Dix ans après la parution de son premier roman,
Number Nine,
Thierry di Rollo achève son cycle de la « Tragédie Humaine » avec
Les Trois Reliques d'Orvil Fisher, un ouvrage injustement boudé par le public et une partie de la critique. Après quatre ouvrages publié au Bélial', le français quitte (temporairement) la maison d'édition pour une jeune structure : les éditions ActuSF.
C'est aussi l'occasion pour Thierry di Rollo de lancer son premier recueil de nouvelles avec
Cendres, un ouvrage qui regroupe quatre histoires aussi courtes que percutantes et caractéristiques de l'univers de l'auteur.
Cendres, impeccablement illustré par Daylon, rassemble quatre histoires. Pour trois d'entre elles, il s'agit de nouvelles s'inscrivant dans le fameux univers de la « Tragédie Humaine ». Remarquons également que
Cendres et Jaune Papillon sont antérieures à
Number Nine. Seul Les Hommes dans le Château reste inédite au moment de la publication du recueil chez ActuSF.
Paru en 1997,
Cendres synthétise une grande partie du talent de l'auteur mais aussi de la singularité très sombre de son univers.
Thierry di Rollo nous dépose au sein d'un camp de réfugiés où Renaud désespère. Les parachutages de vivres se font de plus en plus rares et les survivants trébuche dans la boue, abandonnés de tous. Dans un monde que l'on devine en pleine déliquescence, où l'on nait sans parents et où l'odeur qui plane ressemble à celle de la Mort,
Thierry di Rollo développe déjà tout ce qui fera la force de sa Tragédie.
Sans aucune porte de sortie, Renaud rêve d'amour. Il rencontre Marine mais il ne peut pas l'aimer car l'amour lui-même n'a plus se sens dans cet Enfer où les hommes croupissent et se jettent les uns sur les autres pour les miettes lancées par des puissants qui s'en foutent. La brutalité, le déracinement, la folie, l'amour impossible, tout est là.
Par la suite, Thierry reprendra ces thématiques dans Jaune Papillon et Les Hommes dans le Château, les deux autres nouvelles rattachées au cycle. Dans la première, un SDF se voit brutalement enlevé pour être mutilé dans un but bien sombre, un but de propagande pour un pouvoir qui broie et qui fabrique déjà des fake news à l'époque où la fake news n'était pas encore le phénomène connu aujourd'hui. Dans la seconde, c'est une femme, Blandine, qui est enlevé par un Baron et son fils qui se livrent à d'atroces expériences sur les animaux…et les humains. Alors qu'elle pense enfin pouvoir s'échapper de cette folie, Blandine comprend que la haine la suit de près et que la Mort n'a pas dit son dernier mot. Dans ces deux textes, la touche d'espoir se fane. le papillon jaune n'est qu'un fantasme, la corde pour franchir le mur un mirage.
Thierry di Rollo met encore une fois en évidence la folie humaine et la cruauté aveugle du genre humain. Blandine ou le clochard n'ont aucune chance.
C'est aussi dans ces textes que les figures animales réapparaissent, les tortionnaires de Jaune Papillon sont comparés à un vautour ou une fouine tandis que les singes et les humains deviennent difficilement dissemblables dans Les Hommes dans le Château. C'est d'ailleurs cette dernière qui va le plus loin dans l'horreur, parfois insoutenable, et qui rappellera au lecteur un certain comte Zaroff et ses chasses abominables.
Enfin, Quelques grains de riz laisse de côté la « Tragédie Humaine » pour parler d'une autre marotte de l'auteur en prenant pour thématique centrale une certaine chanson des Beatles. Eleanor Rigby, motif obsession et grande influence pour
Thierry di Rollo, devient ici la victime d'un fan qui veut absolument s'approprier le mythe en remontant le temps pour s'offrir sa propre Eleanor. Sauf que voilà, le projet ne se limite pas à un enlèvement et la folie destructrice du narrateur va beaucoup plus loin. Ici,
Thierry di Rollo s'interroge sur ce que devient l'oeuvre d'un artiste une fois qu'il l'a présenté au monde et si les interprétations les plus farfelues et inventives ne ratent pas le point le plus important d'une oeuvre d'art : sa pluralité. Quelques grains de riz tourne à l'obsession puis à la folie pur et simple, marquant à la fois l'absurde et l'impossible de saisir entièrement l'artiste et l'oeuvre.
Une thématique finalement bien représentative de ce qui sous-tend ce recueil, ce décalage constant entre le réel et les espoirs/fantasmes qui irriguent l'être humain, cette folie qui guette lorsque l'on s'entête à travestir le monde qui nous entoure. Un papillon jaune, une poupée gonflable, une corde ou une Eleanor, rien ne suffira pour s'échapper.
Mine de rien,
Cendres constitue une excellente porte d'entrée pour qui voudrait éprouver la plume et l'univers de Thierry di Rollo. Non seulement ces quatre histoires sont toutes à la hauteur mais elles explorent et affirment de nouveau le monde singulier patiemment assemblé par l'auteur français. La beauté au noir, en format court et sans porte de sortie.
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