Les petits matins font les grandes tristesses. L’aube bleu poussière échancre le ciel au-dessus de Paris. La Seine suit son cours et se donne à la mer. Dans l’ombre bleue du Weber ou au bar de la Paix, Toulet, loup famélique, déplie sa silhouette aiguë. Il prend congé de son « amie la nuit ». Debussy est rentré depuis longtemps retrouver sa femme et ses arpèges ; Curnonsky a suivi une dame de chez Maxim. Dehors il fait un froid de fin du monde. Pour avoir envie de chanter, il faut être un oiseau. Ou un poète. La Concorde est toujours là. L’obélisque éventre la coque de la nuit, se dresse à la proue des heures, vestige de victoires très anciennes dont le nom n’est plus qu’un souvenir.
Ce n’est plus la nuit. Et ce n’est pas le jour. Un scarabée géant et modern style s’est posé sur la ville ; c’est le dôme du Grand Palais. Là-bas la tour Eiffel enjambe les maisons. Et dans le ciel de Paris, dans le ciel qui pâlit surgissent alors les fastes étranges d’une Atlantide noyée de gin. C’est l’heure incertaine des filles perdues et du temps retrouvé. p 12-13
En automne (en 1915), Toulet séjourne deux mois chez un ami, en Avignon.
(…) Sans doute met-il à profit sa villégiature dans la cité des papes pour se rendre en Arles, et se promener dans le jardin des Alyscamps… Il ne sait pas encore que son chef d’oeuvre l’y attend.
C’est une de ces belles journées, chaude encore, comme il y en a dans le Sud en novembre. Le ciel est bleu. L’odeur des roses, celle des cyprès se mêlent parmi les tombes. Là, Toulet éprouve cette « cauteleuse douceur de vivre » qui vous étreint par une trop belle après-midi (…) il ressent comme jamais « cette espèce d’insécurité, de fêlure qui se mêle à tout » et conjugue au même temps l’aise et le malaise. Ce sentiment étrange, indéfinissable, il va le dire en quelques mots.
Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd,
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes.
p 321
Dans son roman "Les Tendres Ménages" (1904), Toulet rebaptise le Palace-Hôtel le Léviathan :
"Le bar du Léviathan est dans le sous-sol. Il semble d'abord qu'on aille visiter les égouts ; et, quand on y est, c'est comme un paquebot énorme d'acajou et de cuir, qui se serait enlisé là solidement. Tout y est démesuré d'aspect, massif, confortable ; et les gens qu'on y voit boire ont l'air, en plus moderne, des compagnons d'Ulysse dans la caverne de Polyphème. Mais ce bon géant n'y est pas à cette heure-ci, ni lui ni personne, ou presque. Derrière son comptoir, qui ressemble un peu à un monument mégalithique, le barman en smoking blanc somnole ; et, seul, à quelques kilomètres dans la direction du billard, un monsieur joue aux dominos avec une personne en robe princesse. De temps en temps, il jure ; et elle alors, en bombant sa gorge, fait éclater les facettes d'un rire aride et étincelant."
A l'Elysée-Palace, Toulet se lie avec de jeunes écrivains : Jacques Boulenger, Emile Henriot viennent assez souvent. Il vient aussi des femmes. Poudrées d'électricité, avec leurs yeux immenses et leurs robes découpées dans la nuit, elles donnent au noctambule une leçon de ténèbres, et d'amertume. p 229-230
Peut-être cette contrerime a-t-elle été écrite pour Yvonne Vernon, égérie 1900 dont il a été l'amant :
Toute allégresse a son défaut
Et se brise elle-même.
Si vous voulez que je vous aime,
Ne riez pas trop haut
C'est à voix basse qu'on enchante,
Sous la cendre d'hiver
Ce coeur, pareil au feu couvert,
Qui se consume et chante.
p 277-278
En Arles
Dans Arle, où sont les Aliscans,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses,
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c'est d'amour,
Au bord des tombes
(Paul Jean Toulet - Contrerimes)
Attention !!! Nouvel horaire pour l'émission "Le coup de coeur des libraires" sur les Ondes de Sud Radio. Valérie Expert et Gérard Collard vous donnent rendez-vous chaque samedi à 14h00 pour vous faire découvrir leurs passions du moment !
•
Retrouvez leurs dernières sélections de livres ici !
•
•
•
Peindre la pluie en couleurs de Aurélie Tramier aux éditios Livre de Poche
https://www.lagriffenoire.com/peindre-la-pluie-en-couleurs.html
•
Bien-Aimée de Aurélie Tramier aux éditions Hachette Fiction
https://www.lagriffenoire.com/bien-aimee.html
•
L'art de "trumper": Ou comment la politique de Donald Trump a contaminé le monde de Anne Toulouse aux éditions du Rocher
https://www.lagriffenoire.com/l-art-de-trumper-ou-comment-la-politique-de-donald-trump-a-contamine-le-monde.html
•
La Maison aux sortilèges de Emilia Hart et Alice Delarbre aux éditions Les Escales
https://www.lagriffenoire.com/la-maison-aux-sortileges.html
•
Une femme debout de Catherine Bardon aux éditions Les Escales
https://www.lagriffenoire.com/une-femme-debout.html
•
La Fille de l'ogre de Catherine Bardon aux éditions Pocket
https://www.lagriffenoire.com/la-fille-de-l-ogre-1.html
•
Les Déracinés de Catherine Bardon aux éditions Pocket
https://www.lagriffenoire.com/les-deracines.html
•
Les filles peuvent le faire aussi / Les garçons peuvent le faire aussi de Sophie Gourion et Isabelle Maroger aux éditions Gründ Jeunesse
https://www.lagriffenoire.com/les-filles-peuvent-le-faire-aussi-les-garcons-peuvent-le-faire-aussi.html
•
L'Inconnue du portrait de Camille de Peretti aux éditions Calmann-Lévy
https://www.lagriffenoire.com/l-inconnue-du-portrait.html
•
Melody de Martin Suter aux éditions Phébus
https://www.lagriffenoire.com/melody.html
•
Pour que chantent les montagnes de Phan Que Mai Nguyen aux éditions Points
https://www.lagriffenoire.com/pour-que-chantent-les-montagnes-1.html
•
Là où fleurissent les cendres de Nguyen Phan Que Mai et Sarah Tardy aux éditions Charleston
https://www.lagriffenoire.com/la-ou-fleurissent-les-cendres.html
•
Parler sexe: Comment informer nos ados de Israël Nisand aux éditions Grasset
https://www.lagriffenoire.com/parler-sexe-comment-informer-nos-ados.html
•
le prisonnier de B.A. Paris aux éditions Hugo Thriller
https://www.lagriffenoire.com/prisonniere-2.html
•
Neil Armstrong et Iouri Gagarine: Deux vies, un rêve de
+ Lire la suite