Un voyage initiatique échevelé au pays imaginaire et mouvant de Pitchi-Poï, où la poésie sous toutes ses formes permettra peut-être d'affronter le deuil intime et l'histoire planétaire du siècle écoulé.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/04/09/note-de-lecture-
les-theses-inconnues-michel-gerbal/
Pour raccorder l'histoire intime d'une famille à celle des luttes et des oppressions,
Michel Gerbal joue aussi bien de l'humour subtilement rentré que l'on trouve par exemple chez le
Frédéric Fiolof de «
Finir les restes » (à propos de possibilité du deuil, sans hasard aucun) que de la mélancolie presque paisible du
David Lescot de « La commission centrale de l'enfance », du travail préparatoire d'un
Roland Barthes appliqué sur un terrain inattendu que des espaces de Radio-Terreur explorés ailleurs par
Lucie Taïeb (dans «
Safe » comme dans «
Les échappées »), des spéculations sur la manipulation de l'imaginaire des camps, dignes du
Paul Verhaeghen d'«
Oméga mineur » ou du
William H. Gass du « Tunnel », que du golem réinventé et retravaillé par
Manuel Candré.
C'est que dans ces 330 pages, contre toute apparence initiale d'intemporalité, il y a urgence. Urgence à saisir, avec
Theodor W. Adorno et
Hannah Arendt, bien sûr, mais sans doute surtout avec
Günther Anders qu'il y a bien risque d'obsolescence de l'homme : c'est dans le travail de la praxis au fond des consciences, dans l'échange serein et combatif par-delà les générations éventuellement « perdues », dans la réfutation avec
Gilles Deleuze et
Félix Guattari du vide insinué au creux des machines désirantes, dans le refus patient de la résignation et de l'abandon (l'éducation populaire, en exemple significatif, ne sera pas ici qu'un pur objet de mélancolie), que se forgent au quotidien encore les outils de demain.
En toute complicité avec le Nanni Moretti de « Palombella Rossa » (en tournant autour de la question adressée jadis au père : « Pourquoi as-tu dit : Je ne suis plus marxiste ? »), en construisant une « Maison des épreuves » aussi puissante que celle de
Jason Hrivnak, en élevant une patiente cathédrale du langage et de l'intellect en résonance avec celles de
Patrick Beurard-Valdoye peut-être, en démontrant à chaque page une inventivité langagière allant chercher lorsque nécessaire un terme rare et incroyablement précis ou une astuce étymologique pour exprimer sa poésie si singulière,
Michel Gerbal nous offre une complexe mythographie ad hoc, une poésie ramifiée et combattante, et in fine une somptueuse nef des fous bienveillants.
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