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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

*** Rentrée littéraire #15 ***

Il est rare qu'un premier roman percute le lecteur d'un uppercut aussi dévastateur, le laissant K.O après 560 pages d'une noirceur absolue tout en ouvrant une réflexion profonde sur l'Amérique post 11 septembre 2001.

Après un incipit implacable et désenchanté en forme de défilé funéraire ( celui d'un jeune soldat tué en Irak ), Stephen Markley plonge son récit dix ans après dans la ville fictive de New Canaan, Midwest, Ohio, conçue comme un microcosme emblématique de la décadence du pays. Quatre personnages principaux, bientôt trentenaires, anciens amis au lycée, y reviennent une même nuit, animés par des motivations très différentes.

Quatre chapitres, un pour pour chacun, dressant leur portrait de façon terriblement précise : il y a Bill, le révolté épris de justice sociale, ultra politisé et désormais junkie qui doit livrer un mystérieux colis ; Stacey, l'ex ado maladroite et chrétienne qui a réussi ses études, enfin prête à affirmer sans honte son homosexualité, revenu enquêter sur la disparition d'une ex petite amie qui a compté ; Dan, le plus touchant, ancien lycéen timide et intello, vétéran de l'Irak où il a perdu son oeil, il veut retrouver son premier amour ; et Tina, la belle nana du lycée devenue caissière chez Wal Mart, en quête de vengeance. Autour de ces quatre-là gravitent une bonne vingtaine de personnages secondaires. Cela pourrait être des stéréotypes et pourtant non, on sent rapidement toute l'épaisseur psychologique qui les enveloppe.

Il est également rare qu'un premier roman soit aussi riche dans sa construction. Les quatre récits se déroulent tous sur une même période, 12 heures d'environ, et entremêlent au présent des flashbacks de la période lycée. le lecteur est témoin de cette nuit à partir de perspectives distinctes et parfois contradictoires. Des fils sont laissés en suspens puis repris dans un chapitre suivant, des détails occasionnels prennent soudainement une signification nouvelle et surprenante. le procédé est classique mais là, il est incroyablement bien maitrisé : des secrets sont révélés, des trahisons dévoilées, des choix terribles à assumer, jusqu'à la déflagration finale qui explose lorsque tous les événements présentés, passé et présent, finissent par s'interconnecter.

Il est tout aussi rare qu'un premier roman affiche aussi haut ses ambitions : sonder à la fois les tréfonds de la condition humaine et tenter d'expliquer l'histoire politico-sociale d'un pays. L'auteur se pose en quasi moraliste et on sent bien à quel point le choix de son casting et des trajectoires diverses qu'il offrent est un arsenal pour dézinguer l'accélération de la dégénérescence de l'Amérique post 11 septembre : hypocrisie de la religion, homophobie latente, violences sexuelles, récession économiques, guerres impérialistes, ravages de la toxicomanie ... oui il y en a beaucoup et parfois trop car l'auteur est déterminé à écrire des pages à la puissance explosive pour étayer sa thèse. Ce systématisme alourdit parfois son propos mais n'enlève en rien son acuité.

Finalement, c'est sur un autre terrain, plus intimiste, que j'ai trouvé cet Ohio le plus convaincant : lorsqu'il évoque la persistance et la modification de la mémoire au cours d'une vie à partir de la période fondatrice et brutale de l'adolescence. Chaque page évoquant un fait présent semble appuyer sur un piston qui réactive un souvenir, bon ou mauvais. Et c'est très fort de voir ces personnages se débattre avec leur vécu d'adolescent, ruminant leur échec adulte alors qu'ils pensaient conquérir le monde, tentant d'étouffer des reflux douloureux en les requalifiant sans vraiment parvenir à tromper leur conscience. Et pourtant, dans cet océan de colère et de désillusion, ils cherchent malgré tout la petite lumière venue de leurs jeunes années qui pourraient leur apporter la rédemption.

Un premier roman au lance-flamme, à la force de conviction dévastatrice. Indubitablement marquant. Terriblement sombre.

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Un roman américain pur jus. Mais qu'est-ce qui caractérise tant la littérature américaine, au point de savoir que c'en est même si on devait me cacher le titre et l'auteur ? A l'aune de ma (toute) petite expérience en la matière, je dirais que les ingrédients sont souvent les suivants (et, amis Babeliotes, vous pourrez compléter cette liste non exhaustive, ou la nuancer, le débat est ouvert) :

- Une construction astucieuse, oscillant par exemple entre présent et passé, en aller retour s'enrichissant l'un l'autre ;
- Un ensemble de personnages dont la psychologie est analysée finement et profondément ; Loin des stéréotypes, les personnages sont souvent enveloppés d'une épaisseur psychologique qui nous aide à les aimer, du moins véritablement à les comprendre ;
- Une dénonciation franche, argumentée et acerbe, parfois jubilatoire, des grands maux de la société, et notamment de la société américaine ;
- Une part belle accordée à la nature, aux paysages, aux grands espaces, souvent décrits de façon poétique, voire hallucinée, dans cet ensemble de psychologie et de dénonciation, les paysages semblent être l'élément immuable et salvateur. Certains auteurs en font d'ailleurs l'élément central de leur livre, un personnage à part entière, présence de feu et de grâce (Nature writing).
- La présence de dualités irrésolues, non manichéennes : la violence des villes face à la sauvagerie des grands espaces, La laideur des villes moyennes face à l'inquiétante beauté de la nature, les traditions un peu kitsch face à la modernité déprimante, la supériorité condescendante des cow boys face à la violence sans pitié des indiens, le patriotisme des républicains face aux espoirs vains des démocrates…

Alors que l'épure de la littérature asiatique me comble de sérénité, que la subtilité poétique de la littérature des pays de l'est m'enveloppe dans ses mystères, que la mélancolie de la littérature portugaise parle avec émotion à mes racines, alors que la grandiloquence de la littérature russe me fortifie, la richesse foisonnante de la littérature américaine me nourrit. Et ce premier roman de Stephen Markley ne fait pas exception. Roboratif, il l'est et m'est d'avis qu'il restera dans les annales des grands livres de la littérature américaine.

Ce livre débute par l'enterrement de Rick, jeune soldat mort aux combats en Irak , incipit funèbre, puis donne la parole à quatre personnages ayant côtoyé Rick durant le lycée, quatre anciens amis qui n'ont pas voulu ou n'ont pas pu assister au défilé funéraire, et qui reviennent, au début de la trentaine, à New Canaan, ville fictive du Midwest, dans l'Ohio, ville emblématique de la décadence du pays. Un long chapitre précis est consacré à chacun, occasion pour eux de s'exprimer, de dénoncer l'Amérique post 11 septembre 2001, en aller-retour subtil entre passé et présent.
On trouve Bill, politisé, épris de justice, complètement drogué qui doit livrer un mystérieux colis ; Stacey qui a toujours eu du mal avec son homosexualité du fait de son éducation catholique ,prête désormais à l'assumer et qui recherche des traces de son ancienne petite amie, Lisa ; le timide Dan, vétéran de l'Irak où il a perdu un oeil et qui veut retrouver Hayley, son premier amour ; et enfin Tina, la belle nana du lycée que certains hommes ont abusée et humiliée, devenue caissière chez Walmart, aujourd'hui en quête de vengeance. Les quatre récits se déroulent en même temps, sur une nuit, la même nuit.
Ces quatre récits se complètent, s'apportent mutuellement des précisions, des compléments. La nuit du grand retour. L'occasion de dénoncer pèle mêle les dégâts de la toxicomanie, l'intolérance de la religion, l'homophobie, les violences sexuelles, la destruction de la nature et des écosystèmes, la crise de 2008 et ses conséquences en termes d'expulsions, de récession économique, de désindustrialisation, de friches industrielles à l'abandon, les guerres impérialistes, la société de consommation.
Beaucoup de dénonciations donc, qui ne sont pas sans comporter, il est vrai, certaines longueurs. Il faut dire que l'ambition de l'auteur, dans ce premier roman, est impressionnante. On lui pardonnera donc ces longueurs que je vois comme autant de marques d'enthousiasme.

On trouve, en plus des quatre personnes nommées précédemment, tout un ensemble de personnages secondaires, parfois dans le jus de cette ville de New Canan : « ce style de mec qu'on trouve un peu partout dans le ventre boursouflé du pays, qui enchaîne Budweiser, Camel et nachos accoudé au comptoir comme s'il regardait par-dessus le bord d'un gouffre, qui peut frôler la philosophie quand il parle football ou calibres de fusil, qui se dévisse le cou pour la première jolie femme mais reste fidèle à son grand amour, qui boit le plus souvent dans un rayon de deux ou trois kilomètres autour de son lieu de naissance, qui a les mains calleuses, un doigt tordu à un angle bizarre à cause d'une fracture jamais vraiment soignée, qui est ordurier et peut employer le mot putain comme nom, adjectif ou adverbe, de manières dont vous ignoriez jusque-là l'existence ».

New Canaan nous est présenté sans fioriture : « la banlieue de New Canaan apparaissait comme un condensé de tout le mal-être du Midwest. Cette maigre zone commerciale avait perdu tous ses panneaux, on n'y voyait plus que les silhouettes spectrales d'activités disparues et les petites traces de rouille aux endroits où des vis plongeaient naguère dans le stuc. La suite du chemin était marquée par toutes les tumeurs habituelles. Maisons avec un panneau À VENDRE. Maisons avec un panneau SAISIE. le reste à louer et manifestement pas loué. Andy's Glass Shop, fermé. Burger King, ouvert. ». « Toutes les villes de l'Ohio avaient de grandes étendues gangrenées qui ressemblaient à New Canaan, la même géographie de zones commerciales cancéreuses aux avant-postes violemment éclairés vantant diverses variations autour du crédit à la consommation. »

J'ai été subjuguée par la vision qu'essaie de rendre compte Stephen Markley lorsque nous sommes sous l'effet de stupéfiants, je comprenais et ressentais comme si j'avais moi-même ingurgité toute cette drogue : « Bill courut jusqu'au grillage, les bras comme des pistons, les poumons aussi gonflés que des ballons dirigeables. Il courut sous le regard attentif de son Léviathan, cette créature opaque qui ne connaissait que l'autorité et la faim, et qu'on ne peut pas voir si on n'est pas sous l'effet bénéfique de trois types de substances différentes parce que la regarder c'est la manquer. Tournez les yeux dans sa direction et elle retrouve son état gazeux. Elle fixait Bill avec curiosité, trente-sept millions d'yeux-microscopes disséquant la surface du pays nu. Il empoigna le grillage, grimpa au sommet et passa par-dessus. Il atterrit en roulant, des brins d'herbe se collèrent à ses coudes, il se remit debout puis il sprinta vers le terrain. Il franchit la surface en polyuréthane noir et ses tennis foulèrent l'herbe sèche. Il se plia en deux, baissa les mains et lança les jambes vers l'arrière en une roulade désordonnée. Il était un accélérateur de particules qui précipitait des protons et des neutrons les uns contre les autres. Il voyait les électrons se faufiler entre les réalités, il goûtait les fantômes quantiques. Et il atterrit sur le cul. le ciel tournoyait et la Chose disparut, rejoignit les étoiles et le carbone. C'était génial. Il fit des anges dans la poussière comme si c'était de la neige. Il rit sans s'arrêter. »

J'ai aimé plonger dans ce gros roman ; j'ai trouvé magistrale l'ambition de l'auteur de vouloir à la fois sonder les tréfonds de l'âme humaine et d'expliquer l'histoire politique, sociale, économique des Etats-Unis, sans pour autant se poser en donneur de leçon. J'ai trouvé incroyable sa manière de nous faire parcourir ce lieu et nous faire toucher du doigt ces nombreux sujets selon le regard et l'avis des quatre personnages, selon des facettes et des angles totalement différents. Je termine ce livre, repue et rassasiée ! Oui, la littérature américaine ne cesse de me nourrir.
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Bienvenue à New Canaan, état de l'Ohio avec sa devise " avec dieu tout est possible".
Comme disait Neil Young " rust never sleep " la rouille ne dort jamais, la "rust belt ( la ceinture de rouille) rend ses habitants un peu instables voir inquiétants, y aurait-il un micro climat, un poison qui rend l'Ohio et New Canaan si triste ?
J'ai fini ce premier roman de Stephen Markley le moral dans les chaussettes.
Ohio c'est comme un clip d'eminem " Lose yourself " une atmosphère sombre, comme un rap qui dérape .
Quatre personnages sont de retour à New Canaan , la ville qui les a vu naitre et grandir. Bill, Stacey, Dan et Tina . Ils se connaissent, se sont fréquentés au collège, au lycée mais le temps à passé sauf la haine de soi et la haine des autres. Il est plus facile de haïr que d'aimer, aimer c'est se fragiliser, s'offrir à l'autre, aux autres.
Leurs vies est comme un match de foot américain, avancer tête baissée, avancer coûte que coûte 1 yard, 3 yards, 10 yards, prendre des coups, en donner.
Quatre histoires dans l'histoire avec en filigrane Lisa et Rick deux personnages qui illuminent ce récit.
J'ai adoré Ohio un roman qui bouleverse.
" Rien n'est jamais parfait dans la vie. C'est pour ça que c'est la vie et pas le paradis".
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Il y a des livres qui semblent avoir leur propre volonté, leur existence autonome. En effet, lorsque j'ai choisi Ohio à la médiathèque, je ne connaissais rien de lui, il remplissait simplement un critère de challenge Babelio, (devinez lequel, tiens) rien de plus. Et puis, une semaine après, en me baladant dans un vide-grenier, je vois quelqu'un feuilleter un livre... Ohio, tiens le livre que je viens d'emprunter... Quelques jours plus tard, une de mes amies Babelio partage son enthousiasme pour.... Ohio... Ok, j'ai compris cher livre, tu es entré dans ma vie et tu n'as aucune envie d'être ignoré... tellement que tu fais travailler tout tes congénères pour m'attirer l'attention. Je capitule, tu seras ma prochaine lecture.

Et il a eu bien raison d'insister car l'aventure fut belle. Ce n'est qu'un premier roman... mais quel premier roman. D'abord dire mon amour pour ces romanciers américains qui arrivent à recréer tout un univers dans une ville américaine comme les autres, avec leurs petites histoires, leurs amitiés, amours, haines, vengeances. J'ai l'impression que ce genre de format est beaucoup moins pratiqué en France, peut-être même en Europe, où le roman choral est déserté, peut-être face au challenge qu'il représente. Pour moi, Stephen King est un parfait représentant du genre, notamment avec la saga Ca. Ici, point de basculement vers l'horreur (quoique, horreur humaine sans nul doute) mais le même talent pour nous intéresser à la vie de personnages complexes, remplis de contradictions et malgré tout attachants.

Le talent de l'auteur est principalement dans une narration rondement menée. le choix de 4 points du vues successifs, choisis parmi des personnages finalement plutôt secondaires dans la vie de cette petite ville et à travers qui on découvre la vie des héros locaux... mais bien sûr aussi leurs vies propres, la plupart du temps dans l'ombre mais pourtant tellement riches de rebondissements, de nuances, de profondeur. le fait d'avoir plusieurs points de vue nous montre également chacun des 4 anti-héros sous le regard des autres. On les trouve moins glorieux vus de l'extérieur... et en même temps on les comprends mieux de l'intérieur. Et si on rajoute que cette narration se passe sur une seule journée où les 4 personnages vont se croiser lors d'un retour dans la ville natale... Moment propice évidemment aux flash backs nostalgiques...ce qui est bien utile pour l'auteur qui peut ainsi nous apporter des informations par touches successives... on se retrouve donc avec un livre vraiment réussi, une narration éblouissante. Plus on approche du dénouement, plus les mystères et les secrets sont révélés, on comprend tout ce qui lie et sépare les différents protagonistes.

Au delà de la narration, l'auteur réalise aussi la prouesse d'évoquer l'essentiel des thématiques de la jeunesse : pêle-mêle les addictions, l'homosexualité, la guerre, la découverte de la sexualité, le racisme, la politique post 11 Septembre et j'en oublie. le fait qu'on côtoie les personnages dans leur vingtaine (dans leurs souvenirs) et à l'aube de leur trentaine (pour le présent) est troublant car leur jeunesse se passe dans les années 2000 et il y a une forme de nostalgie pour une période, finalement assez proche pour un (déjà) vieux con comme moi ! Et pourtant la recette fonctionne, l'auteur nous embarque dans ses choix et on ne se sent pas du tout éloigné des préoccupations des personnages. Il nous invite également dans son Ohio natal, dépeint sans concessions mais avec une extrême tendresse pour ce qui l'a constitué.

Alors me direz-vous, pourquoi ne pas avoir passé le pas des 5 étoiles pour une telle réussite ? Peut-être un encouragement pour les futurs livres de l'auteur à venir me faire signe dans le futur pour atteindre le Graal et dépasser ce coup d'essai déjà coup de maître. Au vu de la force de sa plume, je ne doute pas que ses livres sauront faire leur chemin, c'est en tout cas tout ce que je lui souhaite.



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Qu'est-ce qui pousse Bill Ashcraft, Stacey Moore, Dan Eaton et Tina (la Cochonne) Ross à revenir un soir de l'été 2013 à New Canaan, Ohio, pour renouer avec les vestiges de leur jeunesse ? Autrefois, avec Rick, Lisa, Todd, Curtis et tant d'autres, ils formaient ce microcosme estudiantin joyeux et insouciant, galvanisés par la vie qu'ils découvraient et les espoirs qu'elle portait, brûlant leur liberté par tous les bouts, même les plus abusifs.

Depuis, la vie à fait son oeuvre. La guerre aussi, en Irak ou en Afghanistan. Pour l'Amérique comme pour chacun de ses enfants de New Canaan, la fête est finie ! Après la mort de Rick et la disparition de Lisa, le passé n'est pas totalement soldé et il reste à Bill, Stacey, Dan et Tina, une dernière étape à franchir pour se projeter dans l'après et continuer à avancer. En un soir, ils vont se croiser ou s'éviter, se retrouver ou s'affronter, se pardonner ou se maudire. Unité de lieu, de temps et d'action : comme au théâtre classique, les conditions du drame sont posées.

Dans Ohio - traduit par Charles Recoursé - Stephen Markley propose une profonde et ambitieuse fresque générationnelle, explorant l'âme d'une jeunesse américaine élevée dans l'insouciance paisible des années Reagan, Bush père et Clinton, puis devenant adulte sous les années post 9-11 de Bush fils et les traumatismes en série qui les ont rythmées. En 540 pages de très haute volée, Markley raconte une nuit ; raconte des vies lourdement meurtries ; raconte un pays.

Cinq chapitres pour cinq portraits et cinq façons de vivre la même soirée. Mais au-delà du récit, l'auteur passe en revue tous les maux de l'Amérique du début du XXIe siècle : la jeunesse sacrifiée en interventions extérieures, les faiblesses coupables du pouvoir US, l'immigration, la religion et ses dogmes, les shootings fous et meurtriers, la toujours difficile acceptation de l'homosexualité, l'acceptation controversée de la couverture sociale généralisée…

Autant d'interrogations mais surtout autant de défis à relever ou à subir pour tous ces jeunes que la vie à New Canaan a si peu préparé à les affronter. Markley le raconte formidablement bien dans ce qui est probablement un des livres les plus puissants et les plus ambitieux que j'ai lu ces derniers temps.
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Je peux enfin me remettre à respirer.
Une fois qu'il est lancé (une bonne cinquantaine de pages), ce roman est captivant.
Situé dans la ville fictive de New Canaan, dans l'Ohio, il raconte les vies imbriquées de jeunes qui fréquentaient le même lycée dix ans plus tôt.
En toile de fond la période post 11 septembre, la récession, les guerres en Irak et en Afghanistan. L'industrie est en train de mourir et la vie dans le Midwest est difficile.
Les prémisses de l'arrivée de Trump au pouvoir sont dépeints ; que tout cela est sombre.
D'une structure un peu complexe avec des allers/retours dans le temps et des personnages qui vont se croiser au fil des 5 longs chapitres, l'auteur raconte la douleur d'une jeunesse abandonnée, les rêves envolées, la violence, les lâchetés et les espoirs perdus.
Et puis, il y a ces violences sexuelles, qu'un personnage, pour survivre, feint de trouver normales, se convainc qu'elles sont faites par amour et qui détruisent.
Mon coeur s'est serré à chaque page.
C'est brutal, déchirant et formidablement bien écrit.
Comment est-ce possible que cela soit un premier roman ?
Chapeau bas.
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"Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, qu'as-tu fait de ta jeunesse ?" demandait Paul Verlaine en 1880. Ce à quoi un siècle plus tard, Harry-la-Trique répondait, dans "Pump up the volume" : "Ce qu'il y a d'incroyable mais vrai, c'est que la vie d'un jeune est quelquefois moins marrante que la mort." Et au XXIe siècle, Stephen Markley ne dit pas mieux.
Au cours d'une interminable nuit d'été de 2013, quatre anciens copains de lycée vont se croiser par hasard dans les rue de New Canaan, petite ville de l'Ohio. Ils vont laisser remonter à eux, comme des odeurs d'égout, les souvenirs de l'époque où ils étaient jeunes, beaux et insouciants -mais déjà plus innocents. Emergent alors, dans des allers-retours temporels, les idylles, exploits sportifs, rébellions, bitures -mais aussi disparitions- d'un temps révolu.

Roman choral, "Ohio" confronte, complète et oppose les souvenirs des uns et des autres, et j'ai adoré cette façon de faire coexister plusieurs vérités et de nuancer les ressentis des différents personnages. Stephen Markley les soumet à une analyse psychologique pointue, mais sans que cela alourdisse son récit. Il en profite pour déconstruire toute la mythologie pop américaine : le footballeur héroïque, la pompom girl amoureuse, le rebelle politisé,la sportive catholique, l'intellectuel timoré... Il fait voler en éclat le vernis dont ils se sont couverts pour révéler toutes les tares qui rongent une jeunesse livrée à elle-même : drogues, abus sexuels, manipulations, violences... Toutefois, on n'est pas chez Bret Easton Ellis : Stephen Markley écrit de chez les ploucs du MidWest, et il transmet une réelle compassion pour ses personnages, à la fois victimes et coupables. Il parvient même à rendre les pires d'entre eux terriblement humains au détour d'une phrase, et j'ai beaucoup apprécié la douce évidence avec laquelle il souligne cette ambivalence humaine, qui rend magnifique ou minable selon les jours.
Mais l'auteur dresse également, de 2000 à 2017, le tableau hallucinant d'un pays sur le point de s'effondrer sur lui-même en écrasant ses citoyens les plus vulnérables. Entre les guerres d'Afghanistan puis d'Irak, la crise des subprimes et le populisme triomphant, le culte de l'Americana ressemble de plus en plus à un village Potemkine qui tombe en ruines en dévoilant un paysage accablant. J'ai rarement lu un roman américain aussi intelligent et lucide sur les USA (le dernier devait être "Les raisins de la colère" de Steinbeck). Courageux, même, car l'auteur s'attaque adroitement au sacro-saint patriotisme post-11 septembre.
Ce n'est donc pas le roman le plus drôle de l'année, il est amer et grave, mais il se lit d'une traite tant il est passionnant. Surtout, il est d'une grande beauté ; de façon poétique, Stephen Markley réussit à saisir et transformer en moments de grâce de brefs instants suspendus : "Il portait en lui des océans entiers, toute la nature du pays, des fantômes farouches et quelques centaines de millions d'étoiles." Enfin, j'ai été très sensible à la tristesse qui imprègne le récit, celle des âmes esseulées ou perdues à jamais, et à son parfum de mélancolie : "Je veux retrouver ces années. Je veux sortir de cet univers parallèle de merde où on vit tous."

C'est donc à un magnifique voyage auquel nous convie Stephen Markley, dont on sort ému et enrichi. Pour 8.90 € l'aller (en Poche), ça vaut vraiment la peine d'embarquer.
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« - On est tous des voyageurs, Stacey. La seule chose qui nous différencie, c'est la quantité de bagages qu'on choisit de se mettre sur le dos. »
Rick Brinklan meurt d'une balle à Bagdad lors d'une opération militaire. Son corps est rapatrié dans sa ville natale, New Canaan dans l'Ohio. C'est dans cette bourgade américaine quelconque, qu'ils se sont tous croisés.
Bill Ashcraft, drogué, était son ami même si leurs opinions divergentes faisaient qu'ils ne se parlaient plus. Pour se faire un peu d'argent il accepte de transporter un paquet dont il ne connait pas le contenu et de revenir à New Ca.
Stacey Moore, lesbienne, avait couché avec Ben Harrington pour se faire dépuceler, puis avait fait la connaissance de Lisa Han dont elle était tombée amoureuse.
Dan Eaton, revient en perm. de Bagdad, il a perdu un oeil. Il est l'ami d'Healey qui est infirmière et dont il a toujours été amoureux.
Tina Ross, se venge des viols répétés qu'elle a subi de son petit copain de l'époque, le N°56, star de l'équipe de football, et de ses amis.
Tous ont gardé l'empreinte de leur jeunesse passée dans cette petite ville semblable a des milliers d'autres villes américaines et cet apprentissage difficile de la vie qui les a conduit dans les strates perdues d'une société barbare, bien loin à la périphérie de leurs rêves, vers leur perte.
Stephen Markley explique partiellement ces ratages :
« C'est qu'on manque d'imagination au niveau de la violence. On accuse des « tarés » sans trop savoir ce que ça veut dire. Ça nous rassure. C'est sécurisant. Mais des trucs comme My Lai, Auschwitz ou Gnadenhutten, ça n'a rien d'aberrant. Ça arrive à cause de ce qu'on est tous. On est fragiles. On n'a pas confiance en nous, on est avides, on veut une augmentation, on a peur de notre supérieur… C'est à cause de ce genre de trucs ordinaires et débiles que les gens se font du mal les uns aux autres. »
L'auteur raconte une histoire parfaitement construite, à l'architecture complexe, où chaque expérience individuelle s'imbrique dans une autre et où tout finit, par effet de domino, dans un grand ratage auquel personne n'échappe, bon grès, mal grès. Les descriptions de la guerre en Irak , ainsi que de la descente aux enfers de Tina Ross et des viols qu'elle a subi sont remarquablement bien détaillées. Une telle horreur et une telle violence a rarement été aussi bien exprimée. Stephen Markley nous les fait vivre. Il y a de la matière, il y a des idées.
Grand prix de la littérature américaine 2020, récompense amplement méritée, « Ohio » fait partie des très grands romans américains, de ceux qui laissent un souvenir impérissable.
Traduction de Charles Recoursé.
Editions Albin Michel, le livre de poche, 637 pages.
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Le Grand prix de littérature américaine 2020 attribué à "Ohio", de Stephen Markley

Une rentrée stratosphérique qui se confirme chez Albin Michel avec la parution dans la collection « Terres d'Amérique » de « Ohio » de Stephen Markley, un premier roman qui m'a profondément marqué, bouleversé parce qu'il est ensorcelant, sombre, mélancolique, d'une beauté sauvage, d'une acuité saisissante sur le malaise que vit l'Amérique. J'ai rarement lu un premier roman avec une telle maîtrise narrative, une telle qualité d'écriture, une telle justesse dans l'analyse des démons qui hantent les États-Unis d'Amérique. A mon sens, c'est le plus grand roman lu depuis Gabriel Tallent et son « My Absolute Darling ». Avec Stephen Markley on atteint des sommets d'émotions sur une jeunesse américaine en quête de repères. « Ohio » de Stephen Markley est une radioscopie de ce que l'Amérique post-11 septembre 2001 a enfanté du fait de ces traumatismes, de ces compromissions, de ces refus répétés à remettre en cause un modèle de société qui ne fonctionne plus. L'Amérique est ébranlée jusque dans ses fondations mêmes. Elle doute d'elle même. La première puissance du monde vacille alors que s'annonce les échos du populisme et les mensonges des néo-conservateurs sur le prétendu danger représenté notamment par l'Irak.

le roman débute avec une séquence qui concentre en son coeur tous les éléments de ce qui affleurent tout au long du récit. Ce défilé organisé en l'honneur du caporal Rick Brikban en octobre 2007, mort en Irak. le non sens absolu, le vide d'un sacrifice inutile. Une Amérique au prise avec ces démons, engluée dans deux guerres, l'Afghanistan et puis l'enfer, le bourbier irakien. Divisée sur la conduite à tenir face à ces nouveaux défis. Une Amérique paumée qui voit des villes autrefois prospères, péricliter. Une jeunesse qui fait comme elle peut avec cette cruelle réalité des lendemains qui déchantent. Un peu comme une immense gueule de bois dont on n'arrive pas à se relever. Une plongée radicale, crue qui met en évidence les zones de fracture dans la société américaine. Les excès d'alcool et de drogues, le sexe sont autant de refuges provisoires au mal-être de ces jeunes hommes et femmes. Une jeunesse aux abois, en perte de repères, revenue de tous les mensonges des politiques de Bush Jr à Obama lui-même qui n'arrivera jamais à répondre à cette crise existentielle profonde, majeure.

Nous sommes donc à l'été 2013, les occupants de quatre véhicules convergent vers New Canaan, cette petite ville de l'Ohio où ils ont passés leur jeunesse. Ils sont aujourd'hui trentenaires, leurs illusions de jeunesse, leurs idéaux sont battu en brèche. Certains ont des enfants, d'autres sont morts d'overdose, sont toxicomanes, certains sont partis faire la guerre en Irak et en Afghanistan comme Dan Eaton qui y a perdu un oeil et des camarades. Cette troisième partie de l'histoire est sans aucun doute la plus touchante. Il retrouve le temps d'une soirée, son amie de toujours, celle pour qui il éprouve aujourd'hui encore des sentiments. Il y a également le ressenti de Bill Ashcraft, un ancien activiste humanitaire devenu toxicomane. Une plongée oppressante dans la dope et les excès en tout genre. Un paumé parmi tant d'autres. Dans la seconde partie de « Ohio », c'est le questionnement de Stacey Moore qui nous remue et surtout les réactions de sa famille chrétienne cherchant à la « guérir » de son homosexualité. On fait ici référence aux centres existant aux États-Unis où l'on accueille des personnes homosexuelles avec le délirant programme de les ramener sur le chemin de la morale chrétienne. Stacey souhaite régler ses comptes avec son frère qui n'a jamais accepté qu'elle soit lesbienne. Là encore, on est bouleversé par la capacité de Stephen Markley à mettre en mots des sentiments complexes. On est dans le registre de l'intime avec ces portraits d'hommes et de femmes. C'est fascinant de constater combien il n'y a pas une mais des Amériques selon sa couleur de peau, ces origines sociales, ces orientations sexuelles, ces opinions politiques républicaines ou démocrates. Autre aspect passionnant de « Ohio », cette descente en eaux troubles dans les lycées américains et leurs pratiques, leurs dérives à tous les niveaux. Pour le sexe parlons en, là encore il y a ceux qui dominent et ceux qui sont dominés dans une logique terrible où la tendresse semble être la grande oubliée. La quatrième partie sur Tina Ross a été un uppercut en pleine estomac. La violence, la vengeance, la rédemption sont autant de questionnements abordés dans ce roman tellement riche. On assiste au morcellement d'une société, d'un pays.

« Ohio » est une tragédie grecque où l'ataraxie n'a pas sa place. On lui préfère l'hubris, la démesure qui correspond si bien au modèle américain. On ressort de cette lecture impressionnée par la démonstration sans faille de Stephen Markley, son sens du drame, sa maîtrise d'un récit complexe, son style d'écriture enfin qui fait la part belle aux descriptions. Les personnages de ce roman sont autant d'ombres, de fantômes errant dans cette ville où tout se conjuguent au passé notamment sa prospérité. Un paysage où la crise est partout, où les âmes errent plus spectatrices qu'actrices de leur vie. L'ambiance est crépusculaire. Avec « Ohio » de Stephen Markley, oubliez l'Amérique que vous croyez connaître, celles des guides touristiques et préparez vous à vous prendre en pleine face la cruelle réalité de cette Amérique post-11 septembre 2001. Une société en déliquescence, un monde où les paumés sont légions et où les oubliés du système ultra libéral crèvent la gueule ouverte. Un magma poisseux et des vies brisées par le manque de perspectives, d'horizon. Un magnifique premier roman intime, dense, ambitieux, vertigineux signé Stephen Markley. Un Stephen Markley qui s'inscrit d'ores et déjà comme un nouveau grand nom du paysage littéraire américain. Allez en librairie et procurez vous ce roman sublime qui résonnera longtemps en vous.
Lien : https://thedude524.com/2020/..
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Roman choral, c'est une véritable plongée dans l'Amérique profonde qu'offre Stephen Markley. Étalées sur plus de 560 pages, ce sont les vies de jeunes, nés après le 11 septembre 2001, comme il en existe des millions mais que l'auteur décrit avec noirceur et réalisme.

Quatre anciens élèves d'une ville fictive (New Canaan, Ohio) se retrouvent, plus de 10 ans après avoir terminé le lycée, lors d'une soirée où chacun a des finalités propres. Mêlant passé et présent, le livre ne se déroule que sur une période de 12 heures et est divisé en 4 parties, chacune consacrée à l'un des protagonistes.

C'est le genre de livre qui me transporte aisément et dont j'admire la construction intelligente et travaillée. Si je dois attirer un point auquel il faut faire attention est la pléthore de personnages (secondaires pour la plupart) mais dont il n'est parfois pas facile de s'y retrouver.

Paru lors de la rentrée littéraire de 2020, on ne peut que constater le talent indéniable dont fait preuve Stephen Markley par ce premier roman aussi puissant et abouti. Ce n'est pas pour rien qu'il a été lauréat du Grand Prix de Littérature Américaine de 2020.
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