Cette année, pourquoi ne pas quitter les sentiers battus avec un petit itinéraire géographico-littéraire loin de notre zone de confort ? C'est décidé, en 2022 on essaye de lire de nouveaux auteurs, originaires de pays dont la scène littéraire est pas/peu connue. C'est précisément l'objectif des éditions Belleville que de donner la parole aux pays moins explorés en littérature contemporaine et offrir une alternative au duo classique roman américain/polar suédois. Débutons ce voyage littéraire avec les Balkans et la découverte de l'oeuvre de ce jeune serbe,
Filip Grbic, écrivain et professeur de philosophie à Belgrade, qui s'attaque dans «
Errance » à la thématique difficile de la dépression et au processus d'autodestruction qui l'accompagne.
Maksim Tumanov est un personnage en décadence, meurtri, égaré et constamment en souffrance. Il est en constante recherche d'un remède qui soulagera ses douleurs intérieures, guérira les blessures de son âme et lui permettra d'être plus calme – du moins pour quelque temps. Il faut dire que le suicide de son ami Viktor a rouvert des plaies béantes. Alcool, drogue, provoc' et lendemains de soirées pathétiques et violents. Maksim Tumanov est un personnage égaré dans un monde où il ne trouve pas sa place. Cette
errance déteint sur son entourage, à commencer par sa compagne Nina, avec qui il ne peut avoir d'enfant et qui s'apprête à le quitter.
Le lecteur est pris dans son «
Errance », faite de dépendances et de rejets divers et variés: on le voit se débattre, résister, succomber, retomber plus bas, toujours plus bas, malgré quelques phases de lucidité, il va de mal en pis…
Le thème de la dépression est un sujet de société très actuel, et l'auteur serbe
Filip Grbic aborde, avec ce roman, toute la complexité de cet état de mal-être (permanent ou occasionnel).
Dès les premières pages, on comprend que le récit sera sombre et rempli de souffrances, mais très rapidement l'intrigue verse dans la thématique médicale : Maksim, le personnage principal de
Errance, tente de fuir ses démons en basculant dans la drogue ou la pharmacothérapie (sans que l'on sache véritablement s'il s'agit des causes ou davantage des conséquences de cette souffrance).
Si la thématique peut rebuter, il n'en demeure pas moins que
Filip Grbic nous offre une oeuvre littéraire complexe et aboutie. Une véritable démarche artistique, à l'image dernièrement de Stromae qui aborde ses épisodes dépressifs dans sa chanson « L'Enfer ». La dépression est un fléau silencieux et pernicieux. C'est nécessaire d'en parler, d'en faire des textes, des actions fortes, de le rendre visible à travers des propositions en tout genre.
Ici, il est question d'un objet littéraire. Sous ses allures de « roman noir », le livre se révèle être avant tout un « roman philosophique » en introduisant dans ses pages des réflexions, parfois inspirées d'une philosophie précise (philosophie nietzschéenne), qui s'interrogent ou prennent position sur des grands problèmes, tels que la marche de la société, les questions religieuses ou encore le sens de la vie. En ce sens, le roman perd un peu de son pouvoir divertissant au profit de l'intention démonstrative.
La lecture est d'autant plus éprouvante qu'à aucun moment le lecteur ne s'attache au personnage de Maksim Tumanov qui respire le pessimisme, c'est un personnage malheureux dans tous les sens du terme. le personnage est présenté à travers ses failles, ses défauts, ses ratés, et son mal-être contagieux. Sa dépression est tellement dévastatrice, pour lui d'abord, mais, pour son entourage également, que le lecteur a du mal à trouver son attache. Il est saisissant de voir qu'il y a autant de personnes qui subissent les conséquences de cette maladie mentale.
Finalement, à l'instar de
Michel Houellebecq (comparaison mise en avant par l'éditeur), l'objectif de l'auteur est davantage d'interpeller le lecteur et le questionner. En cela, c'est fort réussi ! On referme le livre avec des interrogations renouvelées par une fin de récit singulière : Maksim s'est-il repenti, va-t-il continuer à souffrir ? Cette autodestruction d'abord psychologique puis physique est-elle irrémédiable ? Est-ce que l'on peut attendre de la science ou du corps médical, un traitement « miracle » à ce mal du siècle ? L'exemple parfait du livre qui invite au débat et à l'échange.
En résumé, une lecture exigeante et éprouvante par sa thématique et un angle d'approche qui invite à la réflexion, philosophique voire parfois spirituelle. Une oeuvre littéraire ambitieuse mais maitrisée qui révèle tout le talent de
Filip Grbic, un jeune écrivain serbe à suivre de près !
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