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3,66

sur 524 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Incontournable en effet ce roman puissant et troublant, dont la religiosité extrême peut déranger mais dont la portée dépasse largement les portes de l'église.

Il y a dans ce jeune vicaire, parce qu'il est rustre et pur, dans son mentor, parce que sa bonté fondamentale dépasse les dogmes, et dans cette satanique Mouchette, parce qu'elle est si jeune, des personnages au caractère universel qui viennent nourrir pour longtemps la réflexion du lecteur sur l'essence humaine et la vanité de l'opposition du Bien au Mal qui coexistent en chacun.
Une vérité dont le poids est si lourd à porter par le vicaire devenu prêtre, heurte si violemment son désir de sainteté, qu'il est impossible de ne pas compatir à sa souffrance.
Un très grand roman qui dérange et interroge.
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Editions : le Livre de Poche - 1er Janvier 1957 - N° 227

ISBN : 978-2253003458

Eh ! bien, je vais vous dire : malgré ses allures parfois un peu brouillonnes (à mon sens personnel mais que l'on doit probablement au fait qu'il s'agit, il me semble, du premier roman de l'auteur), un livre comme ça, on n'est plus capable d'en faire aujourd'hui, alors que, justement, il faudrait en faire. Non pour attirer vers la religion catholique, que Bernanos défend pourtant avec fougue mais pour persuader les gens, peu importe leur religion pourvu qu'ils aient l'esprit ouvert, que le Mal est comme une maladie nosocomiale et qu'il n'est jamais aussi à l'aise que lorsqu'on se croit à l'abri, abusé par l'hôpital aseptisé où nous passons, par l'impalpabilité du phénomène, par cet air simple et humble surtout que sait se donner le Mal (vous rappelez-vous la simplicité merveilleuse du Diable incarné en Garrigou dans "Les Trois Messes Basses" d' Alphonse Daudet qui, justement par sa simplicité, conduit droit le malheureux Dom Balaguère et ses fidèles à leur perte ? Avec un péché capital, peut-être, mais très simple : celui de la gourmandise ... ) et, dans notre Histoire, la simplicité tranquille d'un Hitler ou d'un Staline. "Le Mal est simple," nous met en garde Bernanos. "Notre plus grand tort, à nous, humains, c'est de l'imaginer dressant d'invraisemblables plans de campagne pour s'insinuer dans notre âme et guider notre comportement : une stratégie simple et nette, Satan ne souhaite pas autre chose même s'il est parfois contraint à la complexité."

Ce que Bernanos ne dit pas comme je l'écris ici - bien qu'il souligne que Satan est le Maître de la Matière et donc, de ce monde - c'est qu'il a introduit ce virus en nous, virus qui ne manque jamais de s'éveiller un jour, un peu, beaucoup et, pour certains malheureux, avec une passion dévorante qu'ils ne pourront plus étouffer. Oui, il est prêt à s'éveiller en chacun de nous et peu importe, répétons-le, notre couleur de peau et notre religion, voire notre athéisme ou la franc-maçonnerie bête et méchante (pardon, Cavanna ! ) de certains. le Mal nous aveugle comme nul autre et Dieu, Lui, qui n'est pas le Seigneur de la Matière, ne peut que regarder et nous prêter la main, parfois et même souvent en trichant un peu mais qu'importe ? C'est pour la bonne cause.

"Sous le Soleil de Satan" se divise à peu près en trois partie : l'Histoire de Mouchette (le personnage de Germaine Malhorty n'ayant rien à voir avec la tendre et fragile Mouchette de "La Nouvelle Histoire de Mouchette", publiée plus tard), l'Entrée en Scène de l'Abbé Donissan, personnage d'une puissance extraordinaire et enfin, le Décès de l'abbé Donissan, surnommé "le saint de Lumbres" bien que, selon le Vatican, un seul miracle puisse lui être imputé en toute justice. Il y a des hauts et des bas dans tout ça, on pourrait reprocher à l'auteur un manque de fluidité mais il ne faut pas oublier que Bernanos se situe, en tant qu'auteur, au carrefour de plusieurs courants littéraires, entre le Naturalisme finissant et le Symbolisme d'une part, et la légèreté libertine de la Belle Epoque ainsi que le désir de casser les moules et d'en créer d'autres du Modernisme qui s'avance d'autre part. de là vient sans doute l'étrangeté d'un style qui oscille entre naturel et excès, qui ose non seulement des scènes (comme la rencontre, digne d'une image d'Epinal, de Satan en maquignon normand et de Donissan, en pleine nuit) que, justement, un autre n'aurait pu ni su oser, mais aussi la mise noir sur blanc d'une théorie spirituelle que l'auteur, malgré tout son talent, ne réussit pas à fixer comme il le devrait. Peut-être par peur de tomber dans le ridicule ? Peut-être parce que le tourbillon de ses idées lui fait peur ? Pour une tout autre raison ? Je ne saurais trancher et ce n'est pas mon rôle.

Lectrice, je lis. Et "Sous le Soleil de Satan", je l'ai lu, à haute voix, partagée entre la surprise, la déception, l'enthousiasme, l'incompréhension, le doute et, bien sûr, comme une fille d'après Vatican II - ce qui signifie que le Dieu dont parle Bernanos et auquel croit Donissan est plus proche de la Bible que le mien. Maintenant, est-ce un grand livre ? Oui. Mal fait peut-être mais oui, c'est un grand livre. Ça semble aller à due et à dia - le Diable, sans doute, qui espère bien nous voir abandonner avant la fin ce qu'il aimerait nous voir considérer comme un fatras sans conséquence - mais une fois à la fin de l'ouvrage, même si l'impression brouillonne demeure, on sait qu'on a eu le privilège de lire l'un de ces "grands" livres qui intriguent, sèment parfois le doute mais pour mieux nous forcer à réfléchir par nous-même.

Le relirai-je ? Peut-être. Je vais d'abord goûter au "Journal d'un Curé de Campagne", nous verrons ensuite. Il y a aussi "Les Grands Cimetières Sous la Lune", qu'il ne faut pas oublier. Bref, nous avons du pain sur la planche ! ...

Mais revenons à ce Soleil de Ténèbres où nous voyons tout d'abord la jeune Germaine - dite Mouchette - Malhorty se déclarer enceinte des oeuvres du châtelain du coin, puis se rendre nuitamment chez ce dernier après que la chose ait été découverte par le père Malhorty, ... et assassiner le père de son enfant. Non pas froidement ou même parce qu'elle craindrait une brutalité de sa part mais avec une haine que ni l'attitude du hobereau, ni l'intelligence de Mouchette ne sauraient expliquer. Oh ! Nous ne sommes pas dans un film d'épouvante d'aujourd'hui mais, pour un peu, les phrases cependant normales de Bernarnos, où la sobriété discrète alterne avec une forme de grandiose, nous convaincraient de la possession de Mouchette en cet instant. Elle tue pour tuer plus que par vengeance, pour le plaisir de tuer et peut-être aussi par orgueil, pour être la plus forte, la dominante ...

Avec la seconde partie, nous entrons dans le monde du doyen de Campagne - tel est le nom du village où se situe l'essentiel de l'action - l'abbé Menoux-Segrais, qui s'interroge énormément sur un jeune prêtre qu'on lui a confié : l'abbé Donissan. Comme il l'avoue à un visiteur, prêtre d'un certain âge comme lui et responsable d'une paroisse voisine, Donissan, grand, carré, avec ses grands pieds patatuds, sa soutane toujours plus élimée, son humilité qui confine à la mortification volontaire (de fait, Donissan s'applique bien cilice et fouet pour dompter sa chair robuste) a "quelque chose." Quelque chose qui pourrait faire de lui un saint bien que, Menoux-Segrais l'affirme et le sait, ce ne soit pas là le but conscient qu'il recherche dans sa vie terrestre. L'ambition, Donissan ne sait pas même ce que c'est. Mais attention ! Ce genre de personnes, Satan éprouve un grand plaisir à les torturer et à les mener dans l'impasse. Quelle voie choisira Donissan ? Se laissera-t-il pousser sur la mauvaise par un Lucifer qui veut son âme ou se contentera-t-il, en souffrant mille morts, de continuer sur l'autre chemin, vers le Bien ?

Se placent dans cette partie trois scènes - dont l'une est très longue - qu'il faut un réel génie d'écrivain et une foi tout aussi réelle pour réussir à la fois sans sombrer dans le ridicule et, en même temps, éveiller une inquiétude plus ou moins vague chez celui qui lit. Tout d'abord, la rencontre, sur une route déserte et nocturne, de Donissan avec Satan-Lucifer-Le Mal, appelez-le comme ça vous chante, qui a pris tout d'abord la forme d'un maquignon mais qui, Donissan s'en rendra compte, peut aussi bien prendre la sienne propre. Les cornes, les sabots et la queue piquante, c'est bien joli, tout ça mais un peu encombrant . Dans un sabbat, passe encore mais pas face à un abbé Donissan.

A ce long et très symbolique passage, succède une rencontre avec Mouchette, qui cherche à tenter charnellement Donissan et puis qui, rentrée chez elle, se suicide. Appelant le prêtre à son chevet, elle demande à celui-ci de la déposer devant l'église du village pour qu'elle y expire. Et Donissan accomplit son voeu, provoquant le scandale que l'on devine.

Et puis, bien sûr, il y a l'enfant mort qu'un instant, un instant seulement, Donissan croit avoir ressuscité par la volonté de Dieu alors que ce ne fut qu'une illusion maligne.

Il faut être sacrément fort pour traiter ce genre de choses sans faire rire le lecteur, surtout de nos jours. Vous me direz que l'époque n'était pas la même mais si, aujourd'hui, on peut avoir envie de rire, n'est-ce pas, dans le fond, parce qu'on préfère ne pas réfléchir et pour éloigner la peur qui s'installe dans nos coeurs ?

Sur la troisième partie, je ne m'étendrai guère, n'ayant pas saisi le pourquoi de l'apparition (hum, toute terrestre, en voiture, je vous rassure ) de Saint Morin, un écrivain parisien qui pourrait (?) faire penser à Anatole France, venu, par curiosité, visiter "le saint de Lumbres." Un saint que, tout le monde a beau chercher, on ne trouve nulle part. Finalement, on ouvre la porte du confessionnal : son cadavre s'y trouve, frappé probablement par un AVC ou quelque chose du même type.

Gagnée à Dieu ou au Diable, cette âme à qui ne manquèrent pas les tourments et qui vient de s'évader de sa prison terrestre ? Bernanos nous laisse juge. Personnellement, je penche pour la première solution. le malheureux Donissan a bien gagné l'indulgence divine.

Maintenant, pourquoi lire ce genre de livres ? Je ne sais pas . Par curiosité, pour comprendre le respect inspiré encore par le nom de Bernanos (enfin, essayer en tous cas), pour attendre peut-être que la Vérité qu'il renferme nous apparaisse pleinement.

Et puis, parce qu'il fallait oser et que Bernanos l'a fait - et très bien fait. Et que l'audace, c'est le grand saut dans le Vide et c'est aussi une manifestation de la Quête qui est la nôtre à toutes et à tous. Peut-être aussi parce que l'époque se prête à ce genre de lectures qui n'est pas, je le souligne, du prêchi-prêcha et met fortement l'accent sur le Doute comme composante de la Foi.

A lire, certes. Mais à lire à son heure. La vôtre n'est peut-être pas encore venue mais ne vous découragez pas : la mienne a tardé cinquante-six ans. ;o)
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J'ai lu Sous le soleil de Satan de Georges Bernanos il y a déjà quelques années, à une époque où je ne publiais pas encore de billets ou de chroniques sur mes lectures… J'ai retrouvé mes notes et mes annotations avec un immense plaisir et re-parcouru ce roman, publié en 1926, qui traite de manière originale du mal et de la rédemption ; pour reprendre une citation de son auteur, il s'agit d'« une complainte horrible du péché, sans amertume ni solennité, mais grave, mais orthodoxe et d'une inapaisable véracité »…

Ce livre raconte le parcours d'un prêtre dans une paroisse perdue de l'Artois et de son chemin de la tentation à la sainteté et, à travers lui et les personnages souffrants qu'il va croiser, la lutte ancestrale et éternelle du bien et du mal.
La construction de ce roman mérite que l'on s'y arrête : un prologue, suivi de deux parties…
Mais le prologue intitulé « Histoire de Mouchette » est un peu trop long et constitue un véritable élément du récit ; personnellement, j'aurais tendance à dire que Mouchette et Donissan sont deux personnages d'égale importance. le prologue reprend le parcours de Germaine Malorthy dite Mouchette, fille d'un minotier prospère de l'Artois, et le récit de ses amours avec le Marquis de Cadignan et le docteur Gallet. Une rapide présentation des personnages est suivie d'une série de confrontations stériles. C'est un petit drame provincial comme aurait pu en écrire Balzac, avec une morale finale puisque Mouchette accouche d'un enfant illégitime mort-né dans la maison de santé où on l'a faite interner.
La première partie a pour titre « La tentation du désespoir » ; c'est la plus longue du roman où elle occupe donc une position centrale. Avec l'apparition de Donissan, l'action proprement dite commence donc. Encore une fois, le récit s'organise autour d'une série de confrontations : deux prêtres se demandent ce qu'ils vont pouvoir faire de Donissan, puis le vieux prêtre reconnaît la sincérité du plus jeune avant de trouver son expérience surnaturelle plutôt embarrassante et équivoque, Donissan rencontre Satan puis Mouchette, qu'il tente de remettre sur le droit chemin. Les scènes avec Satan et Mouchette sont les clés de voûte du livre. le suicide de Mouchette est admirablement décrit, raconté directement, puis rapporté par la gouvernante du curé, et, enfin, matérialisé par une ellipse, une zone blanche dans le texte, qui sera comblée par le contenu d'une lettre de l'évêque évoquant la scène de l'église et ses conséquences.
Nous faisons un bond en avant de quelques années pour la deuxième partie. le récit est plus fragmenté avec beaucoup de changements dans le ton narratif : rapport, monologue… La scène du miracle raté fait pendant à la rencontre avec le diable car, quand le curé de Luzarnes provoque Donissan en le poussant à tenter de ressusciter un enfant, c'est encore le mal qui est à pied d'oeuvre. Georges Bernanos a encore ménagé des confrontations en cascade avec le monde contemporain de son écriture quand Donissan doit rencontrer successivement des figures négatives de la modernité : le prêtre « progressiste » déjà cité (le curé de Luzarnes), un médecin positiviste de province (le docteur Gambillet) et un écrivain célèbre (Saint-Marin) qui serait un alter ego d'Anatole France, athée notoire, esthète matérialiste.
Dans la genèse de l'oeuvre, il faut savoir que Georges Bernanos aurait d'abord écrit la deuxième partie, puis le prologue, et enfin la première partie, présentant d'abord Donissan seul, puis Mouchette seule, pour les confronter enfin dans la grande scène de la première partie.

Les personnages sont véritablement incarnés.
Mouchette est l'incarnation de la pècheresse face à la sainteté de Donissan, mais pas seulement ; elle porte la notion du mal dans la racine de son patronyme, Malorthy, et, peut-être, la brulure de l'ortie mais, à côté de l'image de Marie-Madeleine, elle véhicule aussi la figure d'Eve ou encore de Marie. Son nom la prédestine en quelque sorte tandis que son surnom la rachète, dit sa fragilité et son obstination tenace. Elle est prise en tenaille entre son père et ses amants, piégée. Quand elle rencontre Donissan, elle est complètement perdue, pour elle-même et pour Dieu. Il y a dans l'écriture comme une véritable tendresse de l'auteur pour son personnage. Georges Bernanos n'est jamais moralisateur, toujours respectueux de l'énergie juvénile et du désir de liberté de Mouchette. Personnellement, je regrette qu'on ne parle plus d'elle dans la deuxième partie…
Le personnage de Donissan porte sans doute en lui des pans de personnalités de prêtres que Georges Bernanos a pu fréquenter tout au long de son enfance jusqu'à l'écriture du roman. Donissan est aussi inspiré de la figure du curé d'Ars, canonisé en 1920. La racine de son nom évoque à la fois le don et la figure de Dieu par le mot latin dominus ; la syllabe finale fait penser au sang du Christ, donné pour racheter les pêchés des hommes. Sa force physique va de pair avec la simplicité de son âme. le schéma narratif propose une suite de scènes intenses et chargées d'émotions, un chassé-croisé de points de vue autour du personnage de Donissan.
Les personnages secondaires sont également très bien travaillés. Ainsi, par exemple, Menou-Segrais n'est pas un prêtre ordinaire ; il est doté d'une intuition hors du commun, mais aussi d'une indépendance d'esprit qui lui permet de faire preuve d'audace dans son jugement, d'un anticonformisme qui le rend capable d'accepter l'extraordinaire et le surnaturel. C'est peut-être Georges Bernanos lui-même qui s'invite et s'incarne dans ce personnage proche et bienveillant.
Dans ce roman très rural, les lieux ont aussi leur importance avec les paysages de l'Artois, où l'auteur a passé une partie de son enfance et où il a côtoyé une population rurale, souvent pauvre et où il a sans doute développé son intérêt pour les humbles.

Georges Bernanos a commencé l'écriture de ce roman peu de temps après la fin de la première guerre mondiale. Bien que réformé initialement pour raison de santé, il avait tenu à participer aux combats ce qui l'avait terriblement marqué… de plus, il a ressenti un véritable dégout devant la joie du peuple français après l'armistice, a eu l'impression que l'on oubliait un peu vite les souffrances des poilus, d'où l'envie de montrer la sainteté de son personnage, de s'interroger sur les notions de bien et de mal, de convoquer le surnaturel parce que le mal, les horreurs vécues pendant la guerre ne trouvaient pas d'explications rationnelles. On peut se demander ce qu'il aurait écrit à notre époque s'il l'avait connue (mort en 1948) …
Avant d'être un écrivain, Georges Bernanos était un homme très engagé, en politique, en religion notamment ; c'est à ces niveaux-là que son écriture prend et fait sens. Lui-même, issu d'un milieu ultra-conservateur, se considérait comme un laïc engagé, témoin du Christ ; on pourrait résumer ses idéaux à la foi catholique, à l'héroïsme et au don de soi. Il avait « une vision catholique du réel » pour reprendre le titre d'une de ses conférences…
Sous le soleil de Satan a connu un grand succès lors de sa publication en 1926, mais a aussi suscité des critiques de la part des milieux catholiques, reprochant notamment le fait que Donissan ne soit pas un saint irréprochable. Mais Georges Bernanos l'a créé vulnérable justement pour que ses points faibles mettent en lumière la puissance du mal.

Sous le soleil de Satan est un roman magistral, désespéré et éclairé à la fois… Sa force vient de la part anachronique de l'apparition satanique, de la place donnée à la sainteté, à la grâce et au miracle à peine vingt ans après le vote de la séparation de l'église et de l'État. Satan est partout, dans la figure du maquignon et intériorisé dans les démons intérieurs de chaque personnage, mais le salut est possible pour tous.
Un roman à lire et à relire, à étudier aussi.
À voir ou à revoir également le très beau film de Maurice Pialat avec Gérard Depardieu et Sandrine Bonnaire dans les rôles principaux.
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Quel étonnant parallèle entre cette lecture de "Sous le soleil de Satan" et celle des deux volumes d'"Humain, trop humain" de Nietzsche qui l'a encadrée. Alors que le philosophe allemand annonce la mort de Dieu et tente par son oeuvre de lui porter le coup fatal, Georges Bernanos, écrivain hanté par l'idée de la mort, exprime, dans son premier roman, le désespoir d'un curé de la région picarde doutant de sa foi qui, pour éprouver cette existence divine, mettra Dieu au défi, afin de se libérer de cet étouffant fardeau (je préviens qu'il s'agit de ma propre interprétation de l'oeuvre). le succès de ce livre doit beaucoup à sa merveilleuse et profonde poésie. Y figure essentiellement une description de la vie intérieure des personnages magnifiquement traduite par Bernanos, même si ce dernier nous précise les difficultés d'une telle entreprise : « Les comparaisons sont peu de chose, quand il faut les emprunter à la vie commune pour donner quelque idée des événements de la vie intérieure et de leur majesté. »
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Texte délicieusement sombre comme une fausse aurore, marqué du sceau du péché à chaque page ou presque, du crime du dedans et du dehors, ce livre est une messe noire ... Explorant l'angoisse sans cesse (ce Satan trismégiste), la vie complexe des confins infinis du dedans des âmes, la mystique de "Sous le soleil de Satan" (l'anti soleil platonicien ...) étonne.
L'abbé Donissan, ce futur Saint de Lumbres, occupe un espace narratif et dramatique puissant, tragique, et qu'un style enlevé (phrases plutôt courtes, rythme dynamique, bascules fréquentes dans le présent de narration ...) tisse.
Une expérience de lecture singulière que je recommande donc, si on aime Huysmans par exemple (moins l'humour) et aussi, pour tout dire, étonnamment, Homère. Mais oui !
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Certains lecteurs verraient dans le titre de cette oeuvre un oxymore. Selon notre imaginaire, nourri à ses ténèbres depuis Dante jusqu'aux films qui l'invitent à sa table, Satan n'aime rien tant que la nuit et pas le soleil, symbole de la lumière (qu'il portait cependant jadis, Lucifer signifiant en latin le « Porteur de lumière »).
Et pourtant, ce sublime roman de Bernanos nous montre à quel point il éclaire nos vies de sa lumière trompeuse, ce Satan qui intervient ici sans cornes, ni queue fourchue, mais avec un sens aigu de la répartie désespérante : « Ah ! si vous saviez le salaire que ton maître [Dieu] vous réserve, tu ne serais pas si généreux, car nous seuls – nous, dis-je – nous seuls ne sommes point ses dupes et, de son amour ou sa haine, nous avons choisi – par une sagacité magistrale, inconcevable à vos cervelles de boue – sa haine… Mais pourquoi t'éclairer là-dessus, chien couchant, bête soumise, esclave qui crée chaque jour son maître ! »
Satan n'aura pas l'âme de l'abbé Donissan, qui deviendra un saint, mais il aura celle de Germaine Malhorty, laquelle avait suivi sa route auparavant, via le vice puis le meurtre. Était-ce par goût du Mal ou désespoir face à la monotonie d'une vie de province toute tracée ? À chacun de le déterminer… Toutefois, puisque l'abbé conduira la suicidée, mourante et ensanglantée jusqu'à l'autel du Christ, peut-on dire que Satan l'a vraiment eue cette âme de jeune fille perdue ? Autre question…
Mais qu'importe la narration stricte des faits contenus dans le récit, car ce serait bien pauvre de raconter cette confession textuelle qui se lit avec un sentiment extrême de pesanteur, d'angoisse même. Ce n'est pas l'histoire en elle-même qui importe mais sa profondeur.
Bernanos a en effet ce don particulier de transmettre son tourment comme on fait avec le témoin dans une course de relais. Ici pleuvent les aveux sans concession et désenchantés d'un croyant qui a très tôt eu peur de la mort. La mort rôde effectivement dans ces pages.
Il y a aussi l'obsession du péché, résumée dans cette phrase : « Que le péché qui nous dévore laisse à la vie peu de substance ! » Péché qui, à force d'être entendu au confessionnal, dans les mêmes termes d'année en année, recèle une « effrayante monotonie » pour l'abbé Donissan, lui qui connaît les ressorts du Mal.
Ce Mal le harcèle sans répit dans sa lutte contre le « prince du monde », Satan. Ce simple serviteur de Dieu, écrasé par le poids de sa mission, se meurtrit alors le corps et l'âme à la fois. « Ce vieux coeur, qu'habite l'incompréhensible ennemi des âmes, l'ennemi puissant et vil, magnifique et vil », dit le texte. Car Satan fascine autant qu'il rebute, c'est un fait. D'où la tentation de lui céder…
Livre exalté à l'extrême, Sous le soleil de Satan, à part quelques personnages satellites – dont cet odieux écrivain parisien, Saint-Marin, qui « exerce, depuis un demi-siècle, la magistrature de l'ironie », sorte de caricature d'Anatole France –, est d'abord l'histoire d'un combat intérieur, en plus d'une résistance à la tentation du Mal.
Ténébreux, tourmenté, triste, effrayant, etc., quel espoir offre le récit de Bernanos ? Pour ma part, le défi final ne m'a pas soulagé d'une lecture éprouvante en ce sens qu'elle remue trop profondément notre âme. Un chef-d'oeuvre tragique en somme…

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Chaque fois que je lis Bernanos je suis surpris par la richesse (et la tristesse) de son écriture. Combien d'auteurs sont capables, comme lui, de restituer la fine trame des sentiments qui nous animent ? Assez peu ; et c'est pour ça que Georges Bernanos mérite le statut de très grand auteur, et ce livre celui de classique de la littérature française. Comme le personnage principal, j'ai connu des instants de grâce et d'autres d'abattement. Avec Bernanos, même la sainteté devient terriblement humaine, attachante, et pour cause : il parle le langage universel de l'homme.
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La sainteté impossible

Sous le soleil de Satan” de Georges Bernanos – qui est son tout premier roman, ne l'oublions pas – possède une force incroyable que les décennies passées n'ont pas éteinte.
C'est aux premières phrases que l'on reconnaît les grands livres :
« Voici l'heure du soir qu'aima P. – J. Toulet. Voici l'horizon qui se défait – un grand nuage d'ivoire au couchant et, du zénith au sol, le ciel crépusculaire, la solitude immense, déjà glacée, – plein d'un silence liquide… Voici l'heure du poète qui distillait la vie dans son coeur, pour en extraire l'essence secrète, embaumée, empoisonnée.
Déjà la troupe humaine remue dans l'ombre, aux mille bras, aux mille bouches ; déjà le boulevard déferle et resplendit… Et lui, accoudé à la table de marbre, regardait monter la nuit, comme un lis. »

En notre époque froidement rationnelle ou bien tout émoustillée par l'attrait de phénomènes prétendument paranormaux (nécromancie, chiromancie, cartomancie, et autres “scies” musicales pour chaises branlantes), il est bon de lire ou de relire ce chef-d'oeuvre bien vivant de la littérature française.
Qu'on soit ou non chrétien importe peu pour lire Sous le soleil de Satan. On peut être athée, agnostique, animiste, bouddhiste, je-m'en-foutiste et autres joyeusetés, c'est égal.
Le style de Bernanos est une grande tempête qui emporte tout sur son passage, même les consciences les plus réfractaires à son imaginaire.
Car Georges Bernanos sait faire parler le surnaturel avec une rare puissance d'évocation.
Ici, nous sommes loin des ectoplasmes invoqués par Victor Hugo à Guernesey ou autres fantômes de foire affublés d'un drap ridicule ; non, ici nous sommes confrontés à Satan en personne, rien de moins.
Satan n'a pas de queue fourchue ni de cornes de bouc, ça c'est bon pour la légende collective.
Celui que nous donne à voir Georges Bernanos est tranquillement travesti sous les traits d'un maquignon qui va cheminer dans la pénombre aux côtés de l'abbé Donissan ; et qui tentera en vain de faire plier la volonté de cet ecclésiastique afin de le désespérer de sa tâche quotidienne : le désespérer de sa foi, donc de sa vocation et de sa parole donnée.
“Vocation” vient du latin “vocatus”, qui signifie “être appelé”. Or, Donissan ne se sent pas vraiment appelé à être un berger des âmes. D'ailleurs, on voit bien qu'il se joue la comédie, notamment par le biais de plusieurs mortifications. Mais au fond, il n'est pas dupe : il sait bien que son être tout entier n'a pas la force de soutenir pareille vocation.
N'oublions pas non plus que le mot “foi”, est étroitement lié à celui de “confiance”. Et Donissan a si peu confiance en lui-même…
Il est comme son propre “diable” logé dans les replis de sa conscience.

Car, disons-le tout net : le Satan que nous dépeint Georges Bernanos est par trop excentrique et grotesque pour pouvoir effrayer son homme – et je pense, à ce propos, que l'intention de l'auteur de “Monsieur Ouine” était de nous en montrer une sorte de caricature bouffonne.
Pour cette raison, le Satan de Bernanos m'apparaît avant toute chose comme une représentation intime de la conscience torturée de Donissan.
Dans cette lumière grise et pâle, cette lumière de linceul, nous sentons l'abbé Donissan aux prises avec sa grande faiblesse humaine et tout son désir inassouvi de parvenir à “sauver des âmes”.
Il ne sauvera pas Mouchette. le destin de cette dernière sera le même que celui de l'autre Mouchette qui, dans “Nouvelle histoire de Mouchette” – récit terrible et prodigieux –, met fin à ses jours ; s'exile à tout jamais de la vie avec le goût amer du malheur coincé dans sa bouche.

L'abbé Donissan deviendra à la fin du récit, le “saint” de Lumbres. Il est étrange d'ailleurs de constater à quel point ce nom ressemble à celui de “Limbes” : les limbes qui ne sont rien de moins que les faubourgs de l'enfer.
Le saint de Lumbres se sent peu méritant de ce titre : car toute une croix d'impuissance pèse affreusement sur ses épaules d'homme.
Il sait qu'il n'a rien d'un saint, il en a la terrible conscience.
Il se sait imposteur.
L'imposture est d'ailleurs un thème central dans l'oeuvre de Bernanos : elle pose l'implacable question de la conformité entre notre parole et nos actes.
Car, après avoir exhorté le Ciel afin que lui soit donné le don du miracle, rien ne s'accomplira : l'enfant mort restera froid comme la terre d'hiver. Et c'est d'ailleurs là que se révèle également tout le génie de Bernanos : par sa faculté à nous faire espérer ce fameux “miracle” qui finalement n'aura pas lieu.
Ainsi le saint de Lumbres est ramené brutalement sur terre comme par la gifle d'une main immense ; cloué au sol, muré dans sa chair impuissante. C'est là que son humanité est, au fond, la plus bouleversante.

Le plus beau passage de ce livre, à mes yeux, se trouve dans les toutes dernières pages, lorsque le célèbre écrivain fictif, Antoine Saint-Marin (de L Académie Française) – qui ce me semble, a été inspiré à Bernanos par Anatole France –, se rend dans la paroisse du saint de Lumbres pour rencontrer cet homme d'église à l'aura mystérieuse ; et faire par là même une petite visite de courtoise hypocrisie à celui qui lui fait de l'ombre depuis le fond de sa paroisse isolée, à lui, le grand homme de lettres – et si peu de l'être.
Georges Bernanos nous le dépeint comme une sorte de dilettante pitoyable et désinvolte, façon de vulgaire journaliste qui se mêle de vouloir écrire sur un phénomène qu'il ne peut absolument pas connaître : à savoir la sainteté.
Antoine Saint-Marin – qui n'a de “saint” qu'une partie de son patronyme –, se retrouvera alors face à face avec un saint de Lumbres totalement inattendu.
Un homme dans le dénuement le plus extrême et qui n'aura pas besoin de “parler” – d'ailleurs il ne le peut pas, les lecteurs comprendront aisément pourquoi lorsqu'ils parviendront à la fin du livre –, pour foudroyer littéralement toute la petitesse et l'âme miséreuse de cet écrivain à succès, de cet homme tiède et minuscule.
La phrase muette qui se manifeste à la toute fin du livre, résonne comme le tonnerre et demeure longtemps clouée dans l'esprit.
Et c'est le silence qui remporte la dernière victoire.

Bernanos aura ces mots sublimes, dans un autre grand livre, “Journal d'un curé de campagne” :
« Garder le silence, quel mot étrange ! C'est le silence qui nous garde. »

Voilà de quoi méditer.

Thibault Marconnet
15/12/2013
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Toute l'expression de la foi chrétienne de Bernanos transpire à chacune des pages qu'accompagnent une plume divine, celle de Bernanos. le personnage central, l'abbé Donissan, un jeune prêtre est face à ses doutes sur sa foi, sa paroisse, la frustration de ses limites de croyant, la tentation. Mais le diable vient à sa rencontre, il le reconnait et ce n'est alors qu'une lutte sans merci. Ce n'est alors que tourment, souffrance, et lutte par la prière. Qui aura le dernier mot ? Arrive, Mouchette, jeune fille au caractère de héro, qui vient sur sa route tel un gage de Dieu, si sensible, si humaine, mais souffrante face à son crime et qui semble avoir échappé aux griffes du démon. L'abbé lui fait avouer son crime, elle se suicide. La lutte de l'abbé contre la présence du diable est à son paroxysme.
Deux personnages parfois ascétique parfois humain pour l'abbé, si entière, si forte en apparence et toujours émouvante pour l'autre, mais finalement au destin si fragile. Tous deux à l'âme incandescente par la présence du démon. Ces personnages qui annoncent en fait dans ce premier roman toute l'oeuvre de Bernanos. Un roman magnifique, un chef d'oeuvre du roman chrétien.
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C'est l'histoire d'un personnage fortement inspiré du curé d'Ars, un prêtre totalement inculte, mais d'une grande humilité, qui n'est pas considéré, voire méprisé, par ses supérieurs, et qui est envoyé dans une nouvelle paroisse. Il y découvre la pourriture morale qui y règne, tente de sauver ses ouailles et fait preuve d'une grande sainteté, mais est soumis à la tentation du Diable. le livre commence par une mention de Paul-Jean Toulet (un poète/romancier peu connu de la fin du XIXème siècle), ce qui a fait couler beaucoup d'encre quant aux inspirations de Bernanos pour rédiger ce roman, qui est particulièrement original, puisqu'il mêle le surnaturel au dégoût de l'existence et du péché.
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