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Critique de Pol-Art-Noir


Mano vit dans une caravane au sein d'une communauté qui a préféré se retirer en lisière de la société dans un village perdu au bout du monde. Son ami John, un vieil Anglais, vient de la prévenir qu'au café du bourg, une femme a demandé après elle. Mano s'agite et se rend vite à l'évidence : c'est son passé qui ressurgit. Il ne peut s'agir que d'Axelle.
Vingt-cinq ans plus tôt, elles ont participé à un braquage qui a mal tourné ; un flic a été abattu. Axelle et quelques complices ont été arrêtés, jugés, emprisonnés. Mano, elle, a disparu.

Elles se sont rencontrées dans une boîte de nuit pour étudiants friqués ; Mano en tenait le bar, un boulot comme un autre ; Axelle, la rebelle, s'y était aventurée à contrecoeur en accompagnant quelques copines prêtes à sourire pour un verre offert. Ce fut comme un coup de foudre, une évidence pour elle, même si Mano, trop occupée, la remarquait à peine. Qu'importe, ce serait pour une autre fois.
La connexion établie, elles se transforment en activistes révolutionnaires au sein d'un groupuscule d'extrême gauche, rédigeant puis distribuant des tracts appelant à la révolte, participant aux altercations musclées avec les ennemis jurés du GUD. La réforme Juppé est à l'ordre du jour, le Mur de Berlin est tombé il y a quelques années ouvrant une voie royale au néolibéralisme. L'heure est à la révolte…

À travers ses deux personnages féminins, Axelle et Mano, à travers leurs récits subtilement conjugués dans le temps, c'est avant tout une belle et sombre histoire d'amour qui se joue sous nos yeux, depuis la montée du désir de l'autre, jusqu'au dénouement.
Le sort a éloigné ces deux-là qui pourtant s'étaient trouvées, différentes et complémentaires, comme les deux faces d'une même médaille. Leur amour naissant, grandiose, écrasé sous le poids de la réalité, brimé par la séparation, mais toujours intact, perdurant à travers les années malgré l'absence de l'autre.
Axelle, emprisonnée, condamnée à une lourde peine pour avoir tué un flic, s'exprime à la première personne, au présent. Elle raconte l'univers carcéral, la colère qui ne la lâche pas, les colères. Envers l'injustice du monde, envers la société, envers ses parents, envers les flics, envers les renoncements.

Il n'y a pas beaucoup de jeunesse dans ce village figé, charmant comme une carte postale. Face à leurs têtes d'ennui, ils ont envie de faire des choses folles, les sortir de leur immobilisme, de leur fossilisation. Leur tranquille acceptation du monde les étonne, les désespère aussi un peu. Axelle tente d'y lire un apaisement mais ça ne marche pas, elle a envie de faire des étincelles, se déshabiller, crier, leur faire tourner la tête et déformer la bouche, les secouer. En ville aussi, ce genre de tentations la traverse parfois mais dans ce petit village de montagne, c'est pire. On dirait que la marche du monde, quelle qu'elle soit, n'a de prise sur personne. Eux, ils ont besoin de bruit et d'explosions, de vitesse et d'engouements, Axelle encore plus fort que les autres, peut-être.

Mano, brisée, raconte à la troisième personne, son amour perdu, sa solitude, son errance alors qu'elle ne peut plus atteindre Axelle. Quelque part, elle aussi est en prison. Les barreaux sont ceux qu'elle dresse autour d'elle, s'empêchant de vivre.
Nos Armes aurait pu se contenter ce cette histoire d'amour fou, intense, entretenu à travers le temps et l'espace, mais Marion Brunet n'a pas pour habitude de pratiquer la bluette. L'amour est ici douloureux, et si la cruelle expérience de la prison décrite par Axelle vient encore assombrir le propos, le roman prend aussi un tournant politique dans la description de la jeunesse qui vit ses vingt ans au milieu des années quatre-vingt-dix, dans l'effondrement des perspectives, la renaissance des injustices, et les moyens de les combattre. Avec quelles armes.
Manon Brunet décrit, avec toute la sensibilité et la finesse qu'on lui connaît, non seulement le bal des sentiments, mais aussi la fougue de la jeunesse, son impatience, sa colère, ses combats. C'est beau. C'est fort, touchant, émouvant, poignant parfois, admirablement construit et écrit. Merci pour cette offrande.
Lien : https://polartnoir.fr/livre...
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