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sur 992 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2020 #9 °°°

Cela fait plus de vingt ans que Chloé Delaume publie sous diverses formes, autofictives souvent, expérimentales presque toujours. Avec Virginie Despentes, c'est sans doute une des auteures étiquetées «  féministes » que j'aime le plus à suivre tant sa pensée est vive, contemporaine, incisive avec ce qu'il faut de piquant et d'iconoclaste.

Le Coeur synthétique est sans doute son roman le plus accessible de Chloé Delaume, à la troisième personne cette fois même si on sent le « je » de l'auteure très présent, avec une histoire linéaire aisée à suivre. En fait ce roman est comme une suite romanesque de son manifeste féministe Mes biens chères soeurs ( 2019 ) qui théorisait brillamment le concept de sororité, une solidarité spécifiquement féminine, comme outil de puissance, comme alternative au patriarcat et promesse pour écrire un futur égalitaire.

Dans King Kong théorie, Virginie Despentes disait : « j'écris de chez les moches, pour les moches, les vieilles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf ». Chloé Delaume, elle, écrit « de chez les ex-bonnasses, les suffisamment côtées sur le marché pour avoir reçu des appels d'offre et avoir eu le choix des options ».

Chloé Delaume a un réel talent à absorber la totalité des expériences féminines, déclinant en cinq personnages toutes les facettes de l'ex-bonnasse, des quadra cultivées et diplômée  ( mère ou nullipare, hétéro ou pas, célibataire ou en couple ) mais sans jamais que ces cinq nanas ne soient que des stéréotypes calquées sur une thèse qui tournerait à vide. Adelaïde, Hermeline, Clotilde, Judith, Bérangère sont tellement incarnées et éloignées du pensum artificiel qu'on s'attache à elle immédiatement, à commencer par le personnage principal dont on suit les mésaventures : Adelaïde, 46 ans, volontairement sans enfant, attachée presse, fraichement célibataire par choix mais obnubilée par l'idée de retrouver un homme et de se marier.

Ce qui est génial dans ce roman, c'est que si elle va de Charybde en Scylla dans sa quête de l'amour, c'est le ton tragi-comique subtilement trouvé par Chloé Delaume. Tout est terrible dans le constat qu'elle dresse de la date de péremption des femmes passées 40 ans, tout est cruel lorsque Adelaïde réalise qu'elle n'est qu'une « ex-bonnasse » devenue transparente et décôtée sur le marché de la drague, et pourtant tout est raconté avec un sens du burlesque absolument réjouissant. Comme dans une vraie comédie de moeurs, j'ai énormément ri lors des scènes au vitriol sur le milieu de l'édition parisienne ou lors de rencontres masculines désopilantes de tristesse.

Il faut dire que Chloé Delaume est une styliste et que son écriture est jubilatoire, faite de phrases courtes et incisives qui clinquent et claquent. le choix des mots et de leur agencement relève d'un équilibre d'orfèvre miniaturiste attaché à rendre chaque phrase à la fois autonome comme une petite histoire et rattaché à un grand tout qu'elle fait fonctionner. Brillant.

Mais jamais le propos ne se fait amer, aigre, rageux, ce qui est très fort vu la charge sociétale que l'auteure balance. Si les hommes sont peu reluisants dans ce roman, les femmes sont elles aussi pleines de failles et de défauts, Adelaïde notamment avec son épousite aigüe entre le risible et le pathétique. Chloé Delaume convainc car elle émeut profondément, son roman est vivant et vibre de tous ses pores d'une sincérité et d'une acuité rayonnantes.
Toute la démonstration du livre autour de la sororité formée par ses cinq amies culmine dans les dernières pages, superbes et emplies de douceurs. La sororité comme un cri de ralliement pour les années à venir, pour toutes les femmes et leurs alliés !

Coup de coeur sur ce roman réjouissant et vif, cruellement réaliste, terriblement contemporain, puissamment féministe.

Lu dans le cadre du Prix du Roman Fnac 2020
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Quel étrange roman...
Je ne sais si je l'ai aimé ou pas mais en tout cas, j'ai bien ri !
Alors que ce roman est d'une tristesse infinie, je me suis pris des fous rires. Car si vous ouvrez ce livre, vous devrez choisir : déprimer ou rire de bon coeur.

L'histoire est donc triste à mourir. Adélaïde est obsédée par l'amour. Elle n'a jamais vécu seule, elle ne se sent exister que si elle est aimée. Fraîchement séparée, elle goûte pour la première fois à la solitude. Tous les clichés de la femme célibataire et malheureuse y passent, c'est peut-être tous ces clichés qui m'ont fait rire. le 24 décembre, seule, sans famille, sans amis, sans amoureux, Adélaïde déprime et va s'acheter un chat... qu'elle baptisera... Perdition (son précédent chat s'appelait Xanax).
Adélaïde s'accroche et veut trouver un bon gars. Les copines préparent un philtre d'amour, Adélaïde prie Aphrodite, Adélaïde se met au vert et à l'épilation intégrale mais elle ne rencontre qu'un gay, qu'un homme qui bande mou et lui dit au lit « je t'aime mais je ne te désire pas », un autre qui est marié et lui aurait dit « je te désire mais je ne t'aime pas ». Ah qu'elle est compliquée la vie quand on cherche l'amour à quarante-six ans et qu'on se prend les statistiques en pleine figure.

Adélaïde cherchera l'amour ou cherchera à gérer sa vie et son célibat comme une grande féministe. Son travail d'attachée de presse dans une grande maison d'édition m'a beaucoup plu également. L'auteure y décrit l'envers du décors avec moult détails croustillants. Certains veulent à tout prix le Goncourt et d'autres comme Adélaïde veulent l'amour.

Les citations pleuvent sur Babelio et donnent une bonne représentation de ce livre. Je crois que je suis la seule à avoir tant ri mais bon, étant seule depuis des lustres, j'ai eu gentiment pitié de cette pauvre Adélaïde incapable de vivre seule.

« A l'heure de #metoo, Chloé Delaume écrit un roman drôle, poignant, et porté par une écriture magnifique. ».

C'est à peu près ça, et me voilà soulagée de trouver cet adjectif « drôle » sur la quatrième de couverture. Ouf.
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La nature humaine doit être cruelle: c'est toujours drôle, le malheur des autres.
Quand il est raconté avec humour.
Quand il est présenté avec talent.
Quand il est disséqué avec intelligence.
Et  quand il renvoie au vôtre, là, c'est encore meilleur!

J'ai ri! J'ai tellement ri! Rire de son malheur, ça fait avancer : on se regarde avec un oeil décapé, ironique,  on prend du champ, on s'émancipe, on se libère !

J'ai donc empathiquement souffert avec Adélaïde,  mais j'ai aussi souri de ses affres et dilemmes, ri de ses déboires et mésaventures. 

Pauvre Adélaïde Berthel, quadra-presque-quinqua qui a largué son compagnon avec qui elle commençait à trouver le temps long et les habitudes pesantes,  et qui se trouve brusquement devant le temps infiniment long et la monotonie terrifiante de la solitude...à un âge où retrouver chaussure à son pied n'est plus aussi facile ni délicieusement pimenté qu'au temps de la séduction triomphante des femmes, finalement bien court,  à l'en croire...

Pauvre Adélaïde Berthel qui n'a que 46 ans, quand même,  faut pas pousser, habite dans le Paris bobo et branché,  travaille dans l'édition, croule sous les bonnes -copines -inséparables- qui-se-disent-tout-et- ne se-laissent-jamais-tomber- !

Elles sont cinq, habitent dans un mouchoir de poche, se retrouvent aux mêmes fêtes, avec rails de coke sur le bord du lavabo ( plusieurs scènes, très cocasses), fréquentent les mêmes magasins bio ( une scène hilarante), vont aux mêmes vernissages. Fréquentent les mêmes bistrots, assistent aux mêmes représentations et projections..Seules les vacances les séparent de façon saisonnière.  

Bref, il y  a plus drastique et plus radical comme solitude, c'est moi qui vous le dis!. ..

On se délecte à  lire ce discours  de la solitude volontaire,  ce journal d'une quadra des villes sans l'ombre d'un quad-rat des champs à  l'horizon, à éprouver ce  vertige de l'amour ... manquant, à vivre cette chasse à  l'homme idéal-  ni pervers, ni narcissique, ni éjaculateur précoce, ni goujat, ni monomaniaque, ni obsédé sexuel-   homme idéal que dans ses rêves les plus fous Adélaïde a appelé Vladimir,( sans doute parce qu'Estragon ça faisait un peu culinaire), Vladimir qu'elle ATTEND comme ce dernier attendait Godot...

J'ajoute que la plume de Chloé Delaume est fine, imprévisible, virtuose. Rien en elle qui pèse ou qui pose,  dirait Verlaine.

La 3eme personne, la construction avec les variantes amusantes de ses conclusions de fin de chapitre, le rituel bobo parisien joyeusement égratigné ainsi que l'univers impitoyable des maisons d'éditions  à l'heure des prix littéraires ( une mise en abyme savoureuse, Chloé Delaume connaît bien ce microcosme, elle y travaille . .et le prix qui vient de la couronner n'est pas un des moins recherchés...), tout contribue à  créer les conditions idéales d'un recul ironique et d'une aimable satire.

D'une lecture plaisante.

 Mais pas que...Le livre est plus profond,, plus percutant, plus grave qu'il n'en a l'air.

Et si, à la façon d'un Perec, d'un Butor,  l'auteure s'amuse à imaginer des fins possibles, on sent bien vers laquelle elle penche, et ce qui émerge en définitive de cette quête harassante du Graal masculin: une sororité indéfectible, l'amitié,   seul îlot de solidité et de vraie tendresse dans le monde de brutes des relations amoureuses..

 Ce n'est pas moi qui la contredirai...
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Adoré ce roman… jubilatoire, plein d'humour et d'auto-dérision alors que le sujet aborde une réalité sociale douloureuse… : la Solitude des Femmes…lorsqu'elles , comme notre anti-héroïne,Adélaïde, ne sont pas mariées, n'ont pas fondé de famille… qu'elles ont du mal à trouver « leur » place…et un véritable équilibre…Repenser un autre « Féminisme »… loin des anciens stéréotypes !

« Adélaïde consulte les statistiques. En France, 14 % des hommes en couple ont rencontré leur partenaire sur leur lieu de travail. 12 % d'une autre manière. 11 % dans une fête ou une soirée privée entre amis. 10 % sur leur lieu d'études. 10 % via un site ou une application de rencontre. 9 % dans un bar ou un restaurant. 7 % dans un bal, une fête publique. .............Adélaïde se demande ce que c'est, ces 12 % rencontrés d'une autre manière. Ce que ça laisse comme champ à part chez le boulanger ou peut-être le dealer. »

Un texte étonnant, percutant, mordant, caustique d'une presque quinqua…Adélaïde qui se sépare de son compagnon, Elias, au bout de quelques années… Libre, elle déchantera vite, constatant que la solitude la submerge violemment et frontalement !

Heureusement, Adélaïde est attachée de presse dans une maison d'édition, adore son métier, elle défend des livres, surtout des auteurs, les « chouchoute », les fait connaître… Ce qui nous vaut des morceaux savoureux sur le monde de l'édition et des parisiannismes…En sus de son métier très absorbant, Adélaïde a un groupe d'amies, fidèle...

Un style original, tonitruant, drôle et grinçant, à la fois, empreint aussi de tendresse et d'empathie pour le personnage central féminin, Adélaïde, pleine de vie et de vaillance, qui fonce, en dépit de ses doutes, de ses gros coups de bourdon, elle bouscule les chemins tout tracés , se bat pour se construire un équilibre personnel , une vie un tant soit peu harmonieuse, sans l'objectif obsessionnel qu'elle avait jusqu'alors du regard des hommes, des jeux de séduction ! !...

« Adélaïde adore Noël, mais hélas elle est orpheline. Elle n'a plus de couple, plus de famille, personne avec qui partager la dinde et ensuite ouvrir les cadeaux. Elle marche dans les rues et se dit : Mon coeur est un sac à sapin. (...) Pour la première fois de sa vie, elle n'a nulle part où se greffer. (...) C'est le 23 décembre, Adélaïde est seule et elle marche dans Paris pour faire semblant de vivre. (p. 83)”

Le style très efficace nous rend la solitude de la narratrice quasi palpable “physiquement” !!

« C'est comme ça qu'elle s'achève, l'histoire d'Adélaïde. Une communauté de filles, parce qu'il faut être lucide et toutes s'y préparer. Il y a plus de femmes que d'hommes et ils meurent en premier. À défaut d'être lesbienne, il faut être inventive.”

Un texte, reflet assez saisissant des rapports hommes-femmes, du célibat des uns et des autres…dont celui des femmes, moins facile à assumer, en dépit de l'évolution des mentalités!...

On assiste à l'évolution d'Adélaïde qui au début de l'histoire, fête ses 46 ans, anniversaire marqué par sa séparation d'avec Elias… elle continue à s'activer pour se remettre au plus vite en couple… Elle ne se voit pas autrement… et puis de désillusion en aventure inaboutie, elle trouve, chaque fois réconfort auprès de ses amies-femmes pour « apprivoiser son célibat »…et au final, c'est dans cette complicité, cette sororité qu'elle retrouve un sens à son nouveau statut de « Femme sans homme » , à sa vie de femme enfin autonome, existant enfin, en dehors du « regard des hommes »…

« Ainsi peut se poursuivre le parcours d'Adélaïde. Elle n'a besoin de personne, si ce n'est de ses amies. Seule la sororité est au centre de sa vie. Elle se consacre à son travail et devient une machine de guerre. Elle ne regrettera jamais rien, saura se satisfaire de son sort, ou mieux encore: l'optimiser. La solitude sera son habitacle naturel, sa liberté de mouvement, tout son écosystème. » (p. 192)

Un fort moment de lecture sur des thèmes qui nous prennent de plein fouet, nous interpelle toutes , et tous (d'ailleurs)… L'apprentissage d'une solitude positive, créative : ce n'est pas une mince affaire , dans une société où la normalité reste le couple, la famille…!!...Inventer de nouveaux schémas féminins de parcours de vie…Un texte passionnant, nous retranchant dans une succession de questionnements, de remises en cause, d'observations sociétales…

« Ca peut être ça aussi, le destin d'Adélaïde, elle a connu le couple, des décennies d'amour, s'est toujours ennuyée. Elle sera à jamais une femme célibataire, ce statut finira par la sécuriser. le célibat n'est pas du tout le mot solitude, pour qui sait le remplir autant que s'y déployer. Adélaïde Berthel, une femme comme un tas d'autres. Qui n'a pas besoin d'homme pour se sentir exister. (p. 192)

*****N.B: ajout le Jeudi 10 décembre 2020
l'ami harvard, ayant eu la gentillesse de me parler de la présence forte et convaincante de Chloé Delaume , dernièrement, à La Grande Librairie... j'ai été chercher sur Youtube..Je viens de réussir à écouter un morceau de l'émission... J'aime beaucoup une formule très juste de Chloé Delaume concernant "son coeur synthétique"...Une comédie où " on rit le coeur serré" !! . C'est exactement ce que j'ai ressenti: on rit... et en même temps, l'histoire d'Adélaïde prend aux tripes !... Un texte qui reste joyeux de par la formidable "déclaration d'amour" de notre "anti-héroïne" à sa bande d'amies, indéfectible !!
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Adélaïde Berthel, « une femme comme une autre » de quarante-six ans, vient de se séparer de son mari Elias. Elle essaie de retrouver l'amour, et, pourquoi pas, un nouveau mari. Elle est aidée dans ce projet par quatre amies intimes dont l'une pratique l'art de la sorcellerie. ● C'est une excellente surprise que ce livre auquel je suis venu à reculons (car je n'aime qu'avec parcimonie la littérature expérimentale que Chloé Delaume pratique d'habitude), et que je me suis décidé à lire grâce au prix Médicis. L'écriture est allègre et l'on suit avec un grand plaisir les mésaventures sentimentales d'Adélaïde, ainsi que ses démêlés avec le monde de l'édition auquel elle appartient en étant attaché de presse chez un grand éditeur parisien -- milieu très finement et comiquement décrit. ● Mais attention, ce « roman d'amour » cache un sous-texte très ironique, flaubertien. En prenant du recul par rapport à ses personnages, notamment Adélaïde, l'auteur s'amuse et nous amuse, ce qui est de plus en plus apparent à mesure que l'on chemine dans le roman, jusqu'à une fin formidable qui n'en est pas vraiment une. C'est délicieux. On se croirait dans un roman de Diderot revu par Flaubert. Ainsi elle écrit à propos d'Adélaïde (nom qui sonne bien XVIIIe) : « Ce qu'elle va devenir, difficile de trancher » : ne se croirait-on pas dans Jacques le fataliste ? Ou encore, à propos d'un des amants d'Adélaïde : « Nous l'appellerons Grégoire, c'est un joli prénom pas encore employé. » ● Ce roman plein d'humour m'a fait penser à un autre de la rentrée littéraire, que j'ai aussi beaucoup aimé : La Demoiselle à coeur ouvert de Lise Charles, lui aussi inspiré du XVIIIe siècle (Les Liaisons dangereuses). ● Un excellent moment de lecture, je conseille !
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Obtenir un grand prix littéraire pendant le confinement était peut-être une chance. le Coeur synthétique, prix Médicis 2020, a fait beaucoup parler de lui. On a pu en connaître un peu l'histoire, elle promettait d'être croustillante. Adélaïde vient de divorcer après sept ans de vie commune, un choix assumé sous prétexte que son quotidien conjugal était devenu ennuyeux. La jubilation d'une liberté retrouvée s'effacera vite devant l'appréhension d'un célibat solitaire. Car Adélaïde ne conçoit pas de vivre sans être en couple avec un homme.

Hélas, ceux-ci sont rares. Les chiffres sont implacables, les femmes sont plus nombreuses. Rien qu'à Paris, elles sont plusieurs milliers à ne pas trouver de compagnon. Sur le marché de la rencontre amoureuse, la concurrence est rude. A quarante-six ans, Adélaïde ne se sent plus compétitive… Un simple problème de marketing ?

Ce serait comme au bureau ? Adélaïde est attachée de presse dans une maison d'édition. Là aussi, la concurrence est rude pour arracher un prix littéraire, seule façon de colmater les pertes sur un marché où il est plus rentable de publier de la chick-lit que de la poésie expérimentale.

Le problème d'Adélaïde est éminemment féminin. Autour d'elle, on est intellectuel.le, progressiste, bobo, féministe, et elle-même ne se voit pas autrement. Son problème est qu'elle aime les hommes et que ses velléités identitaires se heurtent à des aspirations sentimentales et romantiques de midinette fleur bleue. Une fleur bleue coupée et recoupée, qui craint d'être bientôt fanée et séchée, et qui part en quête désespérée d'un prince charmant introuvable.

L'auteure – j'ai du mal avec autrice – raconte sur un ton badin les pérégrinations d'Adélaïde, dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle, deux univers dans lequel tout ce qu'elle subit est pathétique et en même temps désopilant. Car il faut de l'humour pour supporter les contrariétés et y faire face. le roman n'est pas une autofiction, mais on imagine ce qui relie les deux femmes.

L'ouvrage ne se limite pas à une narration romanesque. La solitude, l'isolement, le repli sur soi sont mortifères. Pour y échapper en l'absence d'une vie en couple, Chloé Delaume suggère aux femmes la sororité, une « solidarité fraternelle » en petit groupe, conçue pour durer à la vie à la mort, cimentée au besoin par le partage d'un rituel secret plus ou moins métaphysique.

Chloé Delaume. C'est le nom sous lequel l'auteure de ce roman très agréable à lire a construit son identité de femme et d'artiste complète. Son écriture est superbe, tout en légèreté et en simplicité. Aucun artifice visible dans la construction ni dans le style. Les chapitres et les phrases semblent venir naturellement, comme lorsqu'on se raconte une histoire à soi-même. le ton est libre, juste, cru s'il le faut. Un rythme musical semble se dégager du phrasé, court, et je me suis pris à prononcer silencieusement ma lecture, comme quand on lit de la poésie. Virtuosité spontanée ou travaillée ?

Après mon sentiment de lecteur, je tiens à donner mon ressenti d'homme, et tant pis si je n'ai pas la légitimité pour, tant pis s'il s'agit d'une appropriation culturelle déplacée, car comme homme, je suis tout ce qu'il y a de plus détestable : blanc, pédégé, sexagénaire (et plus), hétéro, marié depuis quatre décennies et j'en passe…

J'ai lu le Coeur synthétique en voyeur, comme une chronique d'échecs féminins annoncés. Je me suis amusé des mésaventures d'Adélaïde… mais elles m'ont aussi attristé. On a beau être un homme, on peut faire preuve d'empathie. Et s'imaginer soi-même lâché tardivement sur le marché de la rencontre… Un dernier point, sur lequel je m'inscris en faux : de nos jours, les femmes ont la possibilité de rester jeunes et belles, compétitives donc, bien au-delà de quarante-six ans...

Et puis n'y a-t-il pas d'autre solution à l'ennui que la rupture ?

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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« C'est le coeur d'Adélaïde, le héros de cette histoire. C'est lui qui cogne et saigne, exige et se déploie. C'est lui qui fait le deuil, englouti par le vide. C'est lui seul s'entête à battre toujours plus fort. Parfois il s'imagine qu'il n'est plus fait de chair, mais de matériaux composites, de fibres synthétiques, l'aorte ignifugée. »

A 46 ans, Adélaïde est de nouveau célibataire. Fini l'ennui de la vie de couple monotone dans lequel elle s'est enlisée depuis 9 ans avec Elias. Elle va pouvoir revivre, vive le célibat !
Mais l'illusion de la liberté est très vite balayée par ce qui s'impose douloureusement comme une évidence : elle a vieilli, elle n'attire plus les regards comme avant, pire elle se sent banale et transparente.

Atteinte d'épousite aiguë qui la pousse à se projeter dès la première rencontre, Adélaïde est exclusive en amour, raison pour laquelle elle n'a jamais ressenti l'appel de l'horloge biologique.
Sans doute aussi depuis qu'un accident de voiture a jadis emporté ses parents.
C'est donc seule qu'elle doit vivre désormais dans son minuscule deux pièces parisien en se morfondant devant le vide sidéral de sa vie affective. Pour combler la vacuité de son existence, elle s'est inventée Vladimir, le mec idéal, en caressant son chat Perdition qui remplace feu Xanax.

Trouvant refuge dans son travail passionnant d'attachée de presse dans le domaine de l'édition, Adélaïde peut compter sur ses amies fidèles qui font bloc autour d'elle. On la réconforte, on la conseille ou on la déconseille au besoin, on invoque des divinités célestes. Que ferait-elle sans cette sororité essentielle alors que la dépression et la ménopause précoce la guettent ? Comme le dit si bien l'auteure : « l'amitié est une forme d'amour » qui survit souvent à bien plus d'épreuves que le couple.

Bien que la solitude soit un thème plutôt déprimant, j'ai passé un très bon moment avec ce roman plein d'humour grinçant et rempli d'une bonne dose d'ironie et d'autodérision. La belle plume poétique de Chloé Delaume transpose avec justesse les sentiments d'une quadragénaire qui commence « sa deuxième partie de vie ».

« C'est l'histoire d'une fleur bleue qui n'a plus de racines à force d'être dépotée. Un coeur dans un bocal, une rose trémière coupée. Adélaïde Berthel, c'est une femme comme une autre. Qui désormais apprend la solitude, comme l'exilée apprend une langue étrangère. »
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Je retrouve avec bonheur Chloé Delaume dans ce roman sur la sororité qui se situe dans le prolongement de "Mes bien chères soeurs" son essai que j'avais adoré.
« le coeur synthétique » c'est comme une application romanesque de ce concept car ce sont les copines d'Adélaïde qui vont l'aider à retrouver l'amour puis à se sentir exister en supportant son célibat.
Adélaïde Berthel est une femme comme tant d'autres qui va divorcer parce qu'elle s'ennuie avec son mari. Pensant retrouver facilement un amour explosif elle va vite se rendre compte de l'invisibilité de la femme dès qu'elle dépasse un certain âge.
A 46 ans, elle a une vie professionnelle épanouie en tant qu'attachée de presse mais elle va devoir s'inventer un Vladimir, homme idéal à conquérir.
Ses copines sont très différentes les unes des autres mais s'accordent pour un rituel afin qu'Aphrodite aide Adélaïde, atteinte d'épousite aiguë, à trouver un homme.
Alors que la magie opère, cela ne va pas aller aussi facilement qu'elle l'espérait.
En tout cas, cela donne une comédie féministe jubilatoire, une parodie de Chick lit. Et si ce roman peut paraître léger, il aborde des thèmes forts.
D'ailleurs j'ai beaucoup aimé que l'histoire se termine à la fin de la vie d'Adélaïde pour montrer l'évolution de son rapport à l'autonomie.
Et puis il y a l'écriture de Chloé Delaume qui donne du souffle, du rythme à ce roman fluide, bien différent de ce que qu'elle a écrit auparavant, qui était beaucoup plus expérimental.
D'ailleurs, on peut parler d'un livre pop parce qu'il y a une bande son en filigrane, la plupart des chapitres étant des titres de chansons et le prénom de l'héroïne, une référence à Mademoiselle Adélaïde d'Arnold Tourboust, chanson des années 80.
Comblée avec ce livre dans lequel on trouve l'amour et la sororité saupoudrés d'un brin de chansons françaises, d'humour, de poésie et de magie, je suis donc allée à la librairie Muruani à Paris pour une rencontre avec Chloé Delaume et j'en ai profité pour faire de ce roman dédicacé un cadeau à mes copines, sororité oblige !


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En 2006, Benoite Groult, qui avait largement dépassé les 80  ans, se plaignait que vieillir c'était devenir invisible. de nos jours, Adélaïde, quarante-six ans, qui vient de rompre, découvre avec effroi "l'invisibilité de la femme de cinquante ans avec un peu d'avance.". Pis, elle constate la cruauté des statistiques : il y a bien plus de femmes célibataires que d'hommes et ceux qui le sont ont presque tous un "vice de forme", dixit 'l'une de ses amies.
Car oui, Adélaïde a des amies, elles-mêmes en crise existentielle et, sororité oblige, elles vont  s'entraider.
Commencé sous les auspices de Virginia Woolf (le premier chapitre est en effet intitulé "Une chambre à soi"), le roman de Chloé Delaume se clôt sous ceux de Monique Wittig et de ses "Guerillères". Entre temps, nous aurons eu droit à une série de titres de chansons, très éclectiques, allant de Bashung à Juliette Armanet en passant par Sylvie Vartan, voire Herbert Léonard.
Car oui, on peut être féministe et drôle et l'autrice s'en donne à coeur joie dans ce texte qui nous introduit dans les coulisses du monde littéraire où Adélaïde officie en tant qu'attaché de presse et chapeaute une autrice qui lui ressemble furieusement.
Pratiquant l'autodérision, mais dénonçant aussi les diktats auxquels doivent se conformer les autrices, tant dans leur comportement que dans leur aspect physique, Chloé Delaume signe ici un roman à la fois enjoué et lucide qu'on ne peut lâcher.




J'en profite pour signaler aussi le très réussi sororité, sous la direction de la même autrice , paru en poche chez Points Seuil également.
Un recueil de textes aux autrices remarquables, chacune ayant leur point de vue sur ce concept remis en lumière.
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Je viens de lire d'admirables critiques de ce livre aussi quoi ajouter de plus ! si ce n'est que moi aussi j'ai adoré ce livre et apprécié cette idée que la sororité est une porte de sortie et que nous les filles, il faut nous organiser pour la vivre au mieux. L'âge venant, les échanges féminin/masculin se raréfient pour de multiples raisons et dans ce cas, pourquoi ne pas se créer une petite bulle satisfaisante avec de très bonnes amies. le problème c'est qu'il y a aussi la maladie qui décime les deux rangs et bientôt, on se retrouve seule, isolée et sans personne avec qui échanger.
On parle de parodie de chick-litt pour ce roman. Adélaïde, c'est un peu Bridget Jones à la quarantaine bien sonnée. Elle aura divorcé de son aimé et ce sera à nouveau une période de galère si elle souhaite reconvoler. Sinon, elle aura la possibilité de s'entourer d'amies fidèles – surtout si elle a su les garder tout au long de son existence.
J'ai aimé qu'Adélaïde soit attachée de presse et qu'ainsi nous suivions le milieu de l'édition au moment de l'effervescence de la rentrée littéraire. « Plus de trois cents romans français sont publiés fin août. C'est la course aux prix. » Il y a aussi un endroit où cela sent le vécu, c'est quand elle décrit dans un Salon du livre les écrivains face à leur public et surtout la solitude de la signature. « Adélaïde entraîne Bastien dans son enclos à signatures. le dispositif est immuable, l'auteur coincé derrière sa table attend le client autant qu'il le redoute. L'écrivain est captif, assis face à des gens qui eux se tiennent debout. Un peu comme à l'école, il ne peut faire qu'écouter. Des gens viennent à lui juste pour passer le temps et se venger de leur vie. » (Page 144) La suite est encore plus drôle.
Il y a beaucoup d'autres choses plaisantes à lire mais je ne vais pas toutes les énumérer. Il ne faut pas tout dévoiler pour vous laisser lire ce roman car c'est un bon cru 2020, mes très chères soeurs.
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