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Critique de HordeDuContrevent


Me voilà silencieuse face à la page blanche après lecture de ce livre « Minuit dans la ville des songes » de René Frégni. Ma plume tournicote et hésite. Comment trouver les mots justes après avoir lu de telles phrases emplies d'humanité, ce style à la fois simple, modeste et sensoriel, écriture d'autant plus magnifique lorsqu'on sait quel a été le parcours de vie de René Frégni ? Lorsque l'on connait son aversion viscérale dès le plus jeune âge pour toute institution portant atteinte à sa liberté, à savoir l'école et l'armée. Ce qui lui vaudra des années de cavalcade, d'errance, de fuite, de vagabondage.

« Je détestais les livres d'école, je n'aimais que la voix de ma mère. Durant toute mon enfance, aux confins de Marseille, je suis allé à l'école au bout de notre impasse, avec la peur au ventre d'être interrogé, avec ce rat de peur qui me rongeait le ventre ».

Autobiographie d'un mouton à cinq pattes. Autobiographie d'un poète rebelle et vagabond. Autobiographie d'un déserteur provençal. Autobiographie d'un amoureux éperdu des livres. Que de qualificatifs possibles pour résumer René Frégni, que d'adjectifs réducteurs aussi. René Frégni c'est tout ça à la fois tant il a eu mille vies, homme rare, poète profondément humain, vagabond, personnage parfois sauvage et inconscient, voire irresponsable, révolutionnaire, antimilitariste, homme simple plaçant sa vie sous le signe de la sobriété loin du tumulte et des turpitudes des villes, être éminemment solaire, méditerranéen dans l'âme, lecteur passionné…et surtout, surtout, écrivain unique. Un personnage ce Monsieur Frégni. Un beau personnage.

L'histoire d'une étincelle indomptable devenu feu bleuissant tranquillement dans l'âtre, un feu nourri aux livres se faisant de plus en plus chaud, grand et puissant au fil des années. Même si nous percevons à la fin du livre comme un feu étouffé, une légère fumée noire, funeste. Minuit aurait-il sonné pour la Terre et pour notre homme ? Je ne veux pas le croire, non…

Ma lecture fut imprégnée du son mélodieux de sa voix, de son accent aux éclats de soleil, je l'ai comme entendu se livrer pour nous dire sa passion des livres, son besoin viscéral d'écriture, « ce grand voyage des mots, d'émotions, de paysages imaginaires qui estompaient ceux que je traversais » ; je l'ai entendu clamer tout son amour aux personnes ayant été des étoiles dans sa vie. Des boussoles. Sa mère ainsi que Ange-Marie Santucci, prisonnier corse avec qui René avait fait quelques menus larcins alors qu'ils étaient minots, sont les deux personnes les plus importantes me semble-t-il, la première pour l'amour infini et patient prodigué malgré son côté indomptable, le second pour lui avoir insufflé en prison la passion des livres, le meilleur vecteur d'évasion et de pouvoir. Les mots abolissant les barreaux, les murs de la prison. Les mots apportant savoir, connaissance, respect.

« J'essaie de retrouver, avant de m'endormir, toutes ces femmes et tous ces hommes que j'ai croisés, ces fantômes agités ou silencieux qui ont glissé devant mes yeux, comme des barques dans la nuit ».

Un éloge aux paysages provençaux et à la Corse, voilà ce que nous offre également René Frégni. Quelle façon merveilleuse de décrire ces décors aimés du Sud de la France et de l'île de beauté, gorgés de soleil, aux odeurs saturés de thym, de garrigue, de mer bleue. Alors qu'il est épaté par la façon dont Jean Giono arrive en quelques pages à l'emporter dans ce Sud natal, j'ai ressenti la même chose en le lisant, je fus avec lui dans ses pérégrinations méditerranéennes, ressentant la chaleur s'infiltrer en moi, sentant l'odeur des citronniers, des orangers et des figuiers, rêvassant dans ces chambres de bruyères et de genêt, admirant les façades ocres des maisons, écoutant le bruit des cigales. L'observant, dans ce décor aux mille couleurs, aux mille senteurs, lire Giono et être lui-même émerveillé. Effet miroir.

« Bastia est un amphithéâtre dont l'immense scène est la mer. Vous grimpez entre deux falaises de maisons et vous débouchez tout en haut, sur le ciel et la mer. Chaque venelle obscure plonge dans le bleu. Partout c'est un combat aphrodisiaque entre l'odeur sauvage du maquis et celle des embruns ».

« Minuit dans la ville des songes » est également un éloge vibrant aux auteurs qui ont marqué et façonné à jamais sa vie, le premier d'entre eux étant Jean Giono, puis Dostoïevski, Rimbaud, Céline…Chaque auteur lui apporte un savoir, une émotion, et pour chaque auteur René Frégni prend le temps de nous expliquer ce premier rendez-vous, ce premier contact et l'émotion associée. Sans oublier le tout premier livre réellement lu, une autobiographie de Lucky Liciano, émigré sicilien qui allait devenir le plus célèbre gangster des Etats-Unis.
Un bel hommage aux femmes aussi. Lire René Frégni c'est vouloir être tour à tour sa mère, sa soeur, son amante, son âme soeur. Respect, délicatesse, tendresse, sensualité, voilà ce qui se dégage de lui lorsqu'il parle des femmes, lorsqu'il écrit les femmes. Pas étonnant qu'il ait un fan club ici sur Babelio, fan club assez féminin…nous sommes toutes amoureuses de René je crois bien.

« On a toujours raison de penser à nos mères, où qu'elles soient elles nous montrent le chemin le moins périlleux, le plus tendre ».

De grands auteurs, des femmes, une poignée d'homme de parole, des rencontres salvatrices, formatrices, essentielles. Ne rien ajouter de plus. Je pourrais faire miens ses mots, murmurés alors que René Frégni vient de terminer Cent de solitude : « La beauté mélancolique de ce roman flotte encore autour de moi, comme ces nuages de papillons »
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