Le mystère de la conscience me fascine. Si vous avez lu mon livre « Croire ou savoir ? », vous le savez déjà !
Avez-vous vraiment réalisé que la seule certitude absolue qui vous soit accessible, que vous soyez scientifique ou non, est l'existence de votre propre conscience (si, bien sûr, vous en avez une, ce que je suppose sans toutefois pouvoir le prouver…) ? Tout le reste peut n'être qu'une illusion : tout ce que nous appelons le « réel » pourrait n'être qu'uns sorte de réalité virtuelle expérimentée par l'intermédiaire de notre cerveau. Je ne peux être sûr que d'une seule réalité absolue : « je suis conscient ». Et je suppose qu'il en est de même pour vous…
Pourtant, paradoxalement, cette unique certitude, l'existence de notre propre conscience, reste, à ce jour, complètement inaccessible à l'investigation scientifique. Certes, les neurosciences ont bien progressé dans la description et la compréhension des corrélats neuronaux des divers aspects de la conscience (plaisir, souffrance, sensations diverses), mais la nature même de la conscience reste inaccessible. La science actuelle ne sait aborder que les phénomènes objectifs ; ce qui relève du subjectif lui est complètement étranger. Même une définition rigoureuse de la conscience est hors de portée, de même qu'il vous est impossible de vous assurer qu'une conscience est bien associée à un organisme autre que le vôtre, qu'il s'agisse d'un animal, d'une plante, ou même simplement d'un être humain autre que vous-même… Et la question se renouvelle aujourd'hui avec les progrès effectués en matière d'intelligence artificielle !
Dans son livre,
Annaka Harris aborde avec compétence et une grande clarté ce "problème difficile" des neurosciences auquel encore trop peu de chercheurs osent se confronter, par peur, sans doute, d'y laisser leur réputation. Elle n'élucide certes pas le mystère, mais propose une réflexion approfondie sur la base des connaissances actuelles apportées par les neurosciences. L'idée d'un « au-delà » du matérialisme est tout à fait compatible avec les fabuleuses et intrigantes découvertes de la physique quantique. Depuis près d'un siècle maintenant, cette discipline a ouvert en grand une porte vers la possibilité d'existence, pour décrire
L Univers dit "réel" de propriétés de la matière encore inconnues, voire d'autres "composants" que la matière et l'énergie (et le vide). Cette existence paraît de plus en plus probable, au point que de nombreux scientifiques n'hésitent plus à parler désormais d'une science post-matérialiste en développement (et en continuité avec la physique quantique qui en laisse entrevoir les prémisses).
À la lumière de l'apport des neurosciences,
Annaka Harris nous livre une remarquable description de l'élaboration d'une perception. Il semblerait que la prise de conscience ne se produise qu'un tout petit instant après la prise de décision opérée par le cerveau (pour les organismes qui en ont un...). Cette prise de décision s'opèrerait de façon complètement automatique (comme on imagine que le ferait une intelligence artificielle). L'autrice envisage donc la possibilité que la volonté consciente soit illusoire, la conscience se contentant d'observer les évènements par l'intermédiaire du cerveau. Si on pouvait confirmer une telle hypothèse, on serait amené à une remise en cause radicale de tous les préjugés sur le libre arbitre... La citation suivante de son livre reflète cette hypothèse : « … Dès lors, quel rôle joue la conscience si elle ne crée pas la volonté de bouger, mais se contente de regarder le mouvement se faire tout en ayant l'illusion d'être impliquée ? Nous constatons que le sentiment de libre arbitre , tel que nous l'éprouvons habituellement, n'est pas aussi immédiat qu'il y paraît ».
Annaka Harris fait appel à sa connaissance de la méditation pour illustrer la possibilité de se placer dans un état où on peut expérimenter cette attitude d'observation et ainsi percevoir l'irréalité du moi. Elle se rapproche ainsi de la notion bouddhiste de moi illusoire.
Ces réflexions l'amènent à retenir l'hypothèse du panpsychisme pour laquelle la conscience serait répartie dans l'ensemble de l'Univers matériel et pas seulement dans les être vivants suffisamment complexes : elle pourrait être déjà présente au niveau des particules élémentaires. L'autrice ne pense pas que la conscience se réduise à un simple phénomène émergent produit par l'activité du cerveau, mais penche plutôt pour une sorte de propriété de la matière qui resterait encore à découvrir. Une telle hypothèse serait en accord avec l'ensemble des découvertes de la physique quantique et pourrait même fournir une voie pour rendre compte de certaines de ses caractéristiques les plus surprenantes.
Curieusement, une hypothèse n'est pas envisagée : celle que la conscience, tout en n'étant pas qu'un simple phénomène émergent produit par l'activité de l'organisme (et plus particulièrement du cerveau) ne soit pas non plus qu'une propriété de cet organisme, mais une entité autonome capable d'utiliser un organisme physique pour éprouver des sensations, comme, en quelque sorte, avec un casque de réalité virtuelle. Pourtant une telle hypothèse serait tout aussi compatible avec les découvertes de la physique quantique. Elle nécessiterait l'existence, pour décrire l'Univers, d'un autre « composant » que la matière, l'énergie et le vide, un composant que l'on pourrait, faute de mieux, appeler « esprit ».
Cette hypothèse permettrait même de retrouver une certaine forme de libre arbitre. En effet, on pourrait imaginer que la conscience d'un organisme soit capable de choisir son propre chemin à travers les innombrables embranchements d'un immense Multivers dont l'existence paraît de plus en plus vraisemblable aujourd'hui, car il constituerait, entre autres, une bonne manière d'interpréter la physique quantique (il s'agit de l'interprétation d'Everett). La conscience jouerait ainsi une sorte de partie d'échecs particulière parmi toutes les parties possibles, ou encore une partie dans un jeu de réalité virtuelle, qu'elle choisirait, en quelque sorte, parmi toutes les possibilités offertes par le logiciel utilisé.
En tout cas, quel que soit le point de vue que vous adoptez, vous trouverez dans ce livre une mine de réflexions éclairantes.
Annaka Harris réalise l'exploit d'exprimer clairement des concepts subtils dans un domaine où il est très difficile de formuler des idées cohérentes et où la plupart des mots sont piégés. Il s'agit d'une remarquable « introduction à la conscience », pour reprendre d'expression du sous-titre du livre.