Âpre monde

Le jour maintenait des barrières dressées qui gardaient le vivant dans des préoccupations physiologiques, alors qu’elles disparaissaient la nuit, laissant la voie libre à une anarchie spirituelle. Le champ des possibles, dans l’oubli du réveil. Une autre vie.

Les mots du poète paradaient dans sa tête, comme une troupe avant un combat. Leur puissance le rassuraient et armaient son esprit pour la nuit entière et le jour à venir, Ils étaient ces ruines magnifiques qu'Elias retrouvait chaque soir, jusqu’à ce que ses yeux n'en puissent plus et qu'il poursuive la rime dans l'obscurité , résistant le plus longtemps possible au sommeil, épiant les sons archivés au creux de sa mémoire et entre les vers du poète.

J'ai lu dans un livre que la vie c'est ce qui vous arrive quand vous attendez que d'autres choses vous arrivent, qui elles, n'arrivent jamais. L'imparable définition du destin.
page 212.

Tulssa lui avait dit que rien de ce qui se produit dans la vie d'un homme n'est le fruit du hasard, mais celui d'une volonté supérieure, et qu'il doit composer avec chacune des responsabilités qui lui incombent, sans jamais fuir. Il avait aussi lu dans un livre qu'on passe sa vie à attendre des choses qui n'arrivent jamais, ce qui revenait à peu près au même, admettre l'idée d'un destin propre à chacun, trop puissant pour qu'on songe à en dévier la route.

Ici, je n'existe pour personne... Je ne suis personne....
... arrête de pleure sur ton sort... Tes larmes n'arriveraient même pas à faire germer un grain de blé.... Ce coin, c'est Babylone déserte... La vie, c'est pas ce qu'il y a de plus précieux pour un homme, c'est le sens qu'on lui donne qui importe... Il faut être sacrément présomptueux pour vouloir s'éterniser... Il faut être encore un homme, j'imagine...
page 65.

Dans ces montagnes, on n'a pas d'autre choix que de survivre ... à moins d'avoir envie de se faire sauter le caisson, certains diraient le courage ... En tout cas, je crois qu'il n'y a pas pire perte de temps que de prier pour le salut de son âme. Pire erreur... Prier ne sert à rien, mis à part mesurer l'étendue du désastre passé et celui qui s'amène en grande pompe... Parce qu'en fin de compte, il y a toujours un désastre qui pointe son nez, où qu'on se tourne...
(....)
pages 64-65.

Elle lui parla de leur folle chevauchée au bord de la rivière, du gage dont elle avait rêvé et qu'il n'avait su lui donner, de tout ce qu'il avait gâché.
Ajouta qu'ils ne pouvaient pas revenir en arrière, mais que certaines choses devaient être accomplies si l'on veut que le regret soit à la hauteur de ce que l'on pense avoir perdu. D'autres mots vinrent, mélangés aux caresses, des mots suppurant d'une plaie ancienne qu'elle croyait soignée. Puis elle se tut et Elias eut la sensation que son corps se dévidait à la manière d'une pelote de ficelle lancée du haut d'une falaise.

C'était beau et glaçant à la fois d'imaginer que ni lui ni personne n'avait de droit immuable sur la nature et que toute plaie était faite pour cicatriser.