Un homme brillant précipité dans une impitoyable descente aux enfers à la suite d'un accident dont a été victime un homme noir, cela ne vous rappelle rien ?
Eh bien pour moi, ce pitch a évoqué immédiatement "
le bûcher des vanités", premier roman de l'Américain
Tom Wolfe paru en1987, un "page-turner" qui a fait le succès de son auteur en décrivant avec minutie les mécanismes à l'oeuvre pour précipiter la chute de son héros.
Chez l'Israelienne
Ayelet Gundar-Goshen, on n'est pas dans le même monde mais les ressorts de l'intrigue sont similaires même si l'issue est différente . Un médecin, exilé dans la région de Beer-Sheva à cause de son intransigeance , vit mal l'ostracisme dont il a été frappé et éprouve un grand besoin de se défouler, ce qui le conduit à partir dans les dunes du sud au volant de son gros 4X4 dont il prend plaisir à faire rugir le moteur. Quand son regard dévie du chemin pour regarder la lune ronde qui éclaire le paysage, il renverse un homme qui cheminait sur le bord de la route. Terrorisé, il prend la fuite .
Le ton des deux romans est cependant bien différent. Ici, l'analyse des personnages est particulièrement fouillée et le rythme beaucoup plus lent.
La veuve de la victime, la fière erythréenne Sirkitt, n'accepte pas l'argent que le médecin Ethan lui propose comme prix de son silence, mais le contraint à venir soigner les exclus de la société dans un dispensaire clandestin.
L'épouse d'Ethan, Liath, inspecteur de police, enquête sur l'accident et cherche à en trouver le responsable tout en s'interrogeant sur le comportement de son mari qui passe toutes ses nuits dehors.
Que d'ambiguïtés dans les motivations des uns et des autres ! L'altruisme, la générosité, la compassion ne seraient-elles pas que la partie avouable des motivations des personnages qui recèlent une belle part d'ombre et éprouvent aussi de la peur, de la honte, un désir de vengeance ...
L'auteur excelle à détricoter les interprétations et joue avec les fantasmes du désir qui vient se loger secrètement dans les coeurs.
Non décidément, je ne dirai pas que ce roman peut être qualifié d'humanitaire, ni même de roman social dénonçant la politique israelienne à l'encontre des migrants. Pour moi, il s'agit avant tout d'un roman centré sur le couple, Ethan et Liath, deux personnes qui s'aiment et se respectent et n'arrivent pourtant pas à briser le mur de silence qui s'installe insidieusement et menace leur avenir commun.
De nombreuses digressions, notamment le surgissement des souvenirs intimes des protagonistes, donnent à ce récit un rythme qui peut nuire au ressort dramatique, mais approfondit la psychologie de chaque personnage.
Un livre à savourer lentement, qui laisse une impression d'amertume, car la complexité de la vie ne fait pas bon ménage avec les idéaux et personne ne sortira indemne de l'histoire.