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Critique de enjie77


Sur les conseils d'Anna, après l'Acacia, je me suis lancée à la découverte de Jean Echenoz et quelle découverte ! Un choc ! Une stupéfaction devant un tel talent littéraire ! Deux récits à l'écriture diamétralement opposée mais qui sont complémentaires, deux talents, deux lectures exigeantes comme je les apprécie mais deux lectures qui se répondent.

J'ai beaucoup lu sur ladite Grande Guerre (la grande boucherie). Jusqu'à l'âge de huit ans, j'ai eu la chance de pouvoir profiter de mon arrière-grand-père paternel, Victor, morvandiau de son état avec ses bretelles, sa ceinture de flanelle et ses moustaches à la Henri Vincenot. Nonobstant l'amour que je vouais à mes arrières grands-parents, J'ai grandi avec les récits sommaires de cette guerre et j'ai toujours voulu comprendre, lire, m'imprégner au plus près, comme pour mieux me rapprocher de mes arrières grands-parents.
Victor était sur le champ de bataille, Chemin des Dames et Verdun. Pendant tout ce temps, Juliette faisait tourner l'usine du chocolat Menier. Il trône en photo sur mon bureau, fier dans sa tenue de Poilu. Que ce soit un documentaire, un livre, je ne peux le dissocier de ces récits, il ne me quitte jamais avec cette question lancinante « comment ont-ils pu ? » !

Si vous voulez vous sentir propulsé un siècle en arrière en Vendée, si vous voulez entendre sonner le tocsin, lisez Echenoz ! En 124 pages, l'auteur a l'art de vous faire mordre la poussière des tranchées mais aussi de vous faire prendre conscience de ce qu'était le quotidien de monsieur et madame tout-le-monde, pas de héros, pas de faits exceptionnels, simplement des hommes embarqués dans une histoire qui les dépasse et une femme qui attend.

A l'image du titre, l'écriture se veut dépouillée, axée sur le mot juste, parfait, des phrases courtes qui font mouche, qui vous projettent sur le champ de bataille au milieu de l'hécatombe. L'auteur s'attache à mettre en évidence les sentiments, les pensées, les émotions, à hauteur de ces quatre hommes mobilisés et une jeune femme, Blanche, restée en Vendée pour nous immerger dans cette terrible Grande Guerre.

C'est avec enthousiasme qu'ils partent sous les fleurs et les bravo de la foule combattre le boche soit disant pour peu de temps, tout va se régler en deux temps, trois mouvements, une guerre « éclair » en quelque sorte.

J'ai admiré cette écriture élégante, à distance, un peu comme un journal de guerre, écrit au quotidien, à la fois proche, fusionnel mais aussi de loin, comme si je tenais une caméra, et pourtant, les sensations sont là ; la chaleur sous l'uniforme et le casque qui blesse, la vermine, l'odeur de la mort, de l'urine, le (dé) goût du « singe en boite », la lourdeur de l'équipement, son évolution, le perfectionnement des armes au détriment des soldats, et la peur. Tout est précis, concis, jusqu'au retour de l'infirme où le membre amputé continue de faire souffrir.
Echenoz s'est beaucoup attaché au destin de ces quatre amis et de Blanche plus qu'à l'Histoire de la Grande Guerre. de ces 124 pages, derrière un cynisme affiché, une forme de désinvolture, j'entends un questionnement sur le sens, sur la destinée, et un discours à charge contre les officiers, les politiques qui ont sacrifié toute une jeunesse comme le démontre une scène où deux aéroplanes, un Ferman et un Aviatik vont s'opposer : scène exceptionnelle de réalisme avec une économie de mots ! J'en suis arrivée à me demander si Echenoz ne possédait pas « un truc », un petit quelque chose de magique qui puisse donner autant de relief, autant de force, à une écriture aussi minimaliste.

Je vais relire ce livre rien que pour le plaisir d'admirer avec quelle virtuosité Echenoz défie Proust ou Claude Simon ! Quel amour des mots et quelle connaissance pour parvenir à ce qu'un seul mot, à la nuance près, puisse suggérer l'idée tapie dans l'esprit de l'auteur.

Ce qui me fait dire que notre langue française possède un vocabulaire d'une richesse sans fin, qu'elle doit être préservée, respectée et aimée comme seuls de tels auteurs sont à même de nous le démontrer.
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