J'ai mis un bon bout de temps à le lire, ce 8è tome. Il est épais, mais c'est un livre de (dark)fantasy, donc rien de surprenant concernant sa densité. Les acteurs sont encore très nombreux, mais c'est la même rengaine depuis le 1er tome.
Non, c'est plutôt le traitement des personnages qui est très poussé, même pour les plus secondaires. On entre, parfois de manière assez floue ou du moins très personnelle, dans les pensées les plus intimes, les envies les plus viles, les doutes les plus inextricables ou encore les questionnements les plus spirituels. le style très allusif de
Steven Erikson complique certes la compréhension, mais titille avec délice la curiosité. C'est ce que j'aime chez lui, cet étalage de personnages charismatiques dont les actes sont guidés par des motivations complexes et qui deviennent le jouet de leurs propres émotions.
( Je regrette également un manque de grosses batailles, qui auraient pu dynamiser le récit. Mais l'intérêt de ce tome n'en ait toute fois pas diminué. )
Le centre du récit est la cité de Darujhistan, où se trouvent déjà certaines têtes connues alors que d'autres reviennent ou la découvrent pour la première fois. Et c'est en pleine festivité que tout va tourner au vinaigre... La pression va monter (lentement mais sûrement) pendant que les rencontres se font et que les amitiés s'entrechoquent.
Si l'ambiance est, comme à l'accoutumée, très sombre, poisseuse et sordide à souhait (le méchant monsieur aux moignons...), on se marre tout de même sacrément bien avec Kruppe, Brûlon et Leff, ou encore la bande à Bougeotte.
En revanche, pas de sourires (mais vraiment aucun !) du côté de Corail la Noire, où ont élu domicile les Tiste Andiis d'Anomander Rake. La garenne de Kurald Galain forme une chape de triste noirceur où la déprime s'invite dans de nombreux coeurs tandis que les fidèles d'un nouveau dieu viennent quémander une impossible rédemption au pied de son tumulus.
Ce n'est pas plus folichon du côté de Nimander et de ses camarades Tistes, malgré les efforts de Tiquet, qui eux aussi doivent se confronter à un nouveau dieu. Un dieu à l'opposé du Rédempteur, qui distille un poison on ne peut plus vicieux et destructeur. Une foi obnubilée par la déchéance.
Ils doivent accompagner et protéger l'agaçant Davier, le Glaive mortel des Ténèbres.
Cet arc est très sombre et nous procure de purs moments de folie malsaine.
Il y a aussi de gros balèzes qui se promènent dans le coin et qui veulent rejoindre Darujhistan. On fera donc un bout de route avec Karsa et Voyageur, Kallor (qu'il me tardait de retrouver), Ombretrône et Cotillon (vite fait), et les molosses de l'ombre, toujours dans les bons coups...
Tellement de choses à se mettre sous la dent que l'abcès en profite pour s'installer et colorer tout ça en fluide putride. Au niveau de l'ambiance, je veux dire, car malgré un rythme très lent, il y a énormément de passages marquants à s'en faire péter la panse.
Les dernières pages, évidemment, que vous risquez de lire d'une traite (pas les deux dernières, je pense plutôt aux deux cents dernières), mais aussi les histoires plus secondaires, comme celle d'Harllo, de l'assassin aux moignons et de Challice Vidikas.
Puis aussi les événements concernant l'attaque de la taverne de K'rul, les tourments de Spinnock Durav et d'Endest Silann, les déboires de Torvald Nom... Et tant d'autres !
La palme de l'arc le plus démentiel revient sûrement à celui de la guilde de la Trygalle. Faites comme Mappo et ce bourrin de Grognard, n'hésitez pas une seconde à embarquer pour un voyage aux côtés d'un équipage aux petits soins, sans aucune véritable santé mentale, prête à vous faire regretter d'avoir quitté la fange sanglante de votre dernière bataille !
Un tome encore rempli à ras bord et qui demande beaucoup de concentration. Je laisse une nouvelle fois de côté ma frustration de ne pas tout bien saisir et je savoure cette lecture qui fut bien alléchante, forte en émotions, en ambiance, en imaginaire.
Je me suis régalé de l'atmosphère dépressive de certains arcs, du ton humoristique d'autres, de la violence humaine déployée par des raclures de toute sorte et de la compassion arrivant à guider certains individus pourtant plongés dans les ténèbres de leur immense douleur...