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4,11

sur 685 notes

Critiques filtrées sur 2 étoiles  
Une obscure force intérieure me pousse à continuer de lire Cioran. J'y trouve de quoi satisfaire mon pessimisme indécrottable. Même si parfois, j'aimerais voir les choses autrement, si parfois même, je crois très fort en l'Humain, et presque en Dieu, contrairement à lui. C'est selon !
Avec ce énième opus, Cioran répète inlassablement son mal de vivre, sa haine envers lui-même et les autres Sapiens. Attention, toutefois, avec les aphorismes, qui permettent de dire beaucoup sans devoir expliquer. Ce n'est plus que de l'émotionnel, du ressenti. J'ai lu ce livre, parfois en diagonale, parfois, en m'arrêtant sur telle ou telle assertion, mais toujours en me disant, qu'il a déjà exprimé ça ailleurs. Donc rien de nouveau.
Cioran devient pour moi, comme un excellent plat, dont on se ressert, et dont on finit par abuser et finalement ne plus en apprécier la saveur. Ça devient uniquement de l'addiction.
C'est décidé, j'arrête avec Cioran.
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Entre ce livre et moi, il y a certainement eu un malentendu : j'avais lu que l'auteur était proche de Ionesco, que j'adore, et que l'ouvrage contient de l'humour noir très fin. A priori donc, tout pour me plaire. Pourtant, dès les premières pages, c'est l'ennui qui me gagne. le ton parait un peu dépressif au début, mais on s'y fait rapidement et on comprend assez vite ce qui se cache derrière. Certains aphorismes m'ont fait rire, quelques autres m'ont fait réfléchir, mais pourtant, pour la grande majorité du texte, c'est un ennui mortel qui m'a accompagné.

Il me manque peut-être quelques clés de compréhension, ou un état d'esprit particulier, mais en tout cas, cette première lecture est clairement un rendez-vous raté.
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Le recueil d'aphorismes est un genre littéraire tout à fait singulier. C'est une façon de lire qui n'est comparable à rien, qui crée inévitablement chez l'esprit léger de la lassitude, et pour laquelle il faut des ressources personnelles auxquelles on n'est guère préparé, en général.

J'ai abordé ce genre avec Les Caractères de la Bruyère, qui sont tout emplis de cette morale de cour qui m'est assez insupportable : littérature de poseurs, de faux sages, de dévots qui feignent l'impertinence, où les leçons assomment sans jamais surprendre – trop chrétien, trop consensuel, tout ça, pour être vrai. Une messe prononcée par des prêtres souriants et séducteurs et qui osent un peu l'ironie. En cela, j'aime aussi peu La Bruyère que La Fontaine : très insincères tous deux, des coureurs de carrière et de mode, de la philosophie de salon (de thé) pour actuels professeurs de Lettres. On sourit entre gens bien éduqués, avec cette guinderie de caste qui distingue ceux qui veulent avoir l'air instruits et ceux qui veulent vraiment l'être. On prend son La Bruyère comme un café-crème dans une maison pâtissière de renom : on aime surtout à être vu avec, c'est bien fait, ça sent le luxe, ça vous donne une similitude avec des gens auxquels vous aimeriez « appartenir » mais aussi, ce n'est que du café avec des arômes, déjà connu. Mes excuses, en passant, pour les amateurs de café.

J'identifie assez, quant à moi, à quelle espèce appartiennent aujourd'hui les admirateurs par exemple De La Bruyère, De La Fontaine, de Bossuet, De La Fayette ou De Sévigné – et ce n'est pas du tout, je pense, ce qu'ils espèrent et ambitionnent, aussi est-il inutile que je m'étende là-dessus.

Et puis ce pensum vite oublié, j'ai lu Nietzsche des années plus tard. Effet tout différent : plume acérée, grattant sans vergogne les plaies des apparences, le contraire d'une philosophie flatteuse du vernis. Un style redoutable, tranché, sans mot superfétatoire, pour une pensée de combat neuve, hors système et sans affectation. Outre-Rhin, certains parlent de la « langue de Nietzsche » pour dire l'allemand : ils sont infiniment plus dans le vrai que ceux qui prétendent « la langue de Goethe », pour ce que l'Allemand, je crois, n'est ni sentimental ni maniéré.

Alors, j'ai découvert la nécessité de lire au moins deux fois chaque aphorisme d'un recueil : après une première lecture très minutieuse où l'esprit ne se permet nulle négligence, il faut y retourner pour s'imprégner de sa cadence, de ses implicites, de son fondement légitime ou non, après avoir compris. Sentir les logiques, les saillies, les retournements d'esprit qu'on anticipe peu à peu à force de percevoir les idiosyncrasies d'une pensée réduite à son essence et par somme. Entrer dans l'identité d'un homme qui refuse de discourir longtemps, parce que le laïus est toujours une éloquence d'artifices, de transitions fabriquées après coup, de références compilées avec labeur mais d'une façon qui fait croire à leur fluidité, à leur naturel : en cela, l'essai est bien davantage une illusion de facilité. L'aphorisme est le genre de l'homme modeste qui juge que seules certaines de ses fulgurances sont publiables, – le décanté, la quintessence, l'éthéré –, et qu'il n'y a que les éclairs de génie condensés qui édifient vraiment : l'auteur refuse de composer pas thèmes expansés artificiellement, allongés comme des sauces, convenus en parties – thèse, antithèse, synthèse, pouah ! Humble, oui, on ne le croirait pourtant pas tant il y a d'austère poésie, de force persuasive et d'élévation manifeste dans le véritable aphorisme ; encore y faut-il un penseur franc plutôt qu'élégant, ou bien on se retrouve avec un condensé de mondain… et c'est l'horreur ! Forme raccourcie, comme le sonnet pour l'épopée, comme la nouvelle pour le roman, l'aphorisme est de la philosophie foudroyante, une extraordinaire loupe aussi bien à splendeur spirituelle qu'à désastre intellectuel. On peut épuiser joliment une idée dans un essai qui brille par ces circonlocutions mais où le fond manque malgré tout : c'est quand même joli pour certains, ça a « du goût » quelquefois, une sorte de couleur de sophistiqué. Un aphorisme sans profondeur n'a presque aucun intérêt puisqu'il n'a guère de « gueule » par lui-même, il ne traduit pas même un effort de durée, c'est un vilain vent, de l'éphémère sans tenue et rien d'autre.

On s'ennuie sidéralement avec un seul aphorisme creux. Des blizzards d'éternité soufflent bruyamment sur trois phrases de vacuité dont on n'a pas le temps de savoir si elles sont bien tournées superficiellement par hasard ou par habitude. Préférer mille pages d'un roman piètre que trois aphorismes de suite sans le sentiment de réfléchir : on souffre moins. Moi, en tous cas, j'en ai senti le ridicule grandiloquent et outré, le bruit aliénant d'un air vide sur une plaine sans relief. Rien ne pardonne le four si bref : quand on n'a rien à dire, on parle longtemps ou l'on se tait. Une concision de néant n'a humainement aucun sens : préférer le silence tout net pour exprimer le néant, ou déblatérer des attributs du néant pendant des heures ; rien au milieu.

En cela, l'aphorisme est la mesure de l'auteur, sa valeur intellectuelle. On devine très vite pour quelle raison un homme écrit en évaluant les aphorismes qu'il élabore ou qu'il expose, par lesquels il produit de la vérité ou se vante. Car il n'appartient pas à tout le monde d'avoir des pensées édifiantes et neuves et de savoir les exprimer, ni de sentir par quel écart son esprit diffère des foules : comme l'aphorisme est par principe l'idée originale et forte, on découvre d'emblée à quoi un auteur identifie l'originalité et la force. Un mauvais aphorisme, bête comme un proverbe, prouve irréfutablement que son auteur situe son plafond au niveau de votre plancher.

Il y a, à la lecture de tout aphorisme, une épreuve de validation systématique qui est la pierre de touche de toute pensée : est-ce vrai ? est-ce profond ? était-il nécessaire de l'écrire ? Je ne conçois pas qu'on lise de la philosophie sans s'interroger infatigablement sur sa justesse, c'est-à-dire sur son rapport à soi et à la vie – je n'entends pas du tout notamment cette philosophie abstraite des systèmes et des néologismes qu'on arpente principalement par désir de « culture générale ». Toute réflexion qui ne semble pas directement s'appliquer à la réalité m'est presque totalement perdue – par exemple ni Spinoza ni Kant, avec toutes leurs définitions préambulaires et laborieuses, ne me parlent : j'ai beau comprendre leur jargon, je ne sais pas ce qu'ils me disent, c'est tout à fait pour moi une langue inutile, un exercice chinois, un jeu de conceptions vaines aussi peu nécessaires que l'apprentissage des règles du whist. On ne me verra jamais prôner cette sorte de pédantisme applicable à rien où le langage paraît se prendre pour unique objet et tourner en boucle, autosatisfait. de toute mon expérience de lecteur, il n'y a presque que des ouvrages de philosophie que j'ai arrêtés avant la fin : Schopenhauer, par exemple, a rencontré en moi tant d'objections que je n'ai pu admettre ses axiomes ; et, partant, tous ses développements, loin de m'être cependant incompréhensibles, m'étaient mensongers ou spécieux. À moins d'être mû par une curiosité bizarre ou mondaine, on peut sans mal quitter les Méditations métaphysiques de Descartes vers la fin de la troisième partie : la mauvaise foi ou l'illusionnement qu'il a fallu à l'auteur pour « démontrer » (« se persuader » serait plus juste, ou même « feindre de se persuader ») qu'on ne peut se figurer une perfection qu'en ayant déjà observé Dieu suffit à invalider toute la suite de son raisonnement corollaire ; tout ce qu'on y lit à partir de là est une pure et fallacieuse « vision de l'esprit » basée sur une erreur.

A contrario, je n'ai, je crois, jamais rencontré un aphorisme de Nietzsche creux ou inutile : voilà un homme qui avait le sens de la nécessité et de la hauteur. Tout chez lui n'est pas sans doute d'égale éloquence, mais il est bien impossible au juste de savoir où se situera son lecteur – à quel degré de perfectionnement par rapport à soi –, du moins est-il manifeste qu'il n'a pas délibérément menti dans ses aphorismes, qu'il ne s'est pas du tout complu à jouer le sage. Je lui sais gré d'avoir gardé pour lui toutes les pensées mineures qu'il a nécessairement produites dans le cours ordinaire de son existence. Il faut pourtant reconnaître que sa Naissance de la Tragédie est tout sauf un ouvrage digeste, mais l'auteur s'est rattrapé bien des années plus tard dans Ecce Homo en demandant pardon des lourdeurs de ce premier ouvrage « d'étudiant ».

J'y pense : un excellent test pour ne pas se laisser entraîner à une admiration béate d'un philosophe qu'on lit – parce qu'on suppose quelquefois un peu trop automatiquement qu'un recueil de réflexions, si arrangé, est en soi un objet de respect (d'autant que, bien souvent, on fonde beaucoup son jugement évaluatif sur la réputation d'un philosophe, et l'on n'ose pas dire par exemple que Spinoza fut un pédant inutile, parce qu'on en entend généralement parler comme d'une autorité) – consiste à y chercher immédiatement des objections et des contre-exemples, et, notamment, à se demander si l'on ne peut pas dire exactement le contraire d'une façon qui produirait une sensation de vérité identique. de la réponse à cette question dépend, pour moi, la classification de l'aphorisme en deux catégories :

1) Si oui : l'aphorisme n'est qu'un banal proverbe sans valeur – car il est de la nature des idées à l'emporte-pièce d'avoir l'air exact dans les deux sens : « Les contraires s'attirent » ? Pas sûr. D'ailleurs, « qui se ressemble s'assemble » ? Pas sûr non plus. On déjoue ainsi, par ce test, les imposteurs de la pensée qui suppléent au fond inexistant par une forme avantageuse.

2) Si non : l'aphorisme paraît juste – et c'est en soi une qualité de ne pas avancer des âneries pour la galerie –, mais il importe encore de mesurer sa nécessité et sa profondeur : on comprend qu'il faut là, en plus de la vérité, quelque peu d'inédit, d'inexprimé, d'impensé, et aussi quelque chose d'important qui, laissant une empreinte, aurait quelque application sur soi. On ne se contente pas facilement d'un fait évident et inconséquent : il y faut la saveur d'une vitale influence (c'est bien dit, hors pédanterie, je trouve ; pas vous ?).

Or, tout ceci expliqué (et pas trop contourné pour vous, je l'espère) amène à la question essentielle de cet article critique : Emil Cioran, à travers ses aphorismes, répond-il ou non point par point, selon moi, à ces critères de validité et de grandeur d'un philosophe profond ?

Il faut certainement commencer par dire quel personnage est cet auteur – je ne parle que de ses idées dans son livre, sa vie réelle n'ayant, comme d'habitude, pas le moindre intérêt pour moi :

Un homme qui érige en principe que l'existence est une inutilité et une fatigue, que la naissance est le vice originel que toute la suite stupide et vaine doit expier. Un penseur qui n'a que sa déprime perpétuelle à afficher ; un étalage d'humeur sombre et supposée spirituelle ; un malade qui vit de son dégoût de la vie, et qui serait bien malheureux, au fond, si on le lui retirait, d'être heureux ; un valétudinaire fuyant mais pas trop loin, qui désespèrerait de trouver un refuge ; un philosophe de sanatorium ; un indécis qui voudrait être un guide s'il ne lui manquait le courage ; un dépendant de son petit mal être confortable qui, pour rien au monde, ne voudrait finir de s'en plaindre (c'est, on suppose, sa thérapie intime d'écrire des livres) ; un satisfait de l'insatisfaction chronique et publiée, répétée, digressée ; un élégiaque sur le thème exclusif de la plainte ; un accablé d'avance du moindre effort si ce n'est celui de contempler son tourment continu et causé par rien ; un cas psychiatrique de la non-vitalité ; un mort-vivant qui aimerait parler de l'humanité sans en être ; le contraire d'un philologue : un égotiste pathologique, tout occupé de son mal et donc sans activité que de contempler son inaction.

Ce portrait n'est même pas une trouvaille : Cioran sans aucun doute ne se décrirait pas autrement.

Ses contradictions même traduisent une posture consciente qui figure toute son identité : écrire – et publier – pour signifier la justification de l'absence de projet ; mais pourquoi, si on refuse d'être, exprimer sa pensée dans des livres ? Cette apathie érigée en dogme est toujours sans démonstration : l'épuisement même du souffle de la volonté de convaincre – ce serait pour l'auteur le risque de s'y sentir insuffisant ; obstination par souhait ou par humeur plutôt que par réflexion. Cioran ne réfléchit pas, il abjure la raison et les arguments, il l'admet ; il sait ce qu'il avance par besoin d'être rien. le néant comme idéal – et aussi la négation de tout idéal. L'Inutile. le Dégoût. Ne pas faire, ne pas être, et tout ensemble le détachement impossible. Ne pas transmettre. Ne pas se confronter.

Mais pourquoi, tout cela ?

Voilà : par plaisir inavoué de la destruction et par goût de l'état végétatif et larvaire – aspiration au sommeil et à l'oubli : on a tous quelquefois le désir intime de disparaître mais on n'est pas pour autant obligé d'en faire un système ou une opinion ! L'erreur fondamentale de Cioran, ce n'est pas le sentiment de la vanité de toute action ou de toute pensée, c'est de croire à son universalité chez tout individu : l'homme, hormis Cioran, est pulsion, passion de vie, et Cioran même ne fait pas exception et le reconnaît explicitement en ne mettant pas un terme à son existence. Il ment ostensiblement en prétendant au dégoût de tout : il a ne serait-ce qu'un goût démesuré pour cette posture de plaignant ; il vit pour critiquer la vie. Et c'est cette aporie en lui qui ne résiste pas toujours à l'épreuve du : « l'inverse est-il vrai ? » : Cioran n'a pas de recul par rapport au mal dont il souffre, c'est un malade qui s'ignore en-dehors de la normalité ou plutôt qui suppose que la maladie est du côté de la normalité physiologique, il ignore l'homme, le paradoxe est sa jouissance et sa valorisation, sa philosophie est une contradiction flatteuse qu'il croit l'exiler – on se sent souvent heureusement unique d'être seul. En général, je puis dire que pour chacun de ses aphorismes, soit je pense l'inverse, soit ce qui y figure ne m'a pas paru digne d'être écrit. On y trouve trop le règne des vérités apparentes, des fausses audaces, des jugements négatifs à l'emporte-pièce mais dont les paradoxes si français suffisent à donner un simulacre d'éloquence, simulacre qui sied sans doute à un public parisien adorant, pour un temps, se mettre dans la peau d'un nihiliste – tout est si dérisoire et laid ! C'est si bon de feindre d'adorer détester un moment avant que le repas soit prêt : alors, on sourit d'intentions dures ou exaspérées, on suppose un nouveau Montaigne… à moins qu'on ne réfléchisse !

Un exemple ? Tenez, au hasard je dis la page 1, 2, 3 : 123 ! Quatre aphorismes seulement s'y trouvent, car c'est le début mi-page d'une nouvelle partie – on voit bien que je ne triche pas, que je n'élis pas, mon choix étant restreint, un défaut particulier et rare. Je recopie :

1) « Si vos épreuves, au lieu de vous dilater, de vous mettre dans un état d'euphorie énergique, vous dépriment et vous aigrissent, sachez que vous n'avez pas de vocation spirituelle. »

2) « Vivre dans l'expectative, miser sur le futur ou sur un simulacre de futur, à tel point nous y sommes habitués, que nous n'avons conçu l'idée d'immortalité que par un besoin d'attendre durant l'éternité. »

3) « Tout amitié est un drame inapparent, une suite de blessures subtiles. »

4) « Luther mort par Lucas Fortnagel. Masque terrifiant, agressif, plébéien, d'un sublime porcin… qui rend bien les traits de celui qu'on ne saurait assez louer d'avoir proclamé : “Les rêves sont menteurs ; chier dans son lit, il n'y a que ça de vrai.” »

Tout cela fleure peut-être le bon sens… de loin : c'est un parfum vague dont il faut encore estimer l'exacte teneur. Alors, modifiez pour voir, mettez par exemple en 1) « que vous avez la vocation spirituelle » (on s'étonne d'ailleurs que Cioran ne l'ait pas écrit ainsi, mais on suppose qu'il prend comme vertu de ne pas avoir, justement, cette vocation), en 2) « ne pas vivre… ne pas miser… un besoin d'agir », en 3) « Toute inimitié », et en 4) « qu'on ne saurait assez blâmer » : eh bien, tout ainsi conserve son mystère inexpliqué et flatteur, son insuffisance intrinsèque et sa saveur de vérité de surface faussement éloquente. L'absence d'explication ici, qui, dans l'aphorisme, doit éclairer l'esprit d'une lumière de vérité patente et indubitable, contribue à un flou où le lecteur avisé n'est pas sûr de pouvoir se soumettre, encore moins d'adhérer. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas, pour chaque pensée de ce genre, de produire mentalement ou par écrit une somme de commentaires composés de manière à l'étayer ou à la réfuter en faisant le tour de toutes les objections qu'on y pourrait apporter, mais une élémentaire gymnastique réflexive doit inciter, dans le moment qui suit la lecture, à sentir l'honnête applicabilité du morceau philosophique qu'on lui propose, ou au contraire à le considérer comme un tour de force généraliste et sans attache avec le concret. Quant à estimer si ces aphorismes cités sont nécessaires…
Quelques pensées superbes cependant – sans parler d'une soif évidente pour le style exact et marquant, pour ce lapidaire audacieux et ciselé – mais rares, au-delà de cette vision fondamentale et morne, rancunière presque, de la vie. J'en citerai plusieurs ci-après, à la suite d'autres rendant compte de ce renoncement sempiternel et opiniâtre à l'homme…

D'une façon générale, m'est avis que ce nihilisme à la Cioran, ce dégoût universel de la vie, ne vaut rien hormis comme pathologie originale – mais on ne fait pas pour autant par exemple de l'obésité ou de sa monomanie un modèle nécessaire ! L'aporie intrinsèque de cette façon
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J'ai choisi ce livre en croyant que l'auteur allait montrer la vacuité de la pensée que reflète son titre, et je me suis trompé. Sur la forme, il s'agit d'une longue succession d'aphorismes, de pensées, de moments, sans réelle connexion entre eux, sans un lien qu'on puisse concevoir comme un développement. Je trouve le ton sentencieux malgré le ridicule de certains poncifs qui auraient aisément trouvé leur place dans un vieil almanach... Sur le fond, il est question de l'absence de dieu, de l'inutilité de la vie, de l'absurdité de l'ambition, de ce que l'humanité vaut moins que rien, etc., jusqu'à la naissance qui est un fléau quand la mort est la seule chose qui vaille. La contradiction de taille pour moi, c'est que pensant ce qu'il pense, ce monsieur se lance dans l'écriture de ce livre, ce qui me semble le décrire à l'envers de ce qu'il nous assène pendant des pages et des pages. Je perçois (à la seule lecture de ce livre) cet homme comme un grand dépressif, égocentrique, peut-être mégalomaniaque, qui se plaint discrètement, sans trop en avoir l'air. Je ne trouve aucun intérêt à un tel ouvrage si ce n'est d'attirer dans sa noirceur et son malheur des gens à qui ses idées — qui ne me sont pas étrangères — parlent. Bref, de mon point de vue, une lecture désagréable qui ne m'a ni enrichi ni diverti.
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De l'inconvénient d'être né/Emil Cioran
Parvenue difficilement au tiers de ce recueil d'aphorismes, ma lecture de Cioran se poursuivra –elle ?
Je reste perplexe devant tant de désillusion émanant de ces textes.
Sans parler de l'absurdité de la situation tout à fait paradoxale de l'auteur qui n'en est pas à une contradiction près. S'il pense que d'être né est un inconvénient majeur, pourquoi donc n'a t-il pas mis fin à ses jours lui-même ; car n'attendant rien de la vie, comment pouvoir la vivre ?
En fait Cioran n'a jamais connu la déception ipso facto et il faut croire que son autodérision et son attitude absurde devant la vacuité de son existence lui permirent de vivre.
Sa seule excuse est sa faiblesse et le désir de vivre son paradoxe en écrivant.
Cioran est-il certain de ce qu'il avance ? J'en doute. Mais il assume son incertitude.
Et puis on n'est pas obligé de le prendre au sérieux. Je crois que son plaisir d'écrire un peu n'importe quoi a prédominé bien souvent.
Cela dit, l'ensemble est souvent abscons et hermétique. Bien que parfoisl'humour ne soit pas absent. Exemple :
« Je sais que ma naissance est un hasard, un accident risible, et cependant, dès que je m'oublie, je me comporte comme si elle était un événement capital, indispensable à la marche et à l'équilibre du monde. »
Ou encore : « Si la mort n'avait que des côtés négatifs, mourir serait un acte impraticable. » C'est tout de même quelque peu abstrus !
Peut-on vraiment penser que la seule tâche que l'homme puisse s'assigner et de décréer l'oeuvre du Créateur s'il veut s'en distinguer ? Est-ce que vraiment ceux qui ont des obsessions sont autant à plaindre que ceux qui ont des malheurs ?
Le paradoxe atteint son apogée dans cette affirmation : « Naître m'apparaît comme une calamité que je serais inconsolable de n'avoir pas connu. » Comment être inconsolable sans être né ? À moins que je n'aie pas tout compris…
Et le cynisme plus loin : « Je pense à tant d'amis qui ne sont plus, et je m'apitoie sur eux. Pourtant ils ne sont pas tellement à plaindre, car ils ont résolu tous les problèmes, en commençant par celui de la mort. » Cynisme certes mais aussi non sens car comment peut-on dire que le mort a résolu un problème s'il n'est là pour le constater ?
De temps en temps je note une idée qui me sonne juste : « le vrai contact entre les êtres ne s'établit que par la présence muette, par l'apparente non-communication, par l'échange mystérieux et sans parole qui ressemble à la prière intérieure. » Belle phrase.
Mais parfois j'ai du mal à suivre. Exemple : « Ce que je sais à soixante, je le savais aussi bien à vingt. » J'ai quelques doutes. Ou bien je n'ai pas compris là encore !
A lire à dose quotidienne infinitésimale en songeant qu'une lecture au second degré ne serait pas plus mal. On peut très bien aimer la vie même si elle ne sert à rien.

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Cet ouvrage est constitué de 250 pages de pensées nocturnes. le cynisme de ces petites phrases fait parfois mouche, mais je pense qu'il manque un travail de sélection, on tombe vite sur des répétitions, voire des phrases quasi identiques... Par moment c'est même dénué de réflexion ou de sens avec du "je suis triste d'être né", "j'aimerais ne jamais être né", "la naissance, quelle horreur", sans autre justification ou développement... de quoi laisser perplexe.
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C'est assez flippant parce que ça sonne juste et désabusé. Il y aussi des lieux communs que la précision el l'acuité du style font oublier. Ce qui m'nnuie le plus avec ce bonhomme c'est qu'il a été nazi et antisémite. Après il a transformé le dégoût qu'il pouvait ressentir envers lui même en dégoût pour l'humanité tout entière.
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