J'ai vu qu'il s'agissait d'une petite fille. J'ai pensé " A quoi bon qu'elle vive". Une pulsion redoutable s'est emparée de moi, le nourrisson s'epoumone et je pose ma main sur sa petite bouche outrageusement dessinée, je veux etouffer ses cris et bien plus encore. J'ai voulu tuer ma fille que je ne connaissais pas par amour, j'ai voulu tuer ma fille que je ne connaissais pas pour la protéger des pires choses qui pouvaient lui arriver, comme s'il y avait pire que la mort. La vie, quand on est une fille. Elle connaîtrait des choses horribles et il valait mieux que ça arrete comme ça, avant que tout commence. Il n'y a pas de mot pour qualifier ces pensées. C'est effroyable. Une mère ne peut pas avoir pareilles pensées.
Je pense aux jours heureux. Ils se comptent sur les doigts d'une main.
Dors mon lionceau, dors mon petit ange. Mon cœur est prêt à exploser. Ça cogne à l'intérieur. Ça fait mal pareil amour, c'est violent. Quand je regarde mon bébé dormir, je me sens sale. On ne peut pas vouloir de mal à la personne qu'on chérit le plus au monde.
Ce sentiment si puissant qui déborde, cette impression de m'être trop gavée d'amour, de ne plus pouvoir vivre avec, de vouloir le rejeter. D'avancer au quotidien avec une boule coincée au niveau de la gorge, un truc qui ne passe pas et qu'il faut expulser. J'ai envie de vomir l'amour pour ma fille.
Alphonse : Tu es heureuse ?
Moi : Je n'en sais rien. Je vis une maternité muette.
Alphonse : Alors, tais-toi.
Ida dévore la vie comme elle me dévore. Elle me bouffe. Avant elle, je n'étais déjà pas grand chose. Depuis elle, je ne suis plus rien.
Je déteste ma peau. Je n'ai même pas été fichue d'être noire en Afrique, ni blanche en Europe.
Il est déjà difficile de se supporter soi-même alors accepter une petite chose qui sort de son propre corps ?
J'ai ce pouvoir de vie et de mort sur elle. C'est ma fille. Elle est à moi. Un morceau de moi, le prolongement de mon corps, un rejeton.
La maternité n'a en rien révélé ma féminité, elle a libéré ma bestialité