Pour moi qui suis tous les soirs à la télé l'évolution de la guerre en Ukraine, voilà un livre important ! Simple comme est simple la pensée de Msieur Kourkov - dans son écriture, le fil des évènements, sans chichi et sans lourd lyrisme... simple, si on excepte bien sûr les noms de familles et autres noms propres, qu'il faut être ukrainien pour prononcer avec aisance (ça tombe bien, ya de l'Ukraine chez moi).
Simple, et du coup, implacable. J'ai confiance en cet homme, je crois à son point de vue, on s'est adopté, en partie grâce à un petit pingouin mélancolique... Avec lui je comprends ce qui s'est passé en 2014, et a donné la suite que l'on sait - et puis je comprends ma part ukrainienne, ça c'est cadeau perso.
Je comprends ce qu'il y a à comprendre, c'est-à-dire pas tout. Parce qu'il y a, pour nous désemparer, Kourkov et moi, il y a la part de la nature humaine, de l'attrait pour le grand n'importe quoi, pour l'envie de détruire, comme l'envie de construire, comme l'envie de juste gueuler un coup, de soudain pousser un cri de Tarzan dans la jungle des corruptions. Il y a l'adaptabilité aux situations surréalistes, ce qui semble être un must ukrainien aussi, pas tant de la résilience, qu'une sorte de fatalisme non dénué d'humour, et baigné de mélancolie. Aborder, semi-impuissant, le grand souk humain, quoi, et le grand souk humain slave, encore plus complexe.
J'ai vu Andreï à la Grande Librairie, cet hiver 2022, pour parler de la situation en Ukraine. Comme pour ce Journal du Maïdan, il n'a pu qu'arrêter toute écriture de fiction, tellement il était abimé (littéralement tombant dans l'abîme) par la situation. Ne trouvant un peu d'apaisement littéraire qu'en re-écrivant un journal. Il parle bien français, est tout calme, ne se la pète pas, discret et tout humain. Il était entouré de fanfaronnants Russes exilés, et j'ai vu à quel point, côté russe, l'Ukraine reste un petit pays de bouseux sans envergure (ce que mon grand-père russe disait à ma grand-mère ukrainienne, gentiment pour la charrier). Leur compassion était au bord de la condescendance, ils n'ont pas encore réalisé que les valeurs étaient en train de changer. En bon vieil Ukrainien, Kourkov laissait dire, tellement habitué à vivre avec la fatale résonance du grand voisin... Mais blessé par les exactions des envahisseurs, sidéré par les violences commises par les soldats "libérateurs", abattu par l'insupportable réalité moyennâgeuse d'ici et maintenant, je le sentais terrassé par le contraste entre ce plateau télé de pseudo-frères slaves discourant avec rutilance, et la situation d'une cruauté insoutenable en Ukraine. J'ai hâte de lire son journal de 2022-23, en espérant que l'issue sera toute à la gloire de l'Ukraine et de ses héros.
En attendant, le Maïdan de 2014, les pourritures politiques, l'engrenage un peu cinglé, et surtout, surtout, l'immense fatigue que pouvait alors ressentir un peuple à ne pouvoir se vivre en liberté, en indépendance, en carrière solo, sans le foutu président-tyran d'à côté, sans le grand voisin et ses poussées d'acné d'une violence inouïe. Certaines âmes chafouines condamnent l'Ukraine d'avoir osé regarder du côté de l'Ouest, de l'Europe, comme s'il s'agissait d'un péché, d'une trahison... En lisant ce
Journal de Maïdan, on pourra leur claquer le beignet, et réaliser combien ce rêve d'Occident est tout simple, normal, évident, sans idéalisation. Juste une envie d'avenir. Juste une envie de présent. En paix.
Et de réaliser combien nous les confortables, on a une chance tout aussi inouïe de ne pas subir ce sort épuisant.