S'il est certain que
Gabriel Chevallier fut un auteur populaire, et que son roman a fait la joie de plusieurs générations, on ne peut pas dire qu'il se soit montré indulgent pour certains de ses contemporains.
L'univers
clochemerlesque fait penser irrésistiblement aux dessins de
Dubout, dans lesquels se côtoient des personnages grotesques ou vaniteux, couples dépareillés, foules en délire ou en furie, populace débraillée et forte en gueule. Fortes matrones ou vieilles filles desséchées, godelureaux naïfs ou vieux grigous bilieux, on est certes dans la caricature appuyée, pas loin du stéréotype. Grâce au style du portraitiste, qui ne se prive pas de nous fournir tous les détails, au physique et au moral, de ses personnages, le théâtre Guignol devient digne de
Molière.
Mais au-delà de la caricature, transperce la tendresse pour le genre humain, ses faiblesses et sa fragilité. Ses travers et sa drôlerie souvent involontaires, ses bouffées d'orgueil et son incurable optimisme. le récit passe de la bouffonnerie au drame, mais c'est toujours le rire qui l'emporte. Chevallier n'a pas oublié les leçons de Maitre
Rabelais, et
Clochemerle est le lieu de guerres Picrocholines, de banquets et de beuveries mémorables, ou le curé et le sacristain sont de la partie. le jus de la treille réjouit les gosiers et les coeurs, il s'ensuit une belle ardeur qui annonce d'autres réjouissances de la chair.
Passées les agapes et les batifolages villageois, au détour d'un chapitre, Chevallier ne se prive pas de glisser des discours violemment anti-militaristes et anti-cléricaux. La tradition lyonnaise des canuts ne se trouve pas que dans la consommation des pots de beaujolais. Il y a ici de la critique sociale qui attaque aussi bien les bourgeois étriqués et les aristos décatis que les politiciens sans scrupule.
Clochemerle est ainsi une lecture résolument subversive, qui prône la liberté de vivre et de penser, plus libertaire et contestataire qu'on ne le croirait, plus proche de Brassens que de Chasse, pêche, nature et traditions.