque vague qui le heurte de plein fouet. On ne ressort pas indemne d'une telle lecture.

Mauvignier nous invite à plonger dans "ce grand corps grouillant qu'est le monde globalisé", un monde où tout circule à toute vitesse : les personnes, les services, les techniques, l'information. Mais la surmédiatisation du tsunami ne rencontre parfois que l'indifférence. Luli laisse ainsi défiler les images du journal télévisé sans y prêter attention. Les touristes se croisent "dans ce monde où tout un chacun semble être un voyageur permanent", sans se connaître. Syafiq, ingénieur, "travaille à ce que les réseaux s'interconnectent, qu'ils se fluidifient, se rencontrent, échangent plus vite encore sur des autoroutes et des ponts qui abolissent les distances". L'impression de flux continu est accentuée par la structure du roman. Les 14 histoires s'enchaînent sans pause, sans chapitrage, au moyen de transitions évoquant le procédé cinématographique du fondu-enchaîné : les récits se superposent et l'on passe d'un personnage à l'autre, d'une situation à l'autre, sans frontière. Mauvignier a l'art de nous immerger rapidement dans une nouvelle intrigue. Quelques mots suffisent à créer une nouvelle ambiance, à nous donner accès à l'intériorité d'un nouveau personnage. Les phrases se font tantôt brèves, tantôt amples, au rythme des situations et du caractère des personnages. Cette suite ininterrompue d'enchaînements est rendue infinie par la construction narrative circulaire, la fin nous faisant revenir au point de départ, au tsunami. Ainsi rien ne se termine, tout continue.

Le souffle romanesque est puissant. Et pourtant. Pourtant je n'ai pas été transportée, bien au contraire. Tous les personnages sont d'une affligeante banalité et se ressemblent par leur médiocrité, "comme si la médiocrité [de chacun d'eux] révélait l'essence de quelque chose dont il serait un exemplaire parfait à défaut d'être unique". Les personnages sont quasiment interchangeables. On ressent une impression d'uniformisation des sentiments, des vies. Les individualités s'effacent, à tel point que l'on ne se souvient plus guère des noms des personnages après avoir refermé le livre. Dans cette succession de vies standardisées, on gagne une croisière en grattant un ticket de supermarché et on admire la mer du haut de son paquebot, derrière une grande baie vitrée. On ingurgite la nourriture d'un Mac Donald's "comme [on] pourrait le faire partout dans le monde". Les jeunes "ont décidément partout [la même tenue] : un iphone, des rollers, des jeans et des nikes"... Un sentiment d'écoeurement s'installe peu à peu. La nausée du voyage en mer houleuse, sans doute.

Tous ces personnages aux âges, sexes, origines, métiers variés sont tellement seuls ! Et si tristes. Avec leur téléphone qui ne sonne pas, leurs amis qui n'en sont pas vraiment et leur égoïsme qui les empêche de faire attention aux autres. "Chacun semble ignorer l'autre, pris dans sa propre solitude, enfermé dans sa propre angoisse". Ils gagnent une croisière, nagent avec les dauphins, séjournent dans un hôtel de luxe, projettent une soirée au Casino, mais ils ont "l'air toujours tellement... insatisfaits". Leurs plaisirs sont artificiels et illusoires : ils ont la "sensation d'avoir l'univers à disposition" parce qu'ils viennent d'installer l'application google sky sur leur iphone. S'accumulent services, marchandises, voyages, luxe... à en vomir. Il faudrait à cette humanité déshumanisée "une bouteille pour se remettre - non pas de ses émotions, mais de leur absence".

Bref, je comprends parfaitement où Mauvignier veut en venir, mais le regard qu'il porte sur l'humanité est trop amer, trop désabusé pour que j'adhère pleinement à son récit. Aucune lueur d'espoir et de foi en la capacité de l'homme à créer, malgré tout, des liens solides, sincères, désintéressés, humains. Si bien que je ne me suis guère attachée aux personnages. Je n'ai éprouvé ni admiration, ni empathie, ni compassion à leur égard.

L'homme serait-il réellement voué à se laisser engloutir par un tsunami de nouvelles technologies, d'objets toujours plus sophistiqués, d'internationalisation des échanges, du travail et des loisirs ? Serait-il exclusivement voué à la superficialité, à l'égocentrisme et finalement à la solitude et à la souffrance ?
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