Le discours de la science, sous-engeance du discours capitaliste et précurseur de la parlotte technologique, entérine le déni de la castration et le fantasme d'accès à une vérité pleine et unanimement déclinable à chacun. Il se gausse de tous les phénomènes qui ne se laissent pas capturer dans son champ. Lorsque le discours de la science se heurte à l'impossible de la méthode scientifique, aucun de ses adeptes ne remettra en cause cette méthode. En revanche, il tiendra la valeur du phénomène pour nulle ou proposera de ranger le phénomène dans la catégorie des expériences occultes, c'est-à-dire des expériences qui seront matériellement explicables lorsque les progrès du discours scientifique auront encore abrasé un peu plus la liberté des choses à ne vouloir rien dire.
Arthur Koestler a rédigé deux courts essais consistant en une interprétation philosophique d'expériences scientifiques dont l'objectif était de prouver statistiquement la télépathie. L'expérience est la suivante : des images sont projetées sur un écran devant des individus représentant des « émetteurs » tandis que, dans des cabines isolées, un échantillon de récepteurs doit essayer de reconstituer l'image projetée par des mots ou des dessins. le tri des résultats est plus délicat. de premiers biais peuvent intervenir dans l'interprétation des dessins et des mots dont le degré de pertinence avec l'image réellement projetée peut être plus ou moins grande. L'évaluation statistique vise ensuite à estimer si le nombre de « réussites » est supérieur à celui qu'aurait pu donner le simple hasard. Dans ce cas, les « scientifiques » estiment que la télépathie est scientifiquement prouvée, donc qu'elle existe, évidemment. Tout phénomène à l'ère scientifique se trouve dans la même délicate situation que le chat de
Schrödinger : inexistant tant que l'oeil scientifique ne s'est pas posé sur lui.
Si Koestler introduit heureusement quelques interrogations sur le hasard dans les deux premières parties du livre (comment le distinguer de la chance, par exemple), le dernier chapitre rédigé par
Robert Harvie s'y consacre plus complètement. L'orientation du chapitre reste malheureusement toujours portée par l'envie de résoudre, c'est-à-dire de faire entrer un phénomène dans une catégorie close pour ne plus avoir à y penser. Nous pensons alors à ce formidable passage des Shadoks :
« Pour les aider à se débarrasser de tout ce qu'il ne fallait pas savoir, les Shadoks avaient créé l'Antimémoire. C'était un grand machin à base de mécaniques subtiles, telles que poubelles à tiroirs, concasseurs de connaissances, broyeurs à savoir, etc. On le promenait de chaumière en chaumière et il récupérait tout ce que les Shadoks pour leur hygiène culturelle étaient obligés d'oublier. Quand par maladresse, paresse ou inadvertance, le Shadok, dans un moment d'oubli en quelque sorte, se souvenait de quelque chose, l'Antimémoire rappliquait dare-dare. On lui disait "je veux pas le savoir" et l'Antimémoire aussitôt jetait ça dans ses tiroirs. le reste du temps, il vivait dans les champs où il ruminait de la mathématique et de la cybernétique, de la logique formelle et du calcul différentiel. La civilisation shadok grâce à ses soins allait bon train. L'Antimémoire grandissait en âge et en vigueur. Ce n'est que beaucoup plus tard qu'il prit le nom d'ordinateur ».
Robert Harvie porte son espoir sur les dernières spéculations de la physique tutti quantique pour tenter d'intégrer les phénomènes qui échappent encore au discours scientifique. La tentative semblera réussir si le phénomène en est réduit artificiellement à des données quantitatives, au prix d'accommodements rendant la science toujours plus bancale. Ains, le discours scientifique continuera de perdre en crédibilité à mesure qu'il refusera d'accepter que son locuteur, le scientifique, ne puisse accéder à l'entière objectivité de son étude des choses, étant lui-même toujours séparé des choses par le langage qu'il utilise pour les décrire.