Comme quoi la 4ème de couv fait parfois le taf, car lorsque j'ai lu celle de
Pauvre folle, je me suis dit : « Ayé ! Un roman pour moi dans la rentrée littéraire». Au départ du train, j'étais très enthousiaste ; l'idée de l'auteure me plaisait : au cours d'un aller-retour ferroviaire Paris-Heidelberg, égrener les souvenirs saillants de sa vie et les mettre en ordre. A l'arrivée du train au terminus : déception.
Le contexte du voyage est conforme à celui dont on nous rebat les oreilles à longueur d'informations, celui de l'effondrement global et sans panache de notre civilisation, ciel de craie, nuées d'étourneaux. L'auteure briefe rapidement le lecteur, Clotilde est le double romanesque de Chloe, à ce titre on peut la surnommer Clo-Chlo. Ecrivaine, elle met en scène ses cycles et épisodes existentiels, et considère que compte-tenu de son hygiène de vie, il lui reste moins de deux décennies avant de finir dans une urne. Je ne vois vraiment pas pourquoi il devrait y avoir la moindre lueur d'espoir dans son espérance de vie puisque tout est noir et triste à mourir dans cette histoire. Très rapidement, j'ai suffoqué sous l'avalanche de malheurs qui frappent Clo-Chlo et j'ai interrompu ma lecture pour consulter des éléments biographiques de l'auteure. Sa vie est une catastrophe, je ne prétends pas le contraire, c'est le fond de commerce de son oeuvre, mais contrairement à de nombreux confrères,
Chloé Delaume ne se nombrilise pas seulement, elle autopsy ses entrailles.
Son enfance a été broyée par un fait divers familial et je compatis à son inextinguible traumatisme. Elle a été ensuite placée chez la soeur de sa mère et son mari qui vivent dans une ville moyenne tellement grise qu'on ne voit que ses géraniums rouge sang, forcément. La tante préfère les feuilletons aux livres ; la concoction d'un gigot de sept heures après avoir fait le ménage aux fêtes remplies d'amis, de cigarettes et de bouteilles vides. L'oncle quant à lui aime que ça sente la javel et le plat mitonné en rentrant chez lui. Et crime de classe impardonnable, on a fait une chenille à leur mariage et comme elle a bac – 5, tata adore Sardou. Alors que Clo-Chlo, elle, a ressenti son premier choc esthétique à l'âge de 9 ans devant Ophélie dans les Lagarde & Michard de sa maman-prof.
En consultant des interviews et autres articles de presse concernant l'auteure, j'ai appris qu'elle est une adepte d'
Oulipo, ce qui a conforté une vague impression : celle qu'il y a un jeu dans son roman, voire plusieurs, comme par exemple avoir préalablement à sa rédaction créé une liste de mots qu'elle s'impose d'employer comme : charge mentale, culture du viol, metoogay, bipolaire, pervers narcissique, raptus suicidaire, féminisme, misandrie, burn-out, travailleur du sexe, male gaze, patriarcat, porc... tous ces mots qui jouissent d'une forte notoriété auprès des media. Ensuite, elle abreuve le lecteur d'étymologie banale, décortiquant certains mots - comme travail, tripalium, étymologiquement un instrument de torture – et de mythologie rudimentaire invoquant Lilith, Messaline, Junon, Diane, Minerve... Et enfin, les amis de Clo-Chlo se nomment Adélaïde, Judith, Bérangère, Hermeline, Wilfried, prénoms sûrement chargés de littérature que mon inculture n'identifie pas. Ah, j'allais oublier, dans sa biographie il est fait état de sa proximité avec
Frédéric Mitterand ; ils parrainent conjointement une manifestation littéraire. Ce détail m'est revenu lorsque dans
Pauvre folle, elle évoque son passage d'un an à la Villa Medicis de Rome, logement gratuit et 3 500 € mensuels, ça doit attirer les candidatures, elle a eu de la chance d'être élue. Il y a de ces hasards, je vous jure ! Tous ces éléments disparates constituent un bric-à-brac, résumable dans cette formule extraite du roman : « Pis entre nous, hein, y a plein de phrases où elle se la joue tellement poète qu'au final on n'y comprend rien ».
Au final, une lecture dont j'attendais trop sans doute. Je suis infiniment peinée que
Chloé Delaume soit aussi mal dans sa peau, et déteste hommes et enfants mais je suis obligée d'ajouter que malheureusement elle ne détient pas le monopole de la souffrance. J'évite dans la mesure du possible de jouer les bagagistes, ayant mes propres valises à traîner, j'en resterai donc là dans sa bibliographie. Je termine en ajoutant que la généralisation aigrie, l'amalgame misandre fait entre tous les hommes me gêne. Non, tous les hommes ne sont pas des phallocrates, des verrats, des violeurs, ou des connards. Cette posture ne relève pas du féminisme mais de la haine, et nuit gravement à La cause des femmes qui mérite de plus fines analyses, désolée de casser l'ambiance.