Dans la nuit il rêva qu’il faisait l’amour avec Leonie et qu’Issam les regardait en les menaçant, avec une grande éloquence, de la vengeance d’Allah. Quand il se réveilla il faisait déjà clair et, après s’être tourné et retourné inutilement dans son lit, il décida de se lever. Le soleil était déjà haut mais, pendant la nuit, la température avait baissé, comme il le sentit à l’air froid qui provenait de la fenêtre. Il prit son sac de sport dans l’armoire et, quelques minutes après, il courait à grandes enjambées dans la Tschaikowskistrasse. Il respirait profondément l’air frais du matin qui chassait les fantômes de la nuit.
Naturellement il avait été ému de voir des enfants, les
pieds dans des souliers troués, un fusil qu’ils avaient bricolé à la main, jouer à la guerre alors qu’ils la vivaient tous les jours. Ou bien des jeunes gens, assis à l’arrière d’un camion vétuste, en route vers un camp militaire. Ou encore des jeunes filles dont les mains étaient aussi râpeuses que des mains de vieilles femmes, à cause de travaux trop durs pour elles. Mais il ne voulait surtout pas parler de ça. En tout cas pas ici.
Depuis l’attentat de Paris, la méfiance latente envers les étrangers avait crû jusqu’à s’insinuer dans la vie quotidienne. On la percevait dans des gestes, des regards, à un rejet inattendu et toujours plus évident, aux explosions d’une angoisse hystérique qui était réalimentée chaque fois que les politiques pouvaient s’en servir.
Il fallait qu’il parle à quelqu’un. À quelqu’un qui n’essayerait pas de le calmer comme sa mère ou ce juriste obèse qui le suivait en courant, hors d’haleine, tout en lui assurant : « Ne vous inquiétez pas.Vous vous tirerez de cette histoire avec seulement un œil au beurre noir et vous oublierez bientôt cet incident...
Que deviendrait ce jeune esprit plein d’espoir, riche d’avenir, qui était en train de se désintégrer, de se briser comme du verre ? Jamais plus, il ne redeviendrait comme avant. Toujours il en garderait des traces, des cicatrices.
Des blessures qui ne se refermeraient plus.
Mais avaient-ils une autre solution ?
Cercle polar : Histoires de familles ."La découronnée" de Claude Amoz (Rivages) "La fille de la peur" d'Alex Berg (Jacqueline Chambon) "Savana Padana" de Matteo Righetto (Le dernière goutte) Claude Amoz a le goût des archéologies familiales et des enfances meurtries. Sa nouvelle valse des fantômes, lente et entêtante, est une réussite. L'Allemande Alex Berg orchestre sur le même registre, mais avec un tempo beaucoup plus rapide, la course éperdue de familles brisées par la guerre et l'exil. Quant à l'Italien Matteo Righetto, ce sont les familles mafieuses qui l'inspirent et dont il joue savoureusement, façon Donald Westlake ou Dino Risi. La famille sur tous les tons au menu de ce Cercle polar.
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