Comme dans «
Clèves » , paru en 2011, ce «
Fabriquer une femme », qui en est la continuation, est constitué de trois parties. Ici, ce ne sont pas les verbes Avoir, Faire et Refaire mais une alternance de points de vue: « D'après Rose », « Selon Solange » et «Ensemble ».
0n a plus ou moins quitté quitté
Clèves, ce petit village basque, que l'on a vu dans le livre précédent se transformer insensiblement en petite ville… À Bordeaux, puis à Paris, Rose devient une étudiante sérieuse. Héritées de lointains ancêtres sourciers ou rebouteux, cette futur psy a des mains qui soignent, des mains qui apaisent, mais que la doxa des «sachants » lui interdit d'utiliser ( Pan sur le bec des Lacaniens, au passage, et c'est bien fait pour eux! On sent que
Darrieussecq solde ici quelques vieux comptes…)
Après une période d'immense confusion, Solange elle aussi a quitté le village. Actrice en devenir, elle est aussi et surtout une Fêtarde, une quasi marginale, qui traverse en somnambule très allumée la période «Bains-Douches » et «Palace », la fièvre des boîtes de nuit, les squattes , l'angoisse des années Sida…
Dans la troisième partie le champ s'élargit encore puisqu'elles se retrouvent à Los Angeles, dans le milieu étincelant mais aussi éminemment déceptif des grandes premières hollywoodiennes.
Autour de ces deux jeunes femmes , un bataillon de personnages magnifiquement ciselés: copains et copines de classe, amoureux, parents ( dont la merveilleuse «maman à Rose », ainsi que la désigne Solange. Elle est la « féministe du village », à la fois lucide, éclairée, et toujours incroyablement généreuse). Et jusqu'à ce pauvre enfant abîmé par les forceps, qui perpétue la blessure impardonnable du premier livre…
Ainsi, avec leurs trajectoires et leurs points de vue contrastés, les deux personnages s'approfondissent, nous offrant une double perspective sur les années 90 et au-delà.
Néanmoins, dans les toutes premières pages, perso je me sentais un peu perdue. Dans le récit consacré à Rose je ne reconnaissais pas la «Solange » que je venais de quitter: l'adolescente dévoyée, quasiment nymphomane, de «
Clèves ».
Quant à Rose elle-même, dessinée dans le premier opus en silhouette un peu rèche, trop sérieuse, trop raisonneuse pour être parfaitement sympathique, voilà que je la re-découvrais en meilleure amie d'enfance de la sus-dite, et bien plus complexe qu'elle ne m'était d'abord apparue. Je la voyais aussi beaucoup plus attachée à Solange , beaucoup plus empathique et même maternelle, que Solange envers elle.
Impression de désarroi due au changement de point de vue, et vite dissipée. Et j'ai beaucoup aimé la façon dont
M.D. , s'appuyant probablement sur des expériences personnelles, retrace les parcours parallèles de ces deux jeunes femmes: en quelque sorte les deux visages possibles d'une même génération.
A côté des facilités de l'« auto-fiction », c'est cet aspect de témoignage générationnel, pour ainsi dire sociétal, qui me paraît signer ici un bon, un excellent roman.
Avec cela beaucoup, beaucoup de bonheurs d'écriture, de phrases - ou réflexions - qui font mouche. En somme, un très beau livre, à la fois très riche, ample et profond.