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Critique de dourvach


Emile BRAVO (né en 1964) a dû s'en entendre, gamin ! Je veux dire : de ces "Ah ben... et mille bravos à toi !" quand il faisait ses gaffes... En fait, c'était prémonitoire : comment aurait-il pu deviner qu'un jour, à force de talent, il remplacerait en nos coeurs et sous nos yeux éblouis le créateur du célèbre "héros sans emploi" (et futur garçon de bureau) Gaston Lagaffe : André FRANQUIN (1924-1997) qui, après puis avec son pote bédéiste JIJÉ (1914-1980), reprit à son tour les petits personnages de ROB-VEL (1909-1991) — l'homme seul qui en 1938 créa "notre" petit trio héroïque pour les éditions Dupuis père & fils sévissant à Marcinelle/Charleroi : Spirou (le groom d'hôtel ingénu au grand coeur), son Spip d'écureuil terrestre (affectueux et muet sauf dans les rêves de son maître) et son grand benêt d'ami Fantasio (qui se chope le melon pour un rien...).

Tiens, et sur ROB-VEL, l'encyclop' en ligne Wikipédia nous apprend ceci :

« Contacté par les éditions Dupuis pour le lancement du Journal de Spirou, il crée le personnage de Spirou, gamin espiègle et débrouillard, roux comme un écureuil, inspiré en cela par le double sens du mot familier belge. Rob-Vel est assisté dans sa tâche par sa femme, Blanche Dumoulin, qui écrit les scénarios, et par le peintre Luc Lafnet, un de leurs amis. La série est signée du nom de Rob-Vel, mais il est possible que Lafnet soit le véritable auteur d'une partie des planches, dont peut-être la toute première, le dessinateur français ayant été occupé simultanément par d'autres séries. [...]. le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale rend difficile les communications entre Rob-Vel, mobilisé, et les éditions Dupuis. Luc Lafnet décédé d'un cancer, c'est Blanche Dumoulin qui travaille sur les crayonnés et scénarios que Rob-Vel envoie du front pour que le rythme de publication d'une planche par semaine soit respecté. Aidée par le dessinateur van Straelen, elle accentue fortement le côté réaliste de la série, jusqu'à l'interruption de l'hebdomadaire été 1940. Blessé puis fait prisonnier, Rob-Vel est injoignable lorsque le Journal de Spirou paraît de nouveau : c'est Jijé qui s'occupe de la série jusqu'en mars 1941. À cette date, Rob-Vel reprend les rênes de son personnage et enchaîne les péripéties qui évoluent fortement vers la fantaisie et la science-fiction avec Spirou sur la planète Zigomus. Après l'interdiction de publication qui frappe le Journal de Spirou en 1943, Rob-Vel se décide à vendre son personnage aux éditions Dupuis qui confient à Jijé la charge de prendre de nouveau la relève. »

Voici donc pour l'ambiance historique des débuts du véritable Papa du jeune groom...

Les 86 planches du "Premier Chapitre" (ou "Premier Tome", comme annoncé sur la couverture cartonnée des éditions Dupuis de Marcinelle, Belgique), donc : "Un mauvais départ"...

Cette affaire, ça sent à fond la S.N.C.B. (Société Nationale des Chemins de fer De Belgique) et la suie de ses locomotives à charbon ! La dominante brunâtre des beaux coloris de Fanny BENOÎT... La triste couleur des Wagons de voyageurs puis des wagons à bestiaux des dépôts de Malines et de Breendonk.

Nous passerons de train en train, on le verra : la fin du Premier Tome, le début et la fin des Second et Troisième Tomes... Soit déjà 5 occurrences de cette métaphore ferroviaire du "Grand Départ" (sorte de Grande Faucheuse) qui nous sépare d'autrui et hante parfois nos rêves...

Une superbe première Grande Case "à la Hergé" en première page pour montrer une rue de Bruxelles, l'hiver (ce mois neigeux de janvier 1940) : une gamine chouine seule sur le trottoir, le long duquel vient de s'arrêter un grand tram jaune canari (Spirou en descend, Spip sur l'épaule)... Deux passants emmitouflés s'approchent aussi, dans cet air glaciaire qui vous ferait pendre des stalactites de morve sous le nez.

C'est Suzanne, la frangine de P'tit Louis (un gamin particulièrement râleur à l'indévissable béret noir) qui l'a laissée en plan pour aller jouer au foot avec ses potes dans le terrain vague... Ce brave coeur de Spirou lui trouve un biscuit et la raccompagne vers son frangin oublieux (les filles étaient exclues des terrains de foot, en ces temps-là). La Belgique se veut "neutre" à l'époque, mais aussi zone tampon comme la Hollande, depuis la déclaration de guerre de la France et l'Angleterre à la folie expansionniste du "Reich" : les deux passants nous apprennent qu'on craint très fort que la guerre aux frontières ne se termine en invasion par "les Boches"... cette drôle de guerre (septembre 39 à mai 40) qui sera dépeinte un jour en trois saisons d'immobilisme métaphysique ardennais (très humide et glaciaire, lui aussi) par un certain Julien GRACQ dans son magnifique récit "Un balcon en forêt" [1958].

Toute la magie de ce "SPIROU. L'ESPOIR MALGRE TOUT" est là : dans cette alternance de réalisme, de poésie, de tragédies, de contrepoints fantaisistes bienvenus : c'est qu'il faut chaque jour "espoir garder" malgré ce quotidien qui se dérobe et se dégrade sans cesse, comme dans un roman régressif de Philip K. DICK ... (au choix et dans l'ordre : "L'Oeil dans le ciel", "Le Dieu venu du Centaure", "Ubik", "Au bout du labyrinthe").

C'est ça : l'art de BRAVO est labyrinthique : on croit quitter un personnage mais on se cognera contre son visage à un coin de rues, quelques pages plus loin... Il n'y a pas de hasards dans la vie. Bruxelles est un gros village mondialisé où se joue quotidiennement la Tragi-comédie d'une humanité qui veut seulement survivre...

Kassandra, l'amour évaporé de Spirou, a disparu au Tome Zéro de l'ample saga Bravo-esque ("Spirou. le journal d'un ingénu.") ,

Felix et Felka, le couple d'artistes, font leur apparition. Felka appelle aussitôt Spirou "Mon Ange"... Felix peint sur châssis toilé ses prémonitions d'un avenir toujours plus "brun"... avec pour principal motif des autoportraits de lui, seul ou en couple. L'artiste (comme chacun sait) "ne sert à rien"... de plus en plus affamés et amaigris. Ils sont juifs ashkénazes et ont dû émigrer depuis leur Pologne natale vers la capitale belge "par prudence" : nos "migrants" de l'époque...

P'tit Louis et Solange découvrent un jour qu'ils sont "juifs" (C'est quoi ?).
Henri (dont le père sera collabo) et Robert (dont le papa est coco) s'entendent à peu près bien pour s'engueuler...

Au fait, apprenez que Spirou répond au prénom de Jean-Baptiste et est orphelin (comme Charles Spencer Chaplin) et qu'il sort du très rance Orphelinat "catho" de Saint-Pancrace" (recelant tout de même, fort heureusement, en son sein quelques rares "judéo-gauchistes" clandestins et autres brebis galeuses de la J.O.C. mais chut !).

A moitié de cette inoubliable "Première partie", la paisible Belgique est envahie : comme on s'essuierait les bottes cloutées sur un paillasson sans importance... le futur Occupant s'offrira la percée de Sedan. Pendant ce temps, oublié en sa forêt des Ardennes printanière, le lieutenant Grange de GRACQ doit se terrer sous une couverture humide en son bunker forestier (ce "piège à c...s", selon l'un de ses supérieurs) pour y attendre la mort : "Un balcon en forêt" pour contempler ses rêves mis à terre...

C'est l'heure de l'Exode... Les gens fuient Bruxelles, la campagne est alors vite atteinte (point encore la mégalopole aux immeubles modernes qu'on constate que de nos jours) mais on tourne en rond et les "Stukas" commencent à mitrailler les convois militaires mélangés aux civils.. Souvenirs du ton si juste de "Jeux interdits" [1952] du grand René CLEMENT (déjà auteur du film épique "La Bataille du Rail" en 1946) et des bouilles des gamins joués par Georges Poujouly et Brigitte Fossey.

L'intérêt alors (et de toujours) de posséder des bicyclettes en bon état... "Le plat pays qui est le mien".

On arrivera page 88 au train matinal pour l'Allemagne où s'embarque ce grand naïf de "Fanta" s'embarque après bien d es déboires professionnels... Spirou arrivera-t-il à détourner cette grande asperge des prévisibles tristes conséquences d'une énième erreur de jugement ?

Allez savoir si la Madeleine "de Fantasio" (s'en amourachant aussitôt) sera votre madeleine proustienne ?

Je vous ressers en tout cas l'extrait de WIKIPEDIA qui est consacré au papa de cette extraordinaire Saga (en 1 + 4 Tomes prévus) :

« En 2008, [Emile BRAVO] rend hommage à un classique de la bande dessinée franco-belge en signant le quatrième tome de la collection "Une aventure de Spirou et Fantasio par"…. Intitulé "Le Journal d'un ingénu", cet album imagine les origines du groom inventé par Rob-Vel soixante-dix ans plus tôt, et connait un large succès critique et commercial. [...] Bravo s'attelle en effet à un projet qui l'occupe durant la quasi-totalité des années 2010 : une suite au "Journal d'un Ingénu", qui plonge cette fois le groom dans la Seconde Guerre mondiale. Quatre tomes sont prévus pour ce récit de plus de 300 pages intitulée "SPIROU" ou "L'ESPOIR MALGRE TOUT". le premier album, sous-titré "Un Mauvais Départ", sort à la rentrée 2018, après une pré-publication dans le" Journal de Spirou" en mai de la même année. [...] La deuxième partie intitulé "Un peu plus loin vers l'horreur" paraît en octobre 2019. La troisième partie intitulée "Un départ vers la fin" paraît le 1e octobre 2021. »

Je me répèterai donc ici [Cf. notre critique de sa "Seconde partie"], tout comme l'aurait inscrit Madeleine l'institutrice (dont ces cancres de P'tit Louis et Lucien se méfient) en faisant grincer lentement ses bâtons de CRAIE BLANCHE sur son grand tableau noir ["SCOUÎ-Î-ÎC !"] : à l'identique du très habité et si personnel "L'Arabe du futur" de Riad SATTOUF, "SPIROU. L'ESPOIR MALGRE TOUT" [rime] d'Emile BRAVO est "votre" Classique de demain.
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