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Critique de HundredDreams


« Quelquefois les agneaux se changent en lionnes, en tigresses, en pieuvres. »
Louise Michel, Mémoires.

Après de nombreuses critiques particulièrement engageantes d'ami.es babeliotes, il m'était impossible de passer à côté de ce premier roman de Caroline Hinault. Je vous remercie tous, ce thriller arctique a été une lecture très agréable. J'ai aimé la tension que l'auteure a exercée tout au long du récit grâce à un style simple mais efficace et une mise en scène particulièrement soignée.

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Au nord du cercle polaire arctique, sur la presqu'île de Solak, trois hommes, le climatologue Grizzly et deux militaires au passé trouble, Roq et Piotr, accueillent un quatrième homme dans la station de Solak.
Le lecteur, en même temps que le nouveau venu, découvre ce nouvel environnement. Et ce qui frappe d'emblée, c'est l'attitude de ce dernier. Son mutisme déstabilisant, son caractère taciturne, secret, solitaire et distant ont des répercussions immédiates sur les trois hommes qui vivent en autarcie depuis des mois.

« le gamin a pas répondu, son visage avait quelque chose d'abîmé, de déjà vieux, de déjà mort même j'ai pensé. Il est passé devant nous en portant un carton. J'ai repensé à ses yeux comme deux brochettes de glaçons. Fin comme une aiguille, mais ça puait l'écorché. le coriace. Les emmerdes je me suis dit. »

Ainsi, très vite, l'arrivée de ce très jeune soldat au comportement étrange, muet et inadapté aux conditions de vie particulièrement rude, va compliquer les relations entre eux, exacerbant les tensions déjà latentes.

Chaque personnage se dissimule derrière un masque imperméable, révélant très peu leur véritable personnalité. Même si le lecteur pressent le drame imminent, il ne sait qui va porter le premier coup et qui en sera la victime.

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Le temps de s'acclimater au style très nerveux de Caroline Hinault, et le soleil se couche pour nous plonger dans la pénombre arctique, transpercée de dérisoires brèches de lumière.

« Y avait pourtant parfois des aurores boréales tellement immenses qu'on aurait dit des ogresses vertes qui traînaient derrière elles leur dentelle d'étoiles, ça nous saupoudrait les yeux et nous coulait un goût de lumière au fond de la gorge. »

Le décor inhospitalier et rude que croque l'auteure à coups de crayons acérés nous permet d'imaginer cet univers sombre, vide, angoissant et violent où la folie n'est jamais loin.

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Caroline Hinault a réussi à créer des personnages très réalistes, tourmentés, intrigants, mystérieux. On aimerait connaître leur passé pour mieux les comprendre.
Les principaux figurants ne sont que quatre, mais pour parfaire cette atmosphère oppressante et hostile, l'auteure a ajouté un cinquième acteur et non des moindres, l'environnement lui-même, qui joue dans ce thriller glacial, un rôle majeur.
Car, si ce désert hivernal et fantomatique offre de magnifiques paysages de carte postale, sa beauté immaculée et fascinante dissimule un côté brutal, indomptable et impitoyable.

Nous sommes très rapidement pris dans une banquise de brouillard formant un dôme qui nous emprisonne avec eux. Par moments, cette chape opaque s'entrouvre par la force du vent et nous laisse voir brièvement les hommes dans leur nudité la plus crue, avant que la brume ne se referme et nous étreigne à nouveau dans un monde de silence et de solitude.
Ainsi, l'hiver arctique, la banquise, et la grande nuit constituent la toile de fond qui agit comme un miroir hémisphérique, révèlant la vraie nature des hommes.

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L'écriture à la première personne, surprenante, familière, sobre, féroce, semblable à du grésil, capture le drame qui se joue. Elle participe à créer un huis clos à ciel ouvert qui, de manière appuyée et graduelle, enserre le lecteur dans un étau mortel.

« le souffle commence à me manquer, le froid à geler mes mots. Mes poings sont déjà durcis, mes orteils aussi dans mes chaussures humides et mes yeux surtout, mes yeux sont morts grand ouverts parce qu'il y a des visions dont le regard se relève pas. »

Intrépides, implacables, les phrases vous cinglent.
Menaçants, incisifs, glacés, les mots rampent comme une bête à l'affut, s'approchant de leur victime jusqu'à l'acculer. Puis, furieux, enragés, les traits claquent, éclatent, les masques tombent et c'est la curée.

« Ce qu'il voulait surtout, c'était nous observer. Ça se sentait que derrière ses yeux bleu froid embués d'alcool, il cherchait à comprendre à qui il avait affaire, qu'il reniflait nos âmes sous le vernis du permafrost. »

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Pour conclure, Caroline Hinault compose un huis clos original et parfaitement maîtrisé dans une prose à la fois poétique et âpre.
Portrait de la solitude, de la violence et des conflits intérieurs, « Solak » constitue une tragédie humaine captivante qui reflète la violence des états émotionnels de ses personnages.
Ce premier roman est une très belle surprise que je vous conseille fortement.
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