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sur 1550 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Bol d'air impur au Gour Noir.
Le dernier roman de Franck Bouysse est un pendule irrésistible qui oscille entre le conte et le western.
On n'est pas dans le Grand Ouest, mais dans un bled paumé placé sous la coupe d'un propriétaire tyrannique épaulé par des hommes de mains sales aux mines patibulaires. le casting des sbires rappelle des phénomènes de foire, monstrueuse parade avec un nain reptilien, Snake, une brute gigantesque, le Double, et une sorte de shérif aussi vicieux que véreux, Lynch.
La mégalomanie de ce dictateur provincial va jusqu'à baptiser toutes les rues de son seul nom, Joyce. Pas très pratique pour distribuer le courrier. Tout lui appartient. le barrage, la centrale électrique, la carrière et… les habitants, employés serviles et apeurés, n'osant mordre la main qui ne les nourrit que de misère et d'humiliations. Aucun cavalier solitaire ne va venir à la rescousse, Clint Eastwood n'a jamais trouvé le chemin de cette vallée perdue sur son GPS, campagne des Bermudes repliée sur elle-même, comme un petit animal blessé. Il faut dire que, comme à son habitude, l'auteur ne renseigne ni les lieux ni l'époque de son roman. A croire que Franck Bouysse ne veut pas partager ses coins à champignon. Ou bien, souhaite-il, c'est plus probable, se laisser la liberté d'inventer un monde qui autorise la légende.
Dans cette contrée, plus unis que les 4 mousquetaires, aussi emprisonnés que les Dalton, vivent trois frères et une soeur, soudés par le sang, dans le sang. Leur père, à défaut d'avoir les mots, a la main lourde et la mère est cloitrée dans sa bigoterie. Elle a trouvé Dieu et perdu sa famille. Seul le grand-père, Elie, veille discrètement sur eux. Ce quatuor, qui s'amuse à se suspendre à des cordes du haut d'un viaduc, illumine ce texte sombre. Il y a Marc, avide lecteur battu par son père dès qu'il le surprend en train de bouquiner, Mathieu, plus amoureux de la nature qu'un cycliste grenoblois (je ne sais pas pourquoi je dis ça, enfin si un peu), Mabel, créature de rêve assoiffée de liberté et Luc, esprit lunaire labellisé « idiot du village » qui se réfugie dans l'île au Trésor de Stevenson pour fuir sa différence. Quand la fiction sert de cachette.
Séduit par la Rose de « Né d'aucune femme », j'ai été tout autant conquis par la Mabel(le) de « Buveurs de vent », âpre roman d'émancipation. L'insoumission d'une femme contre ses parents et les ardeurs d'une brute épaisse va allumer la mèche de la révolte de toute une vallée. La soif de liberté de Mabel, contagieuse, va inspirer tous ses cas contacts. le sens de la justice de ses frères et de Gobbo, un marin aux gênes shakespearien va renverser la montagne.
Côté chafouinades, j'ai trouvé le démarrage un peu poussif malgré une réelle qualité d'écriture. L'installation prend plus de temps que le déménagement d'un piano. le récit avance au diesel avant de passer heureusement à l'essence (avec plombs) après le premier tiers du roman.
J'aurai aussi aimé que l'extraordinaire personnage de Joyce, ogre narcissique, soit plus présent dans le roman même si son ombre plane en permanence sur le récit. Que serait James Bond sans ses méchants charismatiques ?
Le dénouement, enfin, digne d'une scène biblique, aurait mérité un récit plus explicite et un ou deux chapitres de plus.
Bon, c'est vraiment râler pour râler, on est en France, mais ces quelques réserves n'ôtent rien au plaisir de lecture et à la puissance de cette histoire.
Je ne partirai pas visiter le Gour noir pour mes vacances mais ce roman bien noir, serré et sans sucre, mérite la lumière de vos lampes de chevet.
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Né d'aucune femme est un miracle. Qu'écrire après un tel chef d'oeuvre ? Avec une droiture littéraire remarquable, Franck Bouysse se renouvelle tout en traçant son sillon avec ce roman dense qui emprunte aussi bien au conte qu'au western contemporain ou à la tragédie biblique. Il s'écarte de son minimalisme habituel pour créer en paysagiste des mots tout un univers géographiquement cohérent, dans lequel il déploie une multitude de personnages.

Cette vallée du Gour est incroyablement vivante et créatrice de romanesque. Une enclave hors du temps figée par l'emprise d'un incroyable despote qui va être traversée par le souffle de la liberté et de l'insoumission d'une de ces héroïnes inoubliables qui est née pour faire bouger les lignes et fissurer les ordres établis jusqu'à leur implosions.
Si j'aime autant Franck Bouysse, c'est pour son talent à caractériser en quelques mots, ces personnages, pour les faire vivre, pour les faire surgir des pages. Je retiens tout particulièrement le magnifique grand-père Elie, Gobbo le marin énigmatique aux milles vies ainsi que le tyran, Joyce, l'entité maléfique qui a piégé les habitants du Gour dans sa toile tissée de paranoïa. Et puis il y a Mabel. Elle pourrait être la petite soeur de Rose ( Né d'aucune femme ), une rebelle qui n'abdique jamais, mais elle, elle n'est pas seule. Elle a ses trois frères, quatuor soudé par des liens d'amour indéfectibles.

Le récit est très sombre, mais c'est un noir à la Soulages. Les pages sont saturées de noir, de drames qui couvent, de tragédies déjà révélées ou prêtes à l'être, mais ce qui intéresse Franck Bouysse, c'est la réflexion de la lumière sur cette obscurité qui agit comme révélateur de l'âme, c'est l'incidence de la lumière sur la surface. le noir peut être lumineux et il l'est sous la plume éblouissante de l'auteur. Son écriture, à la fois onirique et tellurique, vibre de partout. le choix d'un seul mot ou de son agencement dans la phrase décale cette dernière et apporte poésie, étrangeté ou émotion immédiate. A l'image de ce titre, somptueux. A l'image de ce premier chapitre qui crée une image qui reste gravée dans les pupilles durant toute la lecture : le rituel après l'école de ces quatre frères et soeur qui se suspendent à un viaduc au bout d'une corde, attendant l'arrivée du train pour sentir les vibrations, pour percuter leurs rêves et sonder l'horizon. Les phrases de Franck Bouysse se savourent et je m'en suis délectée durant toute ma lecture.

Alors, c'est vrai que le scénario, admirablement mis en place durant la première moitié du roman, m'a moins convaincue sur la fin, trop abrupte là où l'auteur avait pris le temps pour faire vivre son récit. C'est vrai que je n'y ai peut être pas retrouvée l'intensité solennelle de Né d'aucune femme. Pour autant, j'ai été très sensible à ce cri d'amour pour la littérature. Shakespeare, Whitman, Faulkner, Stevenson, London, Verne, autant de références disséminées très clairement dans le récit, à travers notamment le personnage de Marc, le frère lecteur. Tout comme j'ai été embarquée dans ce récit parabolique sur la quête de liberté au-delà de l'emprise des adultes ( qu'il s'agisse de la famille ou de la société ) par l'énergie de l'écriture.

Franck Bouysse confirme sa voix très singulière, celle d'un de nos tout meilleurs auteurs français. Merci.

« Ils s'assirent sous la vaste paupière maçonnée, serrés les uns contre les autres, dessinant à eux quatre l'iris de l'oeil d'un cyclope inscrit dans la pupille laiteuse du ciel, toujours en leur royaume, échappant ainsi à une destinée cartographiée de longue date par les adultes. Ils inspiraient fort buvaient le vent qui montait de la vallée, le recrachant en relents de tempête sous leurs crânes d'enfants. »
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Lire Franck Bouysse, c'est souvent boire la coupe jusqu'à la lie. Jusqu'à ce qu'il prenne possession de ton cerveau, imprimant son image, son histoire, à travers cette écriture unique et viscérale.

Boire la tasse, consentant, et ici, plonger du haut du viaduc du Gour Noir, cette terre ancestrale peuplée de personnages tous plus inquiétants les uns que les autres.

Je suis fou, fou furieux de sa plume. A chaque fois, Franck Bouysse offre une expérience, à la fois sensorielle, qui prend aux tripes, et littéraire, car chaque mot est minutieusement choisi. Comme une musique, lancinante et pénétrante dont lui seul a le secret.

Oui, Franck Bouysse fait bel et bien parti de ces auteurs dont je découvre chaque roman avec impatience et appréhension et ce roman est une expérience. Magnétique, viscérale, innommable. Qui ne laisse pas indemne, comme bien souvent chez le monsieur.

J'ai refermé ce livre. J'ai retrouvé cette plume tant aimée. Et cependant, il m'a manqué quelque chose pour que ce soit un coup de coeur. Peut-être ai-je trop aimé ses précédents ouvrages pour être étonné de cette façon d'écrire et par ses personnages, tout en profondeur d'abysse.

Certaines mécaniques et la fin de l'histoire ne m'auront pas fondamentalement convaincu. Je me suis surpris à sortir parfois du récit et laisser mon esprit vagabonder.

Clairement, si vous n'avez jamais lu l'auteur, c'est un roman à découvrir et Franck Bouysse, reste une voix à part dans le paysage littéraire actuel.

Je vous conseille de découvrir ce nouveau roman évidemment, de vous faire votre propre avis, mais je me demande si je suis le seul « adepte » à être un petit peu déçu cette fois ?

Lien : https://labibliothequedejuju..
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Ecriture intense. Mélange de polar, de western, de milieu mafieux. On ne sait pas exactement où se situe cette vallée du Gour Noir, et finalement peu importe. Ici, c'est une ambiance, une tension omniprésente. Une violence latente.
Ai-je aimé ce roman ? Sans plus pour être honnête, et pourtant, j'ai été captivée, tant par l'écriture que par cette atmosphère très cinématographique. Il est question de vies toutes tracées, d'actes, de vengeances, de conséquences, de liberté...
Franck Bouysse est un écrivain qui a du style, son style... et quel style !!
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Bouysse is back !

Programme du jour, les buveurs de vent.
Santé !

Il souffle comme un mistral d'émancipation et de rébellion dans ce roman.
Un opus toujours en délicatesse avec la moindre aspérité lolesque mais peu nous chaut car c'est aussi pour ça qu'on l'aime.

Ils sont quatre.
Ne sont pas z'amis mais le tout d'une fratrie aimante et soudée.
Aussi accrochés à leurs liens indéfectibles qu'à cette terre du Gour Noir, sans autre espoir que celui de taffer, tout comme le fait la kouasi entièreté de la communauté asservie, pour Joyce.
Sorte de despote local, l'homme ne vit que pour... lui, aidé en cela par deux énergumènes à fort pouvoir de persuasion.
Mais ce qui semble déjà écrit dans le grand cahier à spirales de la vie peut vraisemblablement être détricoté pour peu qu'un infime grain de sable vienne enrayer cette invariable mécanique.

Peut-être un peu moins sombre que ses prédécesseurs, Buveurs de Vents se veut plus lyrique, plus romanesque.

Une unité de lieu comme décor charbonneux et c'est avec un plaisir franc et massif que l'on doute, espère et rit aux larmes (nan, j'déconne) avec cette lignée aux caractères bien trempés.
Mention spéciale au grand-père qui aura su m'émouvoir sans avoir l'air d'y toucher.

L'interaction entre les moult acteurs fonctionne à plein.
La dramaturgie fait montre d'une maîtrise et d'une cohérence délectables.
Lire Bouysse, c'est peiner initialement (en tout cas pour moi) pour finir par se délecter de cette petite musique des mots si particulière à son auteur.

Je ne me suis pas abreuvé délicatement à cette nouvelle source mais me la suis bel et bien enfilée cul-sec.
Aucune sensation de satiété ni effets secondaires à déplorer.
Profitez-en, c'est Bouysse qui régale et c'est encore mémorable !
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Mon troisième Bouysse en quelques mois, et je passe un peu par tous les sentiments avec cet auteur : exaspération d'abord avec "Oxymort", qui ne m'avait pas du convaincu, profonde émotion en découvrant Rose, l'héroïne de "Né d'aucune femme" et maintenant un peu des deux avec ce roman inclassable. Par exemple j'ai adoré me suspendre à une corde au-dessus du barrage avec Matthieu, Marc, Luc et Jean (non ce n'est pas une blague, ce sont les prénoms de la fratrie autour de laquelle se construit l'histoire), les suivre dans leurs occupations quotidiennes (lecture pour Marc, observation de la nature pour Matthieu, aventures imaginaires dans le monde des pirates pour Luc...). Et Jean, me direz-vous ? Jean, c'est la soeur, nommée ainsi parce que la mère de ces quatre-là est une incurable bigote, et qu'il lui fallait les quatre évangiles pour se sentir complète. Mais comme Jean est une superbe jeune fille, elle est devenue Mabel, ce qui lui va bien mieux.
Un autre que j'ai trouvé sympa dans la famille, c'est Elie, le grand-père, qui n'a plus qu'une jambe, mais un cerveau bien actif par contre.
Heureusement, parce que de ce côté-là, il y a des lacunes au niveau des parents, entre le père qui cogne sans chercher à comprendre, et la mère engluée dans son interprétation toute personnelle de la religion. Heureusement la fratrie se suffit à elle-même, chacun avec son passe-temps favori et surtout ensemble, soudée face à la vie étriquée dans cette vallée du Gour Noir.
Rien que le nom de l'endroit, on a déjà compris que ce n'est pas toujours la joie de vivre qui règne dans cette petite ville paumée, où tout dépend du seigneur et maître local, Joyce le mal-nommé. Ce tyran sans doute atteint du syndrome d'Hubris (la « maladie du pouvoir ») gère tout : le travail, le logement, la vie « privée » et jusqu'au nom des rues, qui portent toutes le sien ! La vie de la vallée est intimement liée à la centrale hydro-électrique (créée par Joyce, évidemment) et à son fonctionnement, barrage, extraction de pierres dans les carrières, etc. Et gare à celui qui ne marche pas droit, les espions à la solde du despote ne feront pas de cadeau !
Une atmosphère étouffante, dont certains (très peu, curieusement) aimeraient s'échapper, notamment Mabel qui dans un premier temps fuit la demeure familiale pour s'émanciper de l'étroitesse d'esprit de sa mère. Mais son physique et son esprit rebelle ne vont pas lui rendre service...
Quelques très rares personnes font montre d'un peu de personnalité dans ce roman, Mabel donc, mais aussi Gobbo, ancien marin ayant vécu de nombreuses aventures avant d'échouer dans le Gour Noir. Elie tente lui aussi d'éveiller les consciences dans sa famille, avec plus ou moins de succès. Quant aux trois frères, chacun tente à sa manière de préserver son jardin secret, et ils sont liés par leur solidarité entre eux et envers Mabel.
L'histoire en elle-même se déroule sur plusieurs années depuis l'enfance de la fratrie jusqu'au début de l'âge adulte, quand tous travaillent déjà, excepté Luc trop inaptaté à ce monde-là.
Il y aura de la violence, le plus souvent sourde mais continuelle, parfois aussi intense, sanglante...
Et des moments d'une grande douceur, de complicité, d'amour fraternel.
J'ai eu très envie d'aller secouer certaines personnes, entre autres Martin (le père) qui sont incapables de réagir à l'injustice et à la tyrannie, qui laissent les rênes de leur vie à un « maître » sans scrupules ni sentiment y compris à l'égard de sa propre famille. J'ai trouvé peu crédible qu'on puisse se soumettre à ce point-là sans jamais tenter au moins de sortir de sa condition, ou même de sa vallée.
Comme d'habitude chez Bouysse, il n'y a ni temporalité ni localisation précise dans ce récit. On peut cependant imaginer qu'il se passe à notre époque, sans doute dans une vallée reculée des Alpes.
L'écriture est très belle, poétique jusque dans les descriptions les plus ignobles. Elle alterne entre phrases courtes, presque syncopées dans les interactions entre les personnages, et longues descriptions émaillées de références empruntées à Stevenson, Jules Verne, Shakespeare ou la Bible.
La nature tient une place prépondérante, j'irai même jusqu'à dire qu'elle est le personnage principal, même si Joyce pense l'avoir domptée.
Quant à la fin, je l'avais pressentie, elle est...dantesque !
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Buveurs de vent, dernier roman de Franck Bouysse, auteur que j'affectionne tout particulièrement depuis que j'ai lu le magnifique Glaise, est autant l'histoire d'une fratrie que celle d'un lieu. Et quel lieu !
Ce sont quatre enfants, trois garçons et une fille, qui ont grandi au Gour Noir, cette vallée coupée du reste du monde. Ils s'appellent Marc, Matthieu, Mabel et Luc, trois frères et une soeur, unis comme un feu sacré, avec chacun un signe distinctif qui semble les arracher à la triste destinée réservée à celles et ceux qui naissent ici... Marc lit des livres en cachette, Matthieu communique avec les arbres, Mabel fait de sa beauté étrange et sauvage une insoumission, tandis que Luc, qu'on prend pour un simple d'esprit sait parler aux animaux de la forêt. Ils cheminent peu à peu vers l'âge adulte...
Tous quatre partagent une passion : se suspendre à l'aide de cordes sous les arches de ce grand pont qui nargue la vallée. Quatre fils suspendus comme les cordes d'une harpe, quatre notes de musique qui forment l'accord harmonieux dans le bruit dissonant et tragique de cette vallée.
Boire ainsi le vent, les bras ballants ou tendus comme des ailes d'oiseaux, boire le vent, s'enivrer dans les airs, oublier, tandis qu'en bas un seul homme, Joyce, fait la loi, domine sous sa coupe le reste des habitants de cette vallée, comme s'il avait droit de vie et de mort sur eux... C'est lui qui fournit du travail aux familles, ici on travaille de générations en générations dans la centrale hydroélectrique, sur le barrage ou dans la carrière, propriétés de cet homme puissant et tyrannique, aidé de ses fidèles sbires, tous aussi cruels et monstrueux les uns que les autres.
Dit comme cela, le roman ressemble à un conte insolite sans âge. Peu importe s'il nous est impossible de nommer l'endroit où se situe l'histoire, on pense bien sûr à une de ses vallées enclavées dans un lieu de montagne, peut-être le Massif Central, lieu cher aux récits de Franck Bouysse, qu'importe...
Lorsque Marc, Matthieu, Mabel et Luc redescendent sur terre, c'est pour retrouver un père lâche et violent, une mère bigote, perdue dans ses prières. Il n'y a guère que le grand-père, Élie, qui soit capable de témoigner une véritable affection aux enfants, le sens du rêve et de l'imaginaire, ce grand-père invalide, qui traîne la jambe depuis cet accident de travail, porté par une béquille qui lui donne un côté inquiétant et rebelle, qui n'est pas sans rappeler Long John Silver, dans l'île au Trésor. J'ai trouvé ce personnage du roman follement attachant.
Il y a quelque chose qui tient du sortilège, de l'envoûtement dans ce récit âpre et dense.
Face aux tyrans, souvent les peuples soumis sont à genoux parce qu'ils le veulent bien.
Mais face aux tyrans, il y a parfois un grain de sable qui peut venir s'immiscer dans leur implacable dessein. Un grain de sable qui peut ressembler à des adolescents entrés en résistance par la simple puissance de leurs rêves, à la beauté insoumise d'une jeune fille, à un grand-père aux allures de flibustier, à la rencontre d'un mystérieux marin un soir de vague à l'âme, à l'esprit du vent...
Et quand le vent est tiré, il faut le boire !
La puissance narrative du récit et l'écriture magique de Franck Bouysse font alors le reste.
Ce roman incroyablement envoûtant, qui vaut sans doute davantage pour son ambiance que pour l'intrigue de l'histoire, tient autant du western moderne que d'une tragédie antique. J'y ai découvert une histoire éprise d'humanité, d'enchantement et d'émotions.
J'ai adoré ses vertiges incandescents, ses personnages à la croisée des chemins, dont chaque pas, chaque geste, chaque errance, détient la clef d'une porte qu'on croyait verrouillée à jamais...
Buveurs de vent, vous reprendrez bien encore un peu de cet élixir ?
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Franck Bouysse est un écrivain hors normes. Roman après roman, il est aujourd'hui de bon ton de se prosterner sans réserve devant celui qui est devenu une icône de la littérature française. Mais qu'est-il possible d'écrire après l'extraordinaire Né d'aucune femme ? En d'autres termes, Buveurs de vent, son nouveau roman, est-il à la hauteur du précédent ?

Les deux livres portent la patte de l'auteur et présentent forcément des analogies. Les actions se situent dans des terroirs sauvages, hostiles, fermés. Ces terroirs sont marqués au fer par la présence pesante, aliénante, d'une industrie lourde, dirigée sans partage par un patron vorace, tyrannique et tout puissant, une sorte d'ogre, pouvant s'appuyer sur des affidés prêts à tout. Les tiers sont asservis, résignés, à l'exception d'un personnage de femme, une héroïne fière, qui sonne l'heure de la rébellion.

Les ouvrages ont aussi leurs différences. Né d'aucune femme était une fiction réaliste, même si l'auteur y avait poussé aux états limites les traits des personnages, explorant l'humanité dans ce qu'elle a de pire et la résilience pour ce qu'elle a de plus noble. Dans Buveurs de vent, l'auteur saute une marche. le cadre franchit les bornes du réel, le roman prend tantôt les codes d'un western, tantôt ceux d'un conte fantastique. L'ogre est un être qui échappe à notre entendement, un humanoïde désincarné dont les motivations sont impénétrables… peut-être sont-ce des algorithmes !... Un autre personnage m'interpelle. Il débarque, sans crier gare, en provenance d'une pièce de Shakespeare. Un marin ! Que diable vient-il faire dans cette galère ?

L'action de Buveurs de vents se passe dans la vallée du Gour Noir, paradis ou enfer inaccessible, où la nature est belle, sauvage, intemporelle, à peine altérée par la modernité. Il n'en est pas de même pour l'espèce humaine. La vallée est le siège d'une activité industrielle prédatrice – un barrage, une centrale électrique, des carrières –, dirigée par Joyce, un ogre paranoïaque venu de nulle part, qui imprime de sa patte tous les détails de la vie quotidienne, annihilant une population résignée, telle une nuée d'insectes prise dans la toile d'une araignée tentaculaire.

La modernité aurait pu se limiter au viaduc, un ouvrage d'art métallique majestueux qui permet à la voie ferrée d'enjamber la vallée. le viaduc fascine trois frères et une soeur, une fratrie du genre « un.e pour tou.te.s, tou.te.s pour un.e », dont la distraction préférée est de s'y suspendre, chacun au bout d'une corde, pour ressentir les vibrations des trains qui passent et aspirer les courants d'air qui balayent la vallée.

Dans une interview, Franck Bouysse explique qu'il a construit son roman à l'inverse de sa pratique courante. Il a pour habitude de brosser d'abord les personnages et c'est autour d'eux qu'il structure intrigue et décors. Dans Buveurs de vent, c'est du paysage, du viaduc – qu'il a vu de ses yeux et qui le subjugue –, que seraient nés les personnages. de quoi s'identifier. Amoureux de la littérature et de la nature, il est à la fois Marc et Mathieu, et par son génie créatif venu de ses rêves d'enfant, il s'apparente à Luc. Devant ses yeux éblouis et les nôtres se tient l'héroïne, Mabel, échappant au destin d'apôtre de ses frères.

Chez les gentils comme chez les méchants, le casting est inattendu, hétérogène, attachant. Les péripéties sont de plus en plus captivantes au fil des pages. On les tourne avec envie, en quête d'un accomplissement… qui ne vient pas. Dommage ! Basculer vers un autre monde. Peut-être. Lequel ?

Reste l'écriture. La plume, à la fois brute et légère, puise ses ressources dans le soufre des profondeurs et vient humer l'air limpide des hauteurs. Chaque page apporte un lot d'images incroyables, sorties d'une imagination prolifique, féconde comme une terre. L'auteur montre une capacité éblouissante à plaquer des images conceptuelles, abstraites, évanescentes, sur les peintures d'un terroir séculaire, sombre, vivant. Un plaisir de lecture à côté duquel il aurait été dommage de passer.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Il y a d'abord ce lieu, le Gour noir, vallée qui porte bien son nom. Lieu sauvage, austère où coule une rivière. Ici le temps fait sa loi : tempêtes, orages, déluges. le barrage comme décor, grandiose et sombre comme le lieu. Là, vivent une fratrie, leurs parents et le grand-père. Famille triste, sombre et violente. Mabel, la fille, belle et sauvage, Mathieu qui aime la nature, Marc le lecteur interdit et Luc, différent. le père qui n'a pas les mots et préfère les frapper, la mère, bigote, brandit la bible et le grand-père veille sur eux.

Les gens de la vallée travaillent pour le même homme, Joyce, qui possède tout et règne en tyran sur les villageois et surtout sur les femmes.

Il y a beaucoup de noirceur dans cette histoire. de désirs sexuels, de soumission, de violence, de pouvoir, de trahison.

Au fur et à mesure, je me demandais où était la lumière de l'espoir ou de la révolte. Plus je lisais, plus les personnages et moi nous enlisions dans cette vie glauque.

J'ai pensé abandonner ma lecture mais l'écriture de l'auteur, magique et ensorcelante m'en empêchait et au fond de moi je voulais savoir si la lumière était quelque part, tapie, prête à rayonner.


Lien : http://pyrouette.canalblog.c..
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Le dernier roman de F.Bouysse présente une certaine résistance comme les personnages qui l'habitent ! Je n'y ai pas accédé aussi facilement que dans les précédents. Il est apre, sombre et complexe à cerner. Un petit air de western,parfois de conte cruel, et la présence imposante et majestueuse de la nature. L'histoire se déroule à Joyce city, enfin, Gour noir de son vrai nom ! Car la population vit sous le joug d'un tyran qui a rebaptisé toutes les rues avec son prénom. Directeur de la centrale électrique,spectre arachneen, il est parvenu à emprisonner tout le monde dans sa toile. Dans cet univers où les mots " joie" et " insouciance" ont été rayés des esprits, demeurent cependant trois frères et leur soeur dont le lien d'amour est si fort qu'ils ont pu préserver une part de lumière malgré une enfance régie par un père qui n'a su leur porter d'intérêt que par les coups ,et une mère qui s'est ligotée dans un fanatisme religieux mortifère. Monsieur Bouysse nous présente plusieurs personnes et événements sans qu'on saisisse immédiatement leurs liens ni le rôle qu'ils vont pouvoir jouer ,au point que je me suis parfois demandée leur raison d'être...et pourtant,tout prend sens et le souffle de liberté qui s'exprime tout d'abord par la lumineuse et magnétique Mabel, LA Soeur,va se gonfler progressivement. Ce souffle en prenant de l'ampleur va cimenter les habitants et rapprocher toutes les pièces du puzzle.
Ainsi,en quittant les Buveurs de vent,je me rends compte qu'à mon insu,ce roman a planté ses racines dans mon esprit et que,si j'ai initialement pensé qu'il me marquerait moins que les précédents , c'était totalement erroné !
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