J'ai découvert ce livre car il m'a été proposé dans le cadre de mon abonnement à Boobox : le titre et la couverture m'avait interpelée, et généralement Scrinéo est une bonne référence, si bien que je n'avais pas trop hésité. Cependant, comme souvent, il a fallu un challenge spécifique pour que je me plonge dedans.
Ce livre raconte deux histoires complètement différentes, on se doute d'emblée qu'elles vont se rejoindre d'une façon ou d'une autre (sinon pourquoi les intercroiser ainsi, un chapitre l'une, le chapitre suivant l'autre, et ainsi jusqu'à la fin ?), mais évidemment ça reste mystérieux presque jusqu'au bout… et clairement, on est dans deux histoires différentes, et même deux niveaux de narration complètement différents, l'un qui était à la limite de me déplaire, l'autre qui m'a complètement embarquée. Autant dire que l'ensemble me laisse un avis mitigé, à la limite de l'indécision.
On a ainsi, d'une part, l'histoire de David Berg, jeune intermittent du spectacle qui porte un regard assez désabusé sur la vie et les choses en général, et qui ne semble pas poussé par une quelconque ambition personnelle et professionnelle – pour moi, ça commençait mal : c'est le genre de héros sans consistance qui me hérisse dès les premières pages. David a hérité de la maison en Écosse, du vieux taxi londonien et du compte en banque d'un oncle qu'il a rencontré une seule fois et dont il ne sait rien. Sans emploi à ce moment-là, il décide de prendre possession de son héritage et découvre peu à peu que son oncle Djydek faisait des recherches sur un sujet qui lui échappe, recherches qu'il aimerait comprendre et éventuellement poursuivre, comme un trésor à trouver. L'enquête dans laquelle il se lance est aléatoire et donne très vite lieu à une vague romance avec la serveuse du seul pub du coin, avec quelques allusions sexuelles gentillettes. Jusque-là, rien de transcendant, et l'enquête ne m'a pas convaincue, trop diluée dans un style auquel je n'ai jamais réussi à accrocher.
Ce sont des phrases à rallonge avec mille virgules, insistant sur des détails descriptifs peut-être utiles, mais qui m'ont surtout donné envie de lire en diagonale, au risque de louper les passages importants. Et ces phrases sont empreintes de ce que certains appellent de l'humour, et qui aurait pu en être, si seulement ce n'était pas, presque systématiquement, à l'encontre des habitudes anglaises ou écossaises, ou bien contre telle ou telle profession – bref, toujours rire aux dépens de l'Autre, est-ce ça de l'humour ? – et, par ailleurs, trop répétitives. Pour citer un tout petit exemple : quand l'auteur place un « il est, n'est-il pas ? » dans un de ses dialogues avec un autochtone, ok ça fait sourire ; la 2e fois, on se dit gentiment qu'il pourrait varier les plaisirs quand même ; la 3e fois et les suivantes, on hausse les yeux au ciel avec un vague énervement « mais c'est quoi cette vanne pourrie qui revient encore et encore ? »
Ou un autre passage, qui rassemble ces deux traits que je reproche au style de l'auteur : « Ce n'est plus un archétype, c'est une caricature de bibliothécaire, avec sa visière sans casquette, ses lorgnons retenues par une ficelle à la boutonnière d'un pull-over de laine à losanges vert caca d'oie et jaune pisseux, ses manches élimées d'où dépassent deux mains desséchées par les tonnes de parchemins et de grimoire qu'elles ont, tous les jours depuis quarante ans, manipulées au ralenti comme on sort un ostensoir de son tabernacle. »
Sérieusement, qu'est-ce qu'une telle description apporte à cette enquête autour des recherches de l'oncle Djydek ?? Qu'on le laisse en paix, ce pauvre vieux bibliothécaire qui s'habille mal, et qu'on avance dans les recherches ! (qui, bien évidemment, n'avancent pas davantage)
D'autre part, on a l'histoire complètement différente d'un certain Jaroslaw, adolescent juif de 17 ans, que nous rejoignons en pleine 2e guerre mondiale, lors d'une rafle dans le ghetto de Varsovie où il vit, jusqu'à ses pérégrinations à travers toute la Pologne (en passant par Auschwitz) et au-delà, toujours «
vers l'ouest »… Autant David Berg avait un côté quelque peu horripilant à mes yeux, autant Jaroslaw a aussitôt su trouver ma sympathie. Ce qu'il vit est innommable, on le sait, et pourtant il poursuit sa route avec une conviction toute liée à sa jeunesse, profitant des occasions qui se présentent à lui avec intelligence, n'oubliant pas d'être un jeune homme capable d'apprécier ces petits moments de bonheur (et d'amour) que l'on peut trouver même en pleine guerre. Il va de l'avant en toutes occasions, même dans les moments durs où ses yeux débordent de larmes, et où on a envie de pleurer avec lui, tant l'horreur et/ou l'ironie du moment s'entremêlent devant nos yeux…
Et dans ces chapitres-là, c'est carrément un autre auteur que j'ai découvert. Il parvient à souligner le drame que Jaroslaw et ses proches vivent dans une Pologne occupée et ultra-surveillée, par des mots simples, des petites touches qui esquissent à peine les choses et qui pourtant disent tout – comme ce passage où les ouvriers du chemin de fer polonais se rendent compte de ce que transportent ces trains à bestiaux qui vont vers l'est, c'est sans commentaire… et cette brève évocation (in)humaine est relatée de façon tellement simple et bouleversante à la fois !
Dans ces chapitres historiques, qui témoignent de l'un des épisodes les plus sombres de l'histoire humaine sans doute, à travers l'histoire d'un jeune homme terriblement humain, l'auteur a trouvé le ton juste qui touche au plus profond sans grandes fioritures ; il a complètement perdu cette espèce de gouaille franchouillarde que l'on trouvait avec David Berg, pour un style beaucoup plus simple mais tout à coup tellement prenant ! et on lit ses chapitres-là en tournant les pages sans plus pouvoir arrêter, puis on soupire à chaque fin de chapitre quand on retrouve l'autre histoire, tellement moins intéressante ou touchante !
Sans vouloir divulgâcher, j'ai aussi été un peu déçue par la fin, avec un sentiment de « tout ça pour ça » ? On espère seulement que David Berg va pouvoir un peu « grandir » désormais…
C'est donc réellement un livre à deux vitesses que j'ai découvert, entre une certaine irritation face à un anti-héros moderne sans consistance, occupé à une enquête assez creuse que l'auteur ne parvient pas à rendre intéressante, et l'émotion que procure une histoire prenante dans un contexte historique dur, pour lequel ce même auteur a sur trouver le ton le plus juste, bouleversant et humain malgré les situations inhumaines. Je reste très partagée…