Sixième mois à Tour-Soleil
Aujourd'hui, une tuile, ou plutôt une cheminée d'usine m'est tombée sur le crâne. J'en suis encore bouleversée, aussi je préfère t'écrire plutôt que de me contenter de nos brèves conversations visiophoniques.
Ce matin, j'ai été convoquée à la comptabilité de la Tour. Un problème urgent à régler. Là, j'ai appris que mes multiples abonnements ajoutés à mon train de vie dépassaient nettement mon salaire. Trop de robes neuves, trop de réceptions, trop de bijoux, trop de raffinements multiples. J'ai étudié avec une spécialiste de la gestion des budgets quelle solution apporter. Mon train de vie, je ne veux pas le réduire. Impossible. Je suis tout le temps invitée et il me faut des toilettes. Et il faut que j'invite aussi. Mon interlocutrice le comprenait très bien. Elle a le même problème. Elle a convenu aussi que je ne peux supprimer aucun abonnement. Je n'ai pas le temps d'aller faire mes courses moi-même, pas le temps de préparer des repas. D'ailleurs je ne saurais plus. Pas le temps non plus de m'occuper de mon linge, de mes vêtements. Ou alors, il me faut cesser d'aller au manège, ou à la piscine... Et puis, dans la Tour, tout cela est très difficile, beaucoup plus qu'à l'extérieur. Je t'en ai donné des exemples. Cependant, mes dettes sont astronomiques. J'ai demandé pourquoi on ne m'avait pas alertée plus tôt, mais il paraît qu'on laisse toujours six mois aux gens pour s'adapter et se rendre compte de leurs réelles possibilités. Or, en six mois on accumule pas mal de dettes. Comme je ne veux pas réduire mes frais, je n'ai donc qu'une solution : faire des heures supplémentaires. J'apprends alors que c'est courant. La plupart des habitants de la Tour sont criblés de dettes. Ils remboursent, avec des intérêts importants naturellement, mais comme cela s'étale sur de nombreuses années, finalement, on ne s'en aperçoit guère.
Extrait de « Tour soleil » de Christine Renard