François Cheng, dans ce roman l'Éternité n'est pas de trop, a tracé de sa plume et de son pinceau de calligraphe la fine fleur de sa pensée.
Le texte est porté par une spiritualité humaine, compréhensible, vitale ou le corps et l'esprit témoignent de sentiments , que le lecteur peut partager.
On navigue loin d'une érudition philosophique, de concepts ésotériques, d'altérités tapageuses pour faire savant, c'est le langage des mains, le silence des coeurs, la sensualité des gestes simples, "nullement éclipsée par la magnificence des fleurs, elle irradie" p96 .
C'est un roman d'amour certes, tels Tristan et Iseult devenus chinois, mais le récit n'est pas mélo encore moins mièvre, mieux c'est un récit rugueux, âpre, où les corps puisent jusqu'à leurs dernières ressources leur ultime désir, se sentir aimé, désir d'éternité pour ces êtres aux coeurs giflés par la vie, désir de vie ; "Ce que les morts laissent aux vivants..; c'est certes un chagrin inconsolable, mais aussi un surcroît de devoir vivre, d'accomplir la part de vie dont les morts ont dû apparemment se séparer, mais qui reste intacte" .
la passion émerge page 41, Dao-sheng, médecin, ayant quitté les moines taoïstes, après une longue quête, est enfin appelé au chevet de Lan-ying qui se meurt, il attend depuis tant de jours, à rencontrer celle qui le hante et qu'il recherche avec désespoir.
Il ne verra pas Dame Ying, ce jour béni, il est juste autorisé à épuiser son pouls, à tenir sa main derrière un rideau, les amants s'inventent alors un langage plus fascinant que les mots, la calligraphie des mains, "Entre leurs deux mains aux doigts noués, le moindre frémissement, bruit de battements d'ailes; la moindre pression provoque une onde qui s'élargit de cercle en cercle.P70"
Cet amour va la sauver de la mort, ce jeu des doigts, où passent leurs frissons, soulage leurs coeurs, bascule Dame Ying dans l'amour, vers le monde des vivants.
Leur histoire va osciller entre la vie et la mort, "Non, la vie de Dame Ying ne peut pas s'arrêter là, s'écrit-elle. ; il faut qu'elle vive" p 205, implore la servante de Dame Ying.
"La mort entraîne la mort, mais la vie engendre la vie", p205 Cheng suggère alors avec humour "c'est la manière pour les vivants de remettre les morts dans la voie de la vie".
On se laisse emporter par cette passion, qui devient un amour impossible à vivre, un amour consommé charnellement par la puissance des mains, comme si cette guérison devenait un bonheur indicible et sublimé, une suprême éternité d'amour.
La poésie de
François Cheng s'y exprime avec fougue et simplicité, une estampe faite de quelques sublimes pleins et de beaucoup de manques, le souffle et le vide.