Saint Thomas sait être aussi subtil que Duns Scot, mais il ne cherche jamais la subtilité pour la subtilité ; il est aussi éclectique que Suárez, mais il a trop de sang pour ne pas préférer l’entrain de sa propre réflexion aux sages résumés et aux tièdes accommodements. Il n’y a pas de crypte dans sa cathédrale, pas de contre-portes, pas de fausses fenêtres, ni de marchandises en vente, et jusqu’au dernier chapitre, on le voit en train de soutenir quelque chose avec ardeur. On y entre où l’on veut, quels que soient les articles ; derrière beaucoup d’entre eux, un Chevalier protège une Mélisandre de tous les Taine et de toutes Vieilles Barbes de notre monde, et seule la divine obstination de l’Amoureux l’emporte sur sa hache.
La Tradition est ce monde idéal de valeurs humaines dont nous héritons à la naissance, sans le mériter… et à l’égard duquel nous nous montrons ingrats. Mais tout ce dont nous héritons n’appartient pas à la Tradition. Mettons qu’un fils hérite d’une maison et d’une tuberculose ; la maison est tradition, la tuberculose ne l’est pas. Il se peut que la tuberculose soit de famille, mais on fera bien de briser ce genre de transmission le plus tôt possible. Je le précise, parce qu’aujourd’hui, d’un point de vue moral, on a tendance à démolir les maisons et à cultiver le bacille de Koch.
Toute connaissance qui devient pouvoir a la mort comme force centrale : le pharisianisme – « la religion sans justice ni miséricorde » - en représente l’archétype, étant le détournement de la plus haute connaissance, celle du sacré. Ainsi, le pharisien d’avant-hier était persécuteur au nom de Dieu, et celui d’hier l’était au nom de l’Homme. Ne croyant plus en Dieu ni en l’Homme, le pharisien du Nouvel ordre persécute au nom de la sécurité, de l’Hygiène, de la Planète, de l’Évolution, du progrès, etc., c’est-à-dire au nom de n’importe quoi. En montrant cette continuité pharisienne - et personne ne l’a fait comme lui, me semble-t-il -, Castellani aura évité le double écueil de la réaction purement nostalgique et de la séduction des modernistes avec leur pharisianisme au cube.
Prologue : Erick Audouard
C’est pourquoi je ne saurais être communiste, ni « communiste chrétien », pas plus que je ne puis abandonner cette vieille soutane défraîchie. Si je laissais tomber l’idéal catholique, je suis ainsi fait et je ne pourrais me contenter de devenir protestant ; je devrai prendre sur-le-champ ma carte au Parti. Or l’athéisme est le fond du communisme ; et pour finir, s’y trouve aussi la racine de toute idolâtrie. Le communisme voue un culte à la Technique, il adore la Science, il adore l’État et la Tour de Babel. Il aspire à réparer le monde en comptant sur les seules forces humaines. Il veut ressusciter le monde à coups de recettes magiques ! « Maudit soit l’homme qui se confie dans l’homme », avertit Jérémie dans l’Écriture. L’idéal communiste est l’utopie de la confiance absolue en l’Homme pour racheter l’Homme. Le communisme attend un nouveau Messie, et c’est très certainement ce qui lui arrivera : Un Messie naîtra en son sein, qui sera porté tout en haut de la Tour de Babel par la Technique, la Science et l’État – avant d’en tomber.
Mon propos est le suivant : il n’y a pas plus de deux remèdes généraux à ce que l’on appelle aujourd’hui « la question sociale », et ces deux remèdes sont la charité ou l’esclavage : par charité, je ne fais pas ici exclusivement allusion à l’aumône, mais à la Charité qui règne sur la Justice, une Charité qui présuppose la Justice et qui conçoit la Justice. Aujourd’hui, le courant général du monde se dirige vers l’autre solution, l’esclavage.
Erick Audouard. Penser l'apocalypse avec Leonardo Castellani.