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Critique de HundredDreams


« Ce qui est arrivé dans le passé ne peut pas demeurer dans le passé, tout comme le futur se situe toujours à un souffle devant. »

De Joseph Boyden, j'ai eu récemment un immense coup de coeur pour « le chemin des âmes » dont j'ai aimé l'écriture ciselée, profondément humaine et l'histoire qui se noue autour de trois magnifiques personnages sous fond de guerre des tranchées. C'est avec mon petit cercle d'ami.es que j'ai eu le plaisir de repartir sur les traces de cet auteur canadien talentueux qui revendique des origines amérindiennes. Je les en remercie.

Si j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce récit, je dois bien avouer que, au fur et à mesure des pages, cette histoire m'a captivée, ses personnages m'ont autant fascinée que je me suis attachée à eux. Et c'est avec peine que je les ai quittés.

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Avec « Dans le grand cercle du monde », une porte s'ouvre sur les territoires sauvages des Hurons et des Iroquois au milieu du XVIIème siècle, à l'époque coloniale française et anglaise.

« Avant l'arrivée des Corbeaux, nous avions la magie, l'orenda. Nous n'en avions jamais douté avant que leurs serres n'agrippent pour la première fois nos branches et que leurs becs ne picorent pour la première fois notre terre. »

Dès le tout début du récit, le lecteur assiste à une scène d'une grande violence où une jeune Iroquoise, Chute-de-Neige, assiste impuissante, au massacre de sa famille par un groupe de chasseurs Hurons. Epargnée mais captive, elle est adoptée par le chef guerrier Oiseau en remplacement de sa famille assassinée par les Iroquois.
Un prisonnier, Christophe, rebaptisé Corbeau par les Hurons, fait partie du groupe de Hurons au moment de l'attaque. C'est un missionnaire jésuite français venu vivre parmi eux pour les convertir au catholicisme.

Depuis de nombreuses générations, les deux tribus amérindiennes se livrent à une guerre intestine mais l'enlèvement de cette enfant va raviver leur profonde mésentente et leur haine réciproque. Deux grandes puissances européennes se mêlent au conflit, chacune prenant partie pour un camp, avec pour dessein insidieux de s'établir au Canada et s'approprier les terres des Indiens.

A travers les récits croisés de Chute-de-Neige, Oiseau et Corbeau, le roman raconte comment l'afflux des explorateurs européens et les attaques incessantes des Iroquois entre autres, vont concourir au déclin du peuple Huron et à la dispersion de ses survivants.

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Ainsi, se dessinent et s'entrelacent trois brins narratifs qui, au fil des chapitres, donnent la parole à tour de rôle à un des trois narrateurs. Chaque point de vue est parfaitement et solidement étayé, rendant chaque voix parfaitement reconnaissable et d'une intimité touchante.

J'ai trouvé cette mise en scène astucieuse car la multiplication des angles de vue enrichit fortement notre vision de ce monde plein de contrastes. En effet, en nous plongeant dans ce nouveau monde, l'auteur donne vie à une époque et un lieu : on est en plein dans la conquête de l'Amérique du Nord et l'évangélisation des peuples autochtones, mais également dans les conflits entre les peuples indiens qui veulent s'arroger le commerce lucratif des fourrures avec les Blancs.

Le récit est porté par la sauvagerie et la convoitise des hommes, mais heureusement, l'auteur ne s'arrête pas là. Ainsi, on entre aussi dans leur communauté. Les descriptions de la vie quotidienne des Hurons, de leur mode de vie basé sur la culture des « trois soeurs » (le maïs, la courge et le haricot), de leurs croyances et de leurs coutumes, de leurs rites funéraires et de leur sensibilité au monde des esprits, sont minutieusement décrites.

« En matière d'esprit, ces Sauvages croient qu'il existe en nous tous une force vitale similaire, pourrait-on dire, à ce que nous, catholiques, croyons être l'âme. Cette force vitale, ils l'appellent l'orenda. C'est le côté fascinant. le côté épouvantable, c'est que ces pauvres créatures égarées croient que non seulement les êtres humains, mais aussi les animaux, les arbres, les étendues d'eau et jusqu'aux pierres possèdent une orenda. »

Joseph Boyden sait faire revivre la férocité de leurs pratiques rituelles, et en particulier les "caresses" que chaque camp prodiguait à leurs prisonniers durant de longues journées. Ces passages ne sont pas faciles à lire, les descriptions de ces scènes de torture étant crues, implacables, d'autant plus déroutantes qu'elles sont respectueuses de l'adversaire et vécues dans une joie festive pour les vainqueurs, mais qu'elles sont aussi vécues par les prisonniers comme une épreuve faisant appel à leur bravoure, leur force mentale, leur fierté et leur honneur.
A ce propos, Christophe formule une remarque très juste, faisant le parallèle entre les rituels de torture des « Sauvages » et les actes de l'Eglise catholique, les méthodes de torture de l'Inquisition.

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Pourtant, au milieu de la brutalité des hommes et de la nature, un éclat parvient néanmoins à s'infiltrer grâce à des personnages attachants, touchants.
J'ai été particulièrement sensible à la justesse de la caractérisation des personnages, autant principaux que secondaires. En prenant la parole chacun à leur tour, les trois narrateurs se dévoilent au fil de leurs pensées. Ils se révèlent d'autant plus nuancés que les traits de leur personnalité évoluent au cours de leur vie. du coup, si j'ai eu au départ de la compassion pour la jeune fille et du mépris pour les deux hommes, mes sentiments ont très vite évolué et changé à l'égard d'Oiseau, plus lentement en ce qui concerne Corbeau sachant combien la conquête de l'Amérique du Nord, l'évangélisation et l'introduction de maladies venues du Vieux Continent avaient été meurtrières. Au final, il révèle une personnalité plus complexe et plus surprenante qu'il n'y paraissait au départ.

« Quand nous les avons autorisés à vivre parmi nous, nous ne savions pas qu'ils étaient pires que des mauvaises herbes. Et maintenant qu'ils se sont enroulés autour de nous, ils ne nous lâcheront plus. »

Le point de vue développé par Christophe est particulièrement intéressant sur la façon dont les catholiques lancés à la quête de l'âme indienne, se sont immiscés dans la vie des peuples autochtones, apprenant leur langue, leurs traditions et leurs rites, ébranlant les fondements de leur culture, les détournant progressivement de leur spiritualité et de leur mode de vie pour embrasser leur foi. Il est de loin le personnage le plus abouti, même si j'ai aussi aimé la profondeur des émotions de Oiseau.

« Ces Sauvages sont puérils et entêtés. Ils vivent dans le péché, dans le monde coupable de l'idolâtrie, et sans l'ombre d'un doute sous l'emprise de Satan, ce qui rend d'autant plus importante ma mission. »

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Un autre aspect du roman m'a énormément séduit, c'est le style de l'auteur.
C'est un livre à l'écriture réaliste, riche, sensible et sombre, féroce et crue. L'histoire habilement racontée est fascinante, mais accompagnée d'images saisissantes de réalisme, de scènes dures et sanglantes qui m'ont emportée autant que bouleversée.
Les mots de l'auteur nous entraînent dans l'intime, ils sondent les profondeurs de l'être et les vérités cachées. Ils disent la peur et la vulnérabilité, le courage et le sacrifice, l'amour et le deuil, la colère et la haine, la ferveur religieuse et l'étroitesse d'esprit dans un monde tumultueux où les cultures et les peuples entrent en collision. J'ai été émue par la puissance des émotions, ébranlée par la barbarie des hommes.

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Une fois de plus, malgré sa brutalité, Joseph Boyden m'a emportée dans son univers par le souffle romanesque de son récit, par la force de ses personnages pleinement incarnés. Il a saisi une époque captivante, un monde fascinant en pleine mutation, des personnages aux prises avec les mouvements de l'Histoire.
Et même si j'ai préféré « le chemin des âmes », je ressors ravie de cette lecture. Les dernières pages sont poignantes.
A découvrir.
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