Je passais tellement d'heures à écrire, à détricoter mon mariage avec des mots. C'était comme si ma relation avec [ …] était un magnifique pull en laine , et que j'avais trouvé un petit fil qui dépassait. A force de tirer dessus, j'effaçait les motifs les uns après les autres. Chaque question, chaque incohérence que je notais dans mon carnet étaient une maille supplémentaire que je dénouais.
Cela fait des mois que je dors seule dans un lit simple - plus dans le lit king size que je partageais avec Richard - et pourtant, je continue à me serrer sur le côté gauche. A côté de moi, les draps sont froids. Je fais de la place pour un fantôme.
Peut-être que les œillères font partie de l’équipement nécessaire pour tomber amoureux.
Je n'arrive pas à croire qu'il me reste encore des larmes, pourtant elles continuent à rouler sur mes joues quand je me ressers à nouveau. La bouteille est presque vide et je renverse quelques gouttes sur mes draps blancs. Elles ressemblent à du sang. Un brouillard familier m'enveloppe, comme l'étreinte d'un vieil ami. J'ai l'impression de me fondre dans mon matelas. Peut-être que c'est ça que ma mère ressentait pendant ses journées difficiles, ses "petites vacances". Je regrette de ne pas avoir mieux compris, à l'époque. J'avais le sentiment qu'elle m'abandonnait mais, à présent, je sais qu'il y a des douleurs trop intenses pour être combattues. On ne peut que se mettre à l'abri et espérer que la tempête passera vite. Il est trop tard pour le lui dire, maintenant. Elle aussi est morte, comme papa.
" Et ta maman ? demanda enfin Nellie. Tu m'as dit qu'elle était mère au foyer…
- Elle était surtout fumeuse de Virginia Slim au foyer. Ou regardeuse de feuilletons télé au foyer."
Evidemment que mon mari avait envie de cette femme. N'importe quel homme aurait eu envie d'elle. Elle était à croquer.
Nous ajoutons tous par dessus nos souvenirs ces filtres à travers lesquels nous avons envie de voir notre vie
Ce jour là, dans la salle de bains, j'ai regardé une ligne bleue unique émerger sur le test de grossesse, aussi cinglante qu'un coup de fouet.
Ça a un nom, cette faculté de sentir qu’on nous observe : la 'scopaesthesia'. Toute une partie du cerveau humain est dédiée à cette aptitude héritée de nos ancêtres, qui leur permettait d’éviter de finir dans les griffes d’un prédateur.
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J'ai grandi aux côtés d'une mère qui vivait dans un monde très différent de celui des mamans de mes copines, qui amenaient leurs filles à leurs différentes activités au volant du break familial et qui leur préparaient des croque-monsieur pour le dîner. Les émotions de ma mère ressemblaient à une palette de couleurs intenses, sur laquelle on pouvait trouver un rouge éclatant comme un rose pastel ou un gris ardoise des plus profonds. Sous son agressivité de façade se cachait une femme fragile. […]
Avais-je hérité de sa vision particulière du monde et de sa sensibilité à fleur de peau ? Quelle part de mon ADN lui devais-je, et quelle part devais-je à mon père, cet homme aussi stable que patient ? Ma mère m'avait-elle transmis ses problèmes psychologiques ?