Citations sur Traverser la nuit (156)
L'homme est demeuré sur le seuil et la regarde s'éloigner . Elle sent son regard dans son dos.C'est comme un instinct de bête qui lui est venu, à la longue. Elle sait qu'on la regarde. Quelque chose entre chair et peau qui se mettrait à palpiter doucement.
Il se riait des coups de foudre de cinéma ou de romans, des apparitions qui éblouissent, des regards qui se croisent et nouent aussitôt un lien à toute épreuve. C'est pourtant exactement ce qui lui fait arrivé ce soir-là à Paris à la terrasse de ce café du boulevard Saint-Martin quand elle lui avait demandé du feu. L'épreuve était venue plus tard, bien plus tard, celle du temps. Il ne sait pas quand le charme a cessé de s'exercer. Comme si leurs pouvoirs magiques s'étaient affaiblis sans qu'ils s'en aperçoivent, les dépouillant de leur capacité à changer les aubes blafardes en matins clairs.
Un peu de crachin s'est mis à saupoudrer le pare-brise et il lui semble que les essuie-glaces, grinçant sur le verre, estompent les couleurs à chaque battement comme si le ciel pulvérisait lentement dans les rues sa grisaille.
Il est un peu plus de de huit heures et le jour peine à se lever. Il est possible qu'il ne se lève pas vraiment de la journée comme un vieillard malade qui resterait alentour de son lit, traînant des pieds, s'y asseyant parfois avec un soupir, résistant à l'envie de se recoucher de peur de ne plus jamais pouvoir se remettre debout.
Il regarde autour de lui la ville dans la nuit, les silhouettes tranquilles des passants, ses bâtiments, ses éclairages, les voitures qu'il croise, les feux aux carrefours égrenant, imperturbables, leur code de couleurs, tout cet ordonnancement, ce décorum nocturne, opérationnel de la civilisation industrielle, et il se demande comment ça tient encore debout, tous ces réseaux, cette énergie, cet assemblage complexe, tant cela lui semble relever d'un château de cartes auquel on en rajoute sans cesse un autre puis un autre en pariant sur la stabilité de l'ensemble.
Il ne dort plus. Ça n’est pas dormir, cela. Il voudrait se perdre dans le sommeil, sombrer dans le néant pour se réveiller neuf et propre dans la clarté et prendre pied dans la lumière d’un jour nouveau. Oublier. Se lever un matin tel un amnésique et renaître dans l’innocence.
Elle sent le corps de Sam s'amollir puis peser davantage sur elle. Elle coupe le son du téléviseur pour écouter le souffle léger du sommeil où le garçon a glissé. Elle se détend elle aussi, elle pourrait comme lui se laisser aller, ils se réchaufferaient mutuellement, le temps s'arrêterait , le silence et la nuit autour d'eux les protégeant comme un refuge inexpugnable.
« Il en avait vu d’autres , pourtant. Il avait pénétré dans des antres où la mort avait semé son chaos , sang, tripes , mutilations , puanteurs ……
Il y avait même eu , deux fois, des enfants témoins, ce gamin de trois ans , prostré dans un coin, caché derrière un gros coussin , cette petite fille sous une table , toute nue, sa poupée de chiffon à la main qu’on n’avait pu lui faire lâcher qu’à l’hôpital après qu’on l’avait endormie pour calmer ses convulsions et ses hurlements » ….
Il regarde autour de lui la ville dans la nuit, les silhouettes tranquilles des passants, ses bâtiments, ses éclairages, les voitures qu’il croise, les feux aux carrefours égrenant, imperturbables, leur code de couleurs, toute cet ordonnancement, ce décorum nocturne, opérationnel de la civilisation industrielle, et il se demande comment ça tient encore debout, tous ces réseaux, cette énergie, cet assemblage complexe, tant cela lui semble relever d’un château de cartes auquel on en rajoute sans cesse une autre puis une autre en pariant sur la stabilité de l’ensemble. Il est persuadé, Jourdan, que ça va se casser la gueule, que les lumières s’éteindront, que les images saturant les écrans, les voix surgies du lointain n’arriveront plus nulle part, perdues dans d’infranchissables distances comme ces oueds absorbés par le désert. Il ne sait pas quand ni comment mais il est sûr que ça se produira, chaos climatique, incendies géants, épidémies, les conjugaisons du pire sont déjà imprimées, leurs règles implacables connues de tous, au futur exclusivement. Temps barbare vers quoi on apprend encore des enfants à marcher.
Il ne sait pas quand ni comment mais il est sûr que ça se produira, chaos climatique, incendies géants, épidémies, les conjugaisons du pire sont déjà imprimées, leur règles implacables connues de tous, au futur exclusivement. Temps barbare vers quoi on apprend encore des enfants à marcher.