Afghans, Somaliens, Irakiens, Erythréens, Syriens, nous sommes tous impatients de voir le soleil se lever, et tous effrayés aussi.
(...)
J'ai entendu dire que nous étions les indésirables, les importuns.
Que nous devrions emmener notre malheur ailleurs.
(..)
S'ils pouvaient voir, ne serait ce que la moitié de ce que toi, tu as vu, ils se montreraient plus bienveillants, c'est sur.
On se réveillait le matin au son de la brise
Dans les oliviers, des bêlements
De la chèvre et du tintement des casseroles
De ta grand-mère, à cette heure fraîche où
Le soleil dessinait à l'est un cercle pâle
Semblable au fruit qu'on appelle le kaki.
Mais cette vie, cette époque, ont tout d'un rêve aujourd'hui, même à mes propres yeux, comme une rumeur depuis longtemps éteinte.
Parce que mes seules pensées, ce soir, sont la profondeur de la mer, son immensité, son indifférence. Mon impuissance à te protéger d’elle. Je ne peux que prier. Prier que Dieu guide ce bateau à bon port, lorsque les côtes échappent à la vue et que nous sommes une moucheture dans le soulèvement des flots, chavirant et versant, facilement engloutie.
Parce que toi, Marwan, tu es une cargaison précieuse, la plus précieuse qu’il ait jamais été.
Je prie pour que la mer le sache.
Inch’Allah.
Combien je prie, pour que la mer le sache.
Je t’ai dit : « Prends ma main. Rien ne nous arrivera. » Ce ne sont que des mots. Le stratagème d’un père.
Cela tue ton père, ta confiance en lui.
Mais cette vie, cette époque,
Ont tout d'un rêve aujourd'hui,
Même à mes propres yeux,
Comme une rumeur depuis longtemps éteinte.
Mais j'entends la voix de ta mère
par-dessus la marée, et elle me murmure à l'oreille :
"Oh mais s'ils pouvaient voir, mon amour, s'ils pouvaient voir ne serait-ce que la moitié de ce que toi, tu as vu, ils se montreraient plus bienveillants, c'est sûr"
De ce voyage, je garde gravée dans ma mémoire l'image de ta mère qui te montrait un troupeau de vaches en train de paître dans un champ constellé de fleurs sauvages.
Car tu es une cargaison précieuse, Marwan. La plus précieuse qu’il ait jamais été. Je prie pour que la mer le sache.
Tu sais que le cratère creusé par une bombe peut devenir un trou d'eau où l'on se baigne.