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Critique de ConstantinSonkwe


Sans détour
Les personnages du roman de Hemley Boum sont vivants. C'est ce qui rend l'histoire elle-même, ainsi que les multiples intrigues, aussi vivantes et entraînantes. Dès la première phrase, on est comme pris dans ce fleuve puissant de mots, d'histoires, d'évocations historiques.
On pourrait présenter le roman comme l'histoire d'un héro, d'un leader au caractère et à la personnalité fort trempées, Ruben Um Nyobè, Mpodol (Porte-parole) pour ses adeptes, qui aura jusqu'à son tragique assassinat par les colons français, tout donné, tout tenté, pour s'opposer à l'oppression coloniale imposée à son pays. Oui, ce livre pourrait être tout simplement l'histoire du pourquoi et du comment du combat de celui qui dira ouvertement NON à la colonisation sous toutes ses formes, et réclamera, jusqu'aux Nations Unies, une indépendance immédiate et sans condition du Cameroun. On aurait pourtant du mal à ignorer ces compagnons de lutte si présents et si précieux du Mpodol, Amos, Muulé, Kundè … qui de génération en génération laissent leur empreinte dans ces multiples intrigues. Mais ce roman pourrait également être tout simplement l'histoire de la confrontation quotidienne entre colons et colonisés en pays bassa, ou encore, celle tragique de familles meurtries et décimées dans le combat pour la libération de Cameroun sous occupation française. Mais comment ne pas y voir aussi ces histoire d'amour aussi passionnées que passionnantes qui noue tiennent en halène et nous font parfois oublier le tragique des évènements alentour ? Comment ne pas y voir aussi l'histoire de ces femmes fortes, fortement ancrées dans leurs traditions ancestrales mais capables de se projeter vers l'avenir ? Gardiennes des traditions, garantes de la stabilité sociale et en même temps filles, belles-mères, grand-mères, épouses, tantes, belles soeurs, amantes aimantes, qui à l'image de la Lionne Esta Ngo Mbondo Ndje nous engagent parfois, sans flancher, dans un « dialogue » d'égal à égal avec l'Europe colonisatrice, souvent trop sûre de ses valeurs.
C'est que Hemley Boum aura voulu ce roman à plusieurs entrées. Les trajectoires qui se croisent, se décroisent et s'entremêlent en même temps nous donnent à vivre des personnages aux motivations et aux caractères variés, parfois contradictoires, mais très engagés. Engagés dans un combat, pour ou contre l'occupation coloniale, mais parfois aussi dans des combats beaucoup plus personnels. C'est également un roman sur l'Amour dans toute sa splendeur et dans tous ses états, avec sa magie, ses maux, ses pulsions, ses contradictions, ses dérives.
Hemley Boum y engage une déconstruction de la vision colonialiste dénigrante et avilissante de la société africaine précoloniale et de ses fondements, elle décrit ou plutôt chante une Afrique belle, profonde, hospitalière, harmonieuse et vivante.
Hemley Boum, à travers la voix d'un narrateur omniscient, parfois même à l'extrême, raconte sans détour aucun la vie et le combat de ceux qu'on appela alors « Maquisard », c'est-à-dire les opposant et résistants à l'occupation coloniale, souvent réduits dans leur lutte contre les colons à la clandestinité, autour d'un leader, Ruben Um Nyobè que Hemley Boum refuse tout de même, malgré sa place dans l'histoire, celle vraie ou racontée, de faire son personnage central. Hemley Boum retrace à la place les différentes trajectoires de ces martyrs de la lutte anticoloniale, héros d'un peuple. Elle parle de leurs combats, de leurs idéaux, de leurs peurs, de leurs espoirs, mais aussi de leurs contradictions, de leurs conflits personnels et des défaillances internes de leur systèmes. Ainsi, l'auteure mêle vie politique et vie familiale, combat idéologique et relations amoureuses, pour réussir à créer des personnages africains souvent engagés, même au péril de leur vie, mais surtout profondément humanistes. Sans tout peindre en noir ou en blanc, Hemley Boum montre à travers les relations entre des personnages tels Esta Ngo Bondo Nje et la soeur Marie-Bernard ou encore le fils mal aimé Gérard le Gall et Alexandre Nyemb dit Muulé, que dans ce contexte d'extrême violence et de confrontation il existe encore la possibilité de l'apaisement, d'un humanisme vécu et partagé, mais aussi que quelles que soient les causes engagées dans ce combat, la réalisation ou l'accomplissement de différents destins ont souvent été guidés par des forces se situant au-delà des personnes et des convictions individuelles et individualistes.
Hemley Boum engage aussi un travail de mémoire qui avant elle aura connu la plume d'illustres auteurs tels Mongo Beti, ou encore plus récemment, A. Patrice Nganang, au sujet des guerres d'indépendance du Cameroun et du rôle de l'occupant français dans l'assassinat de leaders nationalistes tels Ruben Um Nyobè.
Mais parce que l'on part du présent pour évoquer le passé, parce qu'on ne saurait parler de passé sans envisager en même temps le futur, parce que ces trois instances, comme le dirait Walter Benjamin, se tiennent, Hemley boum évoque également l'héritage de la colonisation française, la nouvelle classe de compradors locaux et leurs complicités avec les colons, source de malgouvernance et fardeau toujours porté par les peuples d'Afrique. Ce livre est donc aussi et surtout un procès fait à la colonisation française et à son lourd héritage au Cameroun. On ne doit pas chercher l'auteure elle-même trop longtemps, tant sa présence est perceptible à travers ce narrateur parfois partial à souhait et inquisiteur. Hemley Boum sait entraîner son lecteur, elle le lier, au point de ne plus lui laisser que la seule possibilité de la suivre. On échappe difficilement, en tant que lecteur, à l'empathie et même à une sorte de projection lorsque les amants Kundè et Likak sont privés, une, puis deux fois, d'un Amour puissant, pur et passionné, ou encore lorsque le sort qui s'acharne, joue à rendre Likak, encore elle, « folle », à la perdre, en lui enlevant, tour à tour, et de façon extrêmement violente, tous les êtres les plus chers à son coeur, entraînant avec eux la cause pour laquelle elle aura tant sacrifié. Oui, en ce sens, « Les maquisards » c'est aussi une tragédie, celle des Amours rendus impossibles, celle des causes et des rêves détruits, celle des générations sacrifiées sur l'autel d'une indépendance qui n'est finalement évoquée dans le roman que pour rappeler que malgré tous ces sacrifices, elle n'aura jamais véritablement été effective, peut-être est-ce là la plus grande des tragédies de ce roman historique très agréable à la lecture. Vivement que les prochains tirages le débarrassent des multiples coquilles qui bien entendu n'entament pas la qualité du texte.
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