Mark Galeotti se trouvait pendant les années finales de l'URSS à Moscou afin d'y faire des recherches pour son doctorat à l'université de Yale portant sur l'impact de la guerre soviétique en Afghanistan.
Intrigué par la grande criminalité en Russie, l'auteur a profité de son séjour moscovite pour approfondir le phénomène unique au monde des "vor v zakone" (вор в законе) ou le titre attribué à un petit nombre de criminels formant l'« élite » de la mafia des pays de l'ex-URSS et jouissant d'une autorité
reconnue dans le milieu, selon Wikipédia.
Littéralement le terme signifie en Français "voleur dans la loi". Cette loi ou code était des règles de conduite définies par eux et qui excluaient par exemple toute forme de coopération avec les autorités.
Le vor - pluriel vory - montre fièrement son état par un système assez sophistiqué de tatouages corporels. Voir la photo de couverture de l'ouvrage.
Mark Galeotti a tellement bien mené ses recherches que le livre qu'il en a publié est considéré par les spécialistes et connaisseurs comme l'ouvrage de base en la matière.
Peter Pomerantsev, l'auteur de "Rien n'est vrai tout est possible", en loue la profondeur et l'analyse nuancée de ce phénomène, tandis que
Misha Glenny, auteur de "McMafia", apprécie la façon dont ce livre explique comment le crime s'est inscrit dans les calculs économiques et politiques des dirigeants russes du tsar
Nicolas II à Poutine.
L'auteur analyse en effet successivement les fondations du crime organisé en Russie, l'émergence des vory, le monde criminel durant le régime communiste, la phase de la perestroïka sous
Gorbatchev, le bref passage de
Boris Eltsine et le long règne du "capo mafioso "
Vladimir Vladimirovitch Poutine depuis le 31 décembre 1999.
Il est frappant de lire dans la préface du livre que l'auteur déclare avoir pu constater au fil des années la montée et ensuite sinon la chute, du moins la domination des vieux chefs criminels par une élite politique nettement plus impitoyable qu'eux.
Des vory comme le légendaire
Viatcheslav Ivanov (1940-2009), surnommé "Yaponchik" (petit Japonais, à cause de ses traits asiatiques) ont cédé en quelque sorte la place à des affreux comme notamment Evgueni Prigojine, ancien taulard, chef cuisinier de Poutine, directeur de l'usine à trolls de Saint-Pétersbourg et créateur du groupe des mercenaires Wagner, considéré tout récemment par le gouvernement américain comme une organisation criminelle (Cfr. la déclaration du porte-parole de la Maison-Blanche John Kirby avant-hier).
L'auteur cite à ce propos l'ancien lieutenant-général de la police, Vladimir Ovchinsky en 2016 : "À présent on assiste à une espèce de 'nationalisation' de la mafia. Les structures de la mafia sont en train d'être remplacées par celles des autorités."
Bien que l'ouvrage soit très complet avec 24 pages de notes de bas de page en fin de volume, un index de 10 pages, un glossaire de 2 pages et demi et basé sur une documentation abondante, le livre se lit facilement à cause du style de l'auteur qui a tenu à ce que son oeuvre soit accessible à un public aussi large que possible.
Pour le plus grand plaisir du lecteur le livre est truffé d'adages russes, tels les grands voleurs font pendre les petits et de citations littéraires entre autres des "Récits de
Kolyma" de
Varlam Chalamov et des "
Contes d'Odessa" d'
Isaac Babel.
Je termine par la sagesse d'un policier à l'auteur en 1989 : "Si vous voulez comprendre le monde des criminels d'aujourd'hui ? Lisez Babel, Gorki et lisez ce qui s'est passé à Odessa sous les tsars."
Ce flic était peut-être bien sage, mais manifestement dépassé par les événements liés à un Poutine au Kremlin et d'un Prigojine devant le four de sa cuisine, méditant ensemble de très nobles projets !