Critique compliquée.
C'est un livre remarquable, à l'intention quasiment impossible : parler de l'holocauste, puis du sionisme, sur le ton de la satire. Ecrit et publié dans les années 60/70, d'abord aux Etats-Unis, où il fait beaucoup parler de lui, avant de finalement sortir dans son pays d'origine, l'Allemagne, engageant le débat soufré de la représentation historique…
Le genre de discussion qui équivaut en terme de difficulté à tenter de traverser un labyrinthe yeux-bandées-mains-liées, le point Goodwin comme Minotaure…
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En langue française, l'oeuvre d'
Hilsenrath, ce livre en premier, a connu plusieurs publications (Fayard, Albin Michel) espacées dans le temps, avant que la maison Attila (puis le Tripode), décide d'en éditer l'oeuvre complète, prenant le parti d'en confier la ligne graphique à un illustrateur bien en vue,
Henning Wagenbreth, et son esthétique entre jeux-vidéos « vintage » (si je vous avais dit « 8-Bits », j'aurais jargonné…) et une forme d'expressionnisme inquiétante, déclinant son art numérique le long de dix couvertures particulièrement voyantes.
Je reste très partagé sur celles-ci : réussies quant à leur caractère ambigüe, leur esthétique semble s'adresser trop directement à une génération bien loin d'avoir connu la guerre, glissant vers le fossé contemporain de l'anecdote… Tout comme le reste du bouquin, je me sens écartelé…
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Car employer la satire pour conter l'inénarrable me semble à la fois formidable, mais extrêmement risqué. Je ne reviendrais pas sur le médusant sketch télévisé du rabbin-nazi par cet humoriste banni, moi qui pensait alors qu'il nous tentait une farce kaufmannienne (d'après Andy Kaufman, immortalisé par Miloš Forman dans son film « Man on the Moon »), son plus grand tort, autre que de ne pas être juif (cela aurait malheureusement presque tout changé… Quel débat impossible…), est de ne pas avoir été bien drôle…
Me voilà embarqué dans d'impossibles controverses, sans avoir encore parlé d' « humour juif », à supposer qu'une telle chose existe précisément… Désolé, j'abandonne pour le moment…
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Moi d'ordinaire si friand d'ambiguïté, j'en reste ici paralysé, l'enjeu restant beaucoup trop grand. Il y a surtout un souci de temps historiques. A sa première parution, il offrait une excellente rampe d'ouverture au dialogue; de nos jours, il pourrait participer d'une forme de relativisme historique, dangereux si mal interprété.
Résumant bien l'inopérante dichotomie Bien / Mal de toute lecture historique (alors qu'on ne fait que cela…), il passe pourtant à côté du débat en refusant au lecteur toute réponse… sûrement parce qu'elles n'existent pas d'ailleurs… mais rien n'empêcherait d'en circonscrire quelques jalons…
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Non,
Hilsenrath nous balade sans cesse, dans une forme picaresque, jusqu'au doute permanent quant à la personnalité de son « héros », tour à tour simple suiveur agitant le fantôme d'Eichmann, aliéné halluciné, ou bien le Diable en personne ? C'est tout cela à la fois… c'est sûrement ce qu'il veut nous dire… de cette banalité omniprésente de la violence…
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Voilà donc un bon gros paradoxe, un indispensable dont on se passerait bien, une possible pierre blanche de la littérature que les années auront recouvert de boue.
Il se peut également que cela soit juste un roman raté…
Sa forme initiale devait être épistolaire (l'éditeur en a ajouté des fragments en fin de livre)…
*Argl !*… j'abandonne, moi qui espère toujours que l'on puisse rire de tout…