Je termine, assez déçu, et même un peu irrité, 𝐹𝑎𝑏𝑟𝑖𝑞𝑢𝑒𝑟 𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒 (POL, 2024), le dernier roman de
Marie Darrieussecq, autrice que j'ai beaucoup lue, toujours avec intérêt jusqu'ici, au point d'enregistrer jadis un long entretien avec elle pour une revue littéraire. C'est le récit de deux adolescences, puis de deux jeunes vies parallèles, celles de Rose et de Solange, deux amies du village fictif de
Clèves, au Pays Basque, que nous avons déjà rencontrées dans d'autres romans.
Le livre se présente comme un diptyque. La première moitié suit Rose, qui a le destin de la plupart des jeunes filles de l'époque (les années 1980, au début du livre). Elle s'est liée depuis l'enfance par un amour incertain, mais durable, qui rédime la vie courante – celle qui brise la barque des grandes passions. C'est, paradoxalement, la partie la plus intéressante, car la plus tenue, la plus vraie, et la langue, quoiqu'assez lapidaire, est émaillée de belles trouvailles.
La seconde moitié du livre nous montre les errances sentimentales (ou plutôt sexuelles) de Solange, qui devient mère à 15 ans. Elle abandonne l'enfançon à sa propre mère, puis échappe à la neurasthénie en rêvant de théâtre – avant de se laisser griser et emporter dans le tourbillon d'un monde factice, celui de la nuit, de la musique et du cinéma, à Paris, puis à Londres, et enfin à Los Angeles, 𝑜𝑓 𝑐𝑜𝑢𝑟𝑠𝑒. Après une scène d'accouchement, très forte, qui marque le lecteur, l'essentiel de cette partie m'a semblé aussi faux, dans son écriture, que le petit monde où subsiste tant bien que mal l'héroïne. La langue de l'autrice, qui veut mimer celle du milieu qu'elle décrit, est complaisante, et souvent déplaisante, gorgée d'américanismes, et sans grande invention. Sans parler de quelques allusions mee-tooesques lourdes et quelque peu anachroniques, qui flattent les emballements du moment.
Une courte troisième partie, greffée sans nécessité véritable sur le corps du roman, nous transporte à Los Angeles, où Rose et Solange se retrouvent quelques jours. Qu'est-ce qui a bien pu passer par la tête de
Marie Darrieussecq pour terminer son récit par cette excroissance parasite, qui m'a fait penser à ces corps composites que collectionnent les musées de tératologie ?...
Morale : où l'on vérifie que l'on ne se grandit pas à vouloir chevaucher le tigre de l'époque.
PS. Un peu de physique amusante.
Marie Darrieussecq est forte en thème (elle a publié il y a des années une intéressante adaptation des 𝑇𝑟𝑖𝑠𝑡𝑒𝑠, d'
Ovide), mais il semble qu'elle ait séché les matières scientifiques – et son éditeur aussi. C'est ainsi qu'on lit avec surprise « le degré d'ℎ𝑦𝑑𝑟𝑜𝑚𝑒́𝑡𝑟𝑖𝑒 », et qu'on découvre cet étrange phénomène de géométrie non euclidienne : « la bite à quarante-cinq degrés par rapport au corps, comme un porte-manteau ».