Les nuits cairotes de
Naguib Mahfouz
“Pour quelle raison n'apparaît-elle donc pas dans mes rêves ? Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait au moins une fois, une seule, depuis qu'elle s'en est allée ? Je veux m'assurer, oui, qu'elle a bien existé”. Ce livre paru à la fin de la vie du
Prix Nobel de Littérature Egyptien n'en est pas vraiment un… C'est un recueil de textes publiés dans une revue égyptienne pour laquelle Mahfouz s'astreint à noter ses rêves de la nuit passée et à les mettre en forme littéraire.
“Je n'ai plus qu'une envie, une seule : me retrouver chez moi.” le lecteur découvre alors les thèmes qui hantent ou à tous le moins qui habitent les nuits de l'écrivain, entre cauchemars, sensualités et angoisses politiques. Mais aussi la façon, universelle, dont le surnaturel, le fantastique et l'incohérent modèlent nos phases de sommeil paradoxal… et, en la matière, nous ne sommes pas à un paradoxe près !
“Le moi qui rêve est un moi distrait”
Henri Bergson. En effet, des détails incongrus du quotidien, des souvenirs falsifiés font le terreau d'une illusion plastique et mouvante où les visages changent, les identités se succèdent, les objets disparaissent, les lieux se dérobent sous nos paupières dans la plus grande banalité, sans que cela ne paraissent nous choquer durant notre rêve… ce n'est qu'au réveil qu'une amertume, mélange de soulagement et de regret, nous enveloppe à mesure que nous regagnons l'étroitesse du réel…
"Il se fait comme ça, entre les rêves et la conscience éveillée, des échanges mal définis: une sorte d'osmose, peut-être, on ne reconnaît pas que cette pensée vient encore du sommeil... elle a traversé la membrane..."
Louis Aragon.
Les rêves et les nuits sont aussi une purge des angoisses de la journée, on se réveille comme on vient au monde, vierge et inconscient des problèmes du monde, un peu comme le ressentait
Roland Barthes : « parfois, m'endormant sur un souci, dans la primeur du réveil il a disparu : minute blanche, miraculeusement privée de sens, mais le souci fond sur moi, comme un rapace, et je me retrouve tout entier, comme j'étais hier. »
Bien sûr, nous n'aurons pas la signification des rêves de
Naguib Mahfouz, ces quelques cinquante-cinq songes nous sont livrés brut, sur une à trois pages chacun. Les rêves trahissent des angoisses existentielles, des pulsions sensuelles, des combats intérieurs, une plénitude originelle ou encore réparent les accidents de la vie, le membre amputé repousse à l'ombre de la nuit, que ce soit un membre du corps humain ou de la famille, perdu à jamais, voilà encore un rôle de ces “souvenirs-fantômes” pour citer Bergson à nouveau.
“A-t-il existé
le rêve que j'ai perdu
un peu avant l'aube ?”
Jorge Luis Borgès
Il ne tient désormais qu'à vous de prendre un crayon et un petit carnet et de noter quotidiennement avec émotion et précision les réminiscences de cette vie souterraine qu'on appelle les rêves, matériau de choix pour la littérature.
Qu'en pensez-vous ?