Parfois, j'ai cru entendre les gémissements d'une maison blessée. C'était terrifiant. Comme si j'entendais le cri des générations qui avaient passé leur vie parmi ces briques écrasées.
La netteté de ces images est stupéfiante. Ce sont des expériences complètes avec des sons, des odeurs, du sang et des armes. Avec la vraie peur qui apparaît dans ma tête et qui m'enveloppe froidement.
Je pense à l'endroit où les amours mortes s'installent. J'imagine nos trajectoires de vie comme des sortes de lignes irrégulières qui se croisent, se rejoignent et s'éloignent. C'est tellement touchant, nous sommes des petites lucioles qui apparaissent, brillent un peu dans les ténèbres et disparaissent. (...) Les gens se rencontrent, tombent amoureux, passent du temps ensemble puis disparaissent.
Le réalisme dans ma prose n'est pas un manque d'imagination. C'est une sorte d'état hybride par lequel j'essaie de décrire la peur, le bruit et la fureur avec une distance paisible. Avec la sagesse de ceux qui ont survécu.
Ici en Belgique, je suis français. Et c'est encore nouveau pour moi.
- D'accord, je me défends, je suis français depuis peu. Mais depuis ma plus tendre enfance je râle contre tout, tout le monde m'embête et je me considère comme le plus intelligent de tous. Je connais tout du football, du cinéma, de la météorologie, de la politique, des femmes et de la cuisine. Et ne parlons même pas de littérature et de fromage. Donc, j'ai été français toute ma vie. On ne me l'a simplement pas dit à temps.
Ce dont je suis personnellement fier, c'est d'être officiellement devenu un homme aux identités multiples. Conformément à ce que je pense, nous sommes tous un ensemble de «trahisons», génétiques, culturelles, linguistiques et de toutes sortes de possibles.
Et tout ce que j'arrive à produire, ce sont de petites blessures esthétiques.
Je l'ai rencontré le jour où il a posé une mine antipersonnel sur le dos d'un soldat serbe mort, dans une clairière.
-Quand ses amis le verront, dit-il, ils le prendront. Et quand ils le déplaceront, boum, il les tuera tous !
Il erre et il vole sans repos. Il cache son trésor volé dans une maison abandonnée. Une collection enviable de téléviseurs, magnétoscopes, chaînes hi-fi, fours à micro-ondes...
- Après la guerre, répète Mato, il y aura une grande fête. Et je serai là pour leur proposer de la musique.
Un jour, je vois un équipement hospitalier dans cette maison. Une machine compliquée qui est en réalité un poumon artificiel.
-Dans une maison, me dit Mato, je suis tombé sur un vieillard qui était connecté à cette machine. Comme il était déjà âgé et à moitié mort, je l'ai prise. On ne sait jamais.
- Et le vieil homme ? je demande avec étonnement, qu'est-ce que le vieil homme a dit?
- Grh krhhh, me répond en souriant Mato Trabant.
Ouelles sont les vraies frontières de nos voyages ?
Le fleuve sait-il tout ou rien ?
À qui appartiennent réellement l'arbre, la terre ou I'herbe ?
À la fin de notre voyage, il n'y a pas de nouveaux paysages, de nouveau climat ou de mer mais tout simplement des douaniers.
Nos paysages sont devenus des territoires. Et nos territoires par la même logique nos Etats. Avec des frontières qui se chevauchent souvent. Malheureusement. Alors, par une simple addition, nos paysages, territoires et Etats sont devenus nos guerres. Ceux qui déclenchent des guerres considèrent les paysages comme leur patrie. Pour laquelle ils sont prêts à se battre jusqu'à la dernière goute du sang des autres.
La guerre est toujours conçue par les personnes âgées pour tuer les jeunes. IIs sont prêts à tout sacrifier pour le peuple. Y compris le peuple lui-même.
On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels, a sagement conclu Anatole France.
Si vous voulez provoquer une catastrophe, c’est assez simple : vous armez les cons.
« La littérature est la dernière alliée de la mémoire. La dernière ligne de l’humanité. Le papier de tournesol avec lequel nous testons l’acidité du monde. »