(Lu dans le cadre d'une opération Masse critique, mille mercis à l'éditeur et à Babelio pour cette lecture)
Paru à l'été 2021, je ne découvre ce livre qu'en mars 2022, mais le sujet colle bien à l'actualité, avec la guerre en Ukraine. Ce court essai s'intéresse en effet aux exportations d'armes françaises et au secret qui les entoure, et notamment les armes destinées à des pays qui en font un usage de répression interne ou de massacre de populations (Egypte et Arabie Saoudite en tête, mais aussi Russie).
Avant de parler du fond, un mot sur la taille du bouquin. Quand je dis qu'il est court, disons qu'on a déjà vu des rapports plus épais : moins de 200 pages format poche, écrites en très gros, et en réalité guère plus de 130 pages une fois retirées les pages blanches entre les chapitres. Et des chapitres, il y en a : 32 composés de 2 à 8 pages. Tout ce bilan statistique pour dire que j'ai eu l'impression, au début de ma lecture, que les auteurs essayaient de gonfler le nombre de pages mais n'avaient pas grand-chose à dire. Après lecture, et même si je ne suis pas convaincu par ce surdécoupage en mini-chapitres, je pense qu'il n'en est rien et que les auteurs ont simplement le mérite d'être le plus synthétiques possible, sans noircir des pages inutilement. Surtout, on comprend à la lecture que l'opacité des ventes d‘armes en France ne permet pas d'entrer dans les détails. Alors oui, personnellement j'aurais aimé un essai plus approfondi sur les ventes d'armes en général, et pas seulement françaises et/ou destinées à une sélection de pays, mais les auteurs - journaliste et membre d'
Amnesty International - remplissent parfaitement leur mission d'information et de dénonciation de pratiques cyniques via cet essai d'utilité publique.
Le livre retrace donc plusieurs décennies de ventes d'armes par la France, de façon assez chronologique, mais se concentre sur les années 2010, qu'on pourrait aussi qualifier d'années
Jean-Yves le Drian. le ministre de la Défense puis des Affaires étrangères (qui a même droit à des repères biographiques en fin d'ouvrage, après d'autres annexes intéressantes) a en effet toujours oeuvré pour le bien de l'industrie française d'armement, en multipliant les ventes auprès de régimes pas forcément très fréquentables. Les auteurs écrivent en termes choisis, mais je résumerai l'analyse de façon plus directe en disant que cet homme-là a du sang sur les mains. Il devrait en tout cas s'interroger sur sa responsabilité dans la mort de dizaines de milliers de civils au Yémen, bombardés par des armes françaises selon des rapports internationaux. Il n'est pas le seul bien sûr, ses premiers ministres, présidents et autres décideurs politiques sont responsables (et seront peut-être redevables un jour) de ces livraisons d'armes contraires aux traités signés par la France, sous le prétexte de la sauvegarde d'emplois en France. Les sociétés produisant ces armes sont moins citées dans cet ouvrage que les décideurs politiques, mais elles sont évidemment les premières responsables, avec en prime leur mainmise sur une partie de la presse (comme
Le Figaro et Valeurs actuelles) qui célèbre ainsi les contrats juteux en passant sous silence l'usage qui est fait de ces armes.
Alors on pourra rétorquer que les armes sont faites pour tuer et que leur destination importe peu. Ce serait un peu facile. le but de ce livre n'est pas de remettre en cause les exportations d'armes dans leur ensemble mais de dénoncer des ventes d'armes utilisées par des régimes autoritaires contre des populations civiles, des ventes en principe interdites mais qui pourtant se poursuivent. le tout dans la plus parfaite opacité, puisque tout est soumis au secret défense, puisque les autorisations de ventes sont accordées par les gouvernements successifs sans aucun contrôle indépendant, puisque les questions et rapports parlementaires et demandes d'ONG restent sans réponse et puisque la justice est impuissante sur ces sujets.
Un livre accablant donc, qui aurait mérité d'être complété sur certains aspects (par exemple sur les réactions de nos partenaires européens) mais qui, malgré son format court, s'avère d'une grande richesse et très bien documenté. Il restera malheureusement sans conséquence sur ces pratiques, on peut le craindre.