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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2023 # 39 °°°

L'ouverture du roman place le lecteur sur le terrain familier d'un polar. On fait la connaissance d'un détective fraichement retraité, Tom Kettle, vivant à l'écart dans un manoir irlandais dont il loue un appartement ; puis de deux détectives en activité qui viennent demander son aide dans le cadre d'un cold case réouvert.

« Cette visite l'avait déstabilisé, troublé, terrifié. Oui, terrifié. Leurs révélations étaient un acte de terreur. (…) le contenu de ces dossiers lui sautait à la gorge avant même qu'il puisse les consulter. »
Mais ce n'est qu'une feinte. Très rapidement, on se rend compte que derrière la troisième personne se cache le point de vue de Tom Kettle. Avec une maestria évidente qui ne craint pas la complexité narrative, Sebastian Barry fait glisser latéralement tout le récit sur ce guide peu fiable, ravagé par d'insupportables traumatismes, à la mémoire friable. Il distille les révélations attendues sur un élastique narratif très laxe, retardant leurs divulgations au maximum.

Tout doucement, on est conduit dans le monde de Tom, ses digressions, ses retours sur le passé, sur un fil instable avec comme seul guide conducteur l'immense amour qu'il portait à son épouse décédée. Son esprit semble en permanence à la dérive entre passé et présent, réel et imaginaire. L'écriture élégante de l'auteur frôle le courant de conscience de Tom alors que ce dernier lutte pour suivre ou éviter ses propres pensées.

Sebastian Barry ne lâche pas pour autant sa trame enquête. On saura en temps voulu tous les tenants et aboutissants du cold case présenté dans le prologue. Mais très clairement, ce magnifique roman va bien au-delà. Son vrai sujet est l'impact d'un traumatisme sur la mémoire, entre déni et honte, puis sa transmission sur les générations suivantes.

Les fantômes de Tom sont très présents et rejoignent les fantômes de l'Irlande depuis la révélation, dans les années 1990, du scandale des abus sexuels commis par des prêtres sur des enfants, dissimulés par l'Eglise catholique. J'ai rarement lu des passages aussi puissants sur l'enfance maltraitée :

« Toutes ces âmes éteintes, plongées comme une bougie dans une mer de luxure. Un océan de luxure recouvrant une lueur qui ne longerait plus jamais le sein brillant de la terre pour éclore de nouveau telle une marguerite, une marguerite au coeur jaune vif, ce soleil d'un nouveau matin. Eteintes et oubliées. »

L'épigraphe est tirée du Livre de Job, un homme juste qui réagit à des épreuves difficiles en restant fidèle à ses valeurs. A mesure qu'il avance, ce majestueux roman devient de plus en plus déchirant, questionnant inlassablement les notions de rédemption, expiation, justice et morale. Il le fait avec une grave compassion et une rage feutrée mais nette.

Malgré la noirceur des propos et la brutalité de certaines scènes, ce magistral roman est illuminé par la seule grâce d'une écriture à l'immense pouvoir d'évocation, par la présence enjoué de Tom ( quel humour ) ainsi que par un hommage à l'amour éternel et sa capacité à éclairer l'obscurité. Assurément splendide.


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Guerre de Sécession, Grande Guerre, main mise de l'Église catholique sur l'Irlande nouvellement indépendante : chaque livre de Sebastian Barry apporte sa pierre à la fresque irlandaise que l'auteur bâtit peu à peu autour de deux familles, les Dunne et les McNulty. Il fait cette fois un pas de côté, n'accordant qu'un rôle secondaire à une Miss McNulty qui fuit son mari pour protéger son fils, et centrant son roman sur Tom, un policier dublinois fraîchement retraité venu lui aussi s'établir dans cette petite ville côtière proche de la capitale, et que le passé, ce « bon vieux temps de Dieu » qui fermait les yeux sur les abus sexuels commis sur des enfants par le clergé irlandais, revient tourmenter.


A 66 ans comme l'auteur, cet homme pour qui les violences, pourtant terribles, rencontrées dans son métier n'ont jamais pu oblitérer celles subies dans son enfance au pensionnat religieux, se retrouve face au vide que, depuis sa retraite, l'activité professionnelle ne remplit plus. Pour ne pas laisser la part sombre de sa mémoire prendre le dessus, calé dans son fauteuil d'osier et la fumée de ses cigarillos face à la capricieuse mer d'Irlande, il s'abîme dans ses seuls meilleurs souvenirs, convoquant volontiers les fantômes de ceux qui firent son bonheur, son épouse June – morte suicidée – et ses deux enfants – décédés à l'âge adulte. Mais le déni le plus résolu ne suffira bientôt plus à le protéger. Ses anciens collègues policiers viennent d'exhumer un dossier remontant aux années 1960 et étouffé depuis trente ans. L'enquête s'intéresse aux abus sexuels perpétrés par deux prêtres dont l'un fut sauvagement assassiné. Et elle vient toquer jusqu'à sa porte.


« S'il s'écoule suffisamment de temps», s'était-il efforcé de se convaincre, « au bout d'un moment, c'est comme si les choses anciennes n'avaient jamais existé. Des choses autrefois fraîches, soudaines et terribles qui finissaient par se dissiper dans ce bon vieux temps de Dieu, comme ces promeneurs qui s'avancent si loin sur Killiney Strand que, lorsqu'on regarde, au bout d'un moment, ils ne forment plus qu'une tache noire avant de disparaître. » Et voilà que soudain, bousculé et terrifié, il est renvoyé à « des ténèbres pleines de crasse et de violence. » « A nouveau, toute cette humiliation. » Extirpé en même temps que Tom des rêves éveillés qui repeignaient la réalité aux couleurs des fantasmes du bonheur, le lecteur se retrouve au coeur du souvenir traumatique, douloureux et confus, affolé de se voir débusqué après avoir si longtemps joué la diversion.


Tom, le garçonnet violenté. June, la fillette abusée. Et tant d'autres dans ces orphelinats catholiques de l'époque, condamnés leur vie durant à porter seuls et en secret le poids de leur humiliation et de leurs souffrances par le déni d'une société corsetée par la toute puissance morale d'un clergé intouchable. Une telle impunité a ici appelé au meurtre. Un acte impensable, et pourtant le seul que le justicier ait trouvé, pour se venger ou pour mettre un terme à la liste sinon toujours croissante des victimes. Car, en ces années 1990 encore, la chape du silence continue à peser, au sein de l'Église catholique mais aussi des familles, les victimes à ce point sans recours que rien n'est par exemple prévu pour les protéger d'un père incestueux. Crime ou suicide : ce sont finalement les seules issues laissées aux malheureux qui ne veulent ou ne peuvent poursuivre leur vie comme si de rien n'était.


Un texte troublant et bouleversant, qui, tout en ambiguïté, tourne avec son personnage autour du non-dit et du déni dans l'effort désespéré de ne pas sombrer d'horreur. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les bons livres de Sebastian Barry ne manquent pas (Y en a t-il un de vraiment moyen ?) mais avec Au bon vieux temps de Dieu, l'intensité de son écriture et son lyrisme douloureux n'ont sans doute jamais été aussi brûlants. On peut y ajouter l'humour, aussi surprenant que cela puisse paraître, dans un roman aussi sombre, mais qui permet de tempérer la noirceur de son sujet. le narrateur, Tom Kettle, policier retraité depuis 9 mois, on va s'en apercevoir assez vite, vit dans le passé et va remonter les stations de ses souvenirs, dans un désordre savamment organisé par l'auteur, et d'une fiabilité plus que douteuse. Il n'empêche, le personnage principal du roman a subi plusieurs deuils successifs, dont celui de son épouse adorée, et que son esprit batte plus ou moins la campagne, alors que la vieillesse l'a rattrapé, n'a rien d'étonnant. Parti sur les bases d'un polar, Au bon vieux temps de Dieu ménage un grand suspense qui ne se dénoue que progressivement mais c'est définitivement le style de Sebastian Barry qui transcende un récit dont la toile de fond est l'épouvantable époque des viols d'enfant par les prêtres irlandais, méfaits commis dans le silence assourdissant d'un environnement social qui savait, peu ou prou. Difficile de dire qu'un livre est splendide, lorsqu'il traite d'un sujet pareil, mais il est pourtant touché par une grâce éthérée, si l'on ose l'écrire ainsi.
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De Sebastian Barry j'ai toujours en tête et au coeur les inoubliables Thomas McNulty et John Cole du merveilleux Des jours sans fin ; vient désormais s'ajouter à ma collection le Tom Kettle qui habite ce nouveau et déchirant roman. J'ai bien envie de dire grand roman mais c'est encore trop commun, il faudrait lui trouver un qualificatif rien que pour lui plutôt que d'utiliser ceux qui ont déjà servi pour d'autres. En tout cas, si on me demande ces jours-ci ce qu'est un grand romancier j'inviterai à lire Sebastian Barry.

"Il prépara un thé si fort qu'il avait la couleur de l'enfer dans la tasse. Un thé de policier, ça vous coulait le coeur dans du goudron". Tom Kettle est un jeune retraité de la police de Dublin. Il coule depuis neuf mois des jours tranquilles dans une petite station balnéaire, ne recherchant pas spécialement la compagnie. Il faut dire qu'il a vu assez de choses au cours de sa carrière, on le comprend. Alors quand d'anciens collègues viennent frapper à sa porte pour solliciter son concours sur une affaire en lien avec l'un de ses anciens dossiers, Tom n'est pas très enthousiaste à l'idée de replonger dans ses souvenirs. D'autant que cela ravive des douleurs plus personnelles dont il est désormais seul à connaître la teneur et les détails. le partage a cessé à la mort de sa femme, June plusieurs années auparavant ; ses deux enfants ont aussi disparu. Tom est seul avec son esprit dont les méandres se font chaque jour plus sinueux et opaques. June et lui avaient en commun des enfances maltraitées en orphelinat, de ces traumatismes que l'on porte toute une vie. Cette histoire de prêtre assassiné qui remonte à la surface provoque chez Tom un mini cataclysme d'émotions et de sensations qui nous sont livrées au rythme des soubresauts de son esprit, dans un formidable crescendo de tension dramatique.

La maîtrise de Sebastian Barry est saisissante, tant dans l'incarnation que dans la construction narrative. le lecteur est invité dans l'esprit de Tom et épouse ses sautes d'humeur, ses égarements autant que ses efforts pour y voir clair. Les certitudes font place au doute, et inversement. le trouble gagne tandis que l'on peine à discerner les vrais souvenirs mais qu'affleure la réalité de la souffrance de Tom. A travers cette histoire déchirante qui prend sa source dans les traumatismes d'un pays entier, l'auteur questionne l'essence d'une vie bâtie sur la souillure d'une enfance détruite, la difficulté de résilience dans une société incapable de réparer les torts causés. La solitude de chaque être humain face à lui-même.

J'ai absolument tout aimé dans ce roman, soufflée par la beauté et la force de l'écriture si enveloppante (merveilleusement rendue par la traductrice), impressionnée par l'orchestration du fil narratif. Sublime, bouleversant, inoubliable.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Après une vie difficile le flic Tom Kettle vit sa retraite le plus paisiblement possible, un peu cloîtré, au contact de la nature dans une banlieue maritime de Dublin. Et ce jusqu'au jour où deux inspecteurs frappent à sa porte pour soulever une vieille affaire à laquelle il aurait peut-être été mêlé. Voilà la trame du livre.
Cette visite déclenche chez Tom une avalanche de réminiscences. Déstabilisé, remué, son passé lui revient en force, comme des bulles crevant à la surface d'un épais magma.
Sa femme adorée est morte, victime comme Tom de la sale histoire irlandaise, à savoir la maltraitance et les abus dont on été victimes tant de jeunes Irlandais de la part du clergé catholique, et ce dans le silence et l'ignorance voulue des autorités.
Ses enfants ont également disparu, on saura peu à peu comment et pourquoi.
Comme dans d'autres romans de Sebastian Barry, Tom s'avère être un beau personnage, meurtri par la vie mais plein d'humanité, sensible, aimant, amoureux du bonheur sous toutes ses formes.
A noter la tenue et la maîtrise de la narration par l'auteur, qui suggère longtemps avant de dire et qui a le sens des détails qui font mouche.
Un livre superbe.
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Tom Kettle, un ancien inspecteur de police de 66 ans, est retraité depuis neuf mois et vit seul dans une petite dépendance du château victorien occupé par Mr Tomelty sur l'île de Dalkey en Irlande. Il aperçoit bien le propriétaire et les locataires de temps à autre mais ne reçoit jamais de visite, aussi est-il surpris lorsque deux policiers se présentent chez lui pour l'entretenir d'une affaire d'abus sexuel au sein de l'église catholique dans laquelle son nom est évoqué.

Une visite qui fait remonter à la surface de sombres souvenirs .
Tom et son épouse, June, ont tous les deux grandi dans un orphelinat et n'ont pas été épargnés par les gestes répugnants des prêtres.

Tom, endeuillé par la disparition de sa femme et de ses deux enfants, puise sa résilience dans ses souvenirs heureux et les visions et conversations qu'il entretient avec les défunts et le vivants parfois.
Nous ne savons jamais très bien quand l'auteur nous emmène dans la réalité, la démence ou le rêve.
Tout se mélange dans une écriture envoûtante qui rend parfaitement l'altération de la mémoire causée par les traumatismes.
Des dommages immuables qui affectent aussi la descendance des victimes.

«Au bon vieux temps de Dieu» est un roman puissant et douloureux qui relate l'épisode honteux des abus sexuels au sein de l'église catholique irlandaise et ses conséquences tout en abordant la solitude qui s'insinue après la retraite et l'éclatement familial.

Je découvre avec ce titre l'écriture incroyable de Sebastian Barry qui m'a immédiatement séduite tant par sa poésie, son symbolisme et son lyrisme gothique dans la description des paysages irlandais que par la profondeur de la psychologie des personnages principaux auxquels on sent qu'il voue une réelle affection.

Une lecture coup de coeur qui me marquera longtemps.
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Aux éditions Joëlle Losfeld, on aborde parfois le genre policier avec un certain bonheur comme à la lecture des romans de Richard Morgiève nous entraînant du côté de l'Utah avec le Cherokee (Joëlle Losfeld 2019) ou du Texas avec Cimetière D'Etoiles (Joëlle Losfeld 2021) au gré de récits d'une intensité peu commune qui pourront déconcerter certains lecteurs de polars qui n'apprécieraient pas d'être un peu bousculé. Cette intensité on la retrouve sans nul doute chez Sebastian Barry, romancier irlandais, mais également dramaturge et poète qui aborde dans son dernier roman Au Bon Vieux Temps de Dieu, le thème de la pédophilie des prêtes en Irlande avec un récit aux allures de roman policier se concentrant autour des souvenirs défaillants d'un policier retraité qui se voit contraint de se remémorer son passé à son corps défendant. Récipiendaire à deux reprises du Costa Book Award, prix prestigieux distinguant les grands auteurs du Royaume Uni comme Salman Rushdie ou Philipp Pullman, Sebastian Barry se distingue dans son écriture de haute volée avec un texte au lyrisme envoûtant, nécessitant une attention particulière pour appréhender la densité de la personnalité de Tom Kettle qui nous entraîne dans les méandres échevelés de ses pensées.

C'est du côté de Dalkey, petit village côtier situé à la périphérie de Dublin, que Tom Kettle a choisi de passer sa retraite en emménageant dans la modeste annexe de Queenstown Castel que le propriétaire, Mr Tomelty, a divisé en plusieurs logements. Ayant perdu sa femme June ainsi que ses deux enfants Winnie et Joseph et hormis ses voisins qu'il croise de temps à autre, cet ancien policier décline sa solitude en contemplant la mer et la faune depuis son fauteuil en rotin délavé. Engoncé dans ses souvenirs, Tom Kettle ne s'attendait pas à la visite de deux policiers venus lui demander son avis sur un ancien dossier d'abus sexuel au sein de l'Eglise en faisant ressurgir ainsi un passé douloureux qu'il tente d'occulter ce d'autant plus que l'affaire a été enterrée. Mais difficile d'effacer les années de maltraitance des prêtre de l'orphelinat et surtout les viols successifs dont June a été victime lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Et ce nom du bourreau qui revient sans cesse : le père Matthews dont on a retrouvé le corps dans les landes. Et tandis qu'un témoin affirme qu'il était présent aux abords des lieux du crime, Tom Kettle passe soudainement du statut de consultant au rôle de suspect.

Avec Au Bon Vieux Temps de Dieu il n'y aura pas à proprement parler d'enquête policière mais une plongée assez immersive dans les pensées de Tom Kettle se remémorant, d'une manière quelque peu chaotique, le courant de sa vie déclinante au seuil de la vieillesse, en convoquant quelques fantômes qui semblent l'accompagner en permanence. Situé à la période des années 90, au moment où une commission d'enquête faisait la lumière sur la situation endémique des abus sexuels au sein des institution catholiques du pays, Sebastian Barry aborde donc ce sujet sensible avec une délicatesse saisissante, en évoquant plus particulièrement cette loi du silence qui protégea les diocèses durant tant d'années ainsi que les meurtrissures des victimes mais également des proches qui ne se sont jamais remis de ces événements tragiques. Il faudra donc tout d'abord dompter ce flot de souvenirs submergeant un Tom Kettle désarçonné dont la raison oscille entre sa projection de la réalité et les faits qu'on lui rapporte tandis qu'il se remémore les circonstances terribles de la disparition de ses proches dont il distingue portant la présence dans ce cadre magnifique de Dalkey que Sebastian Barry dépeint avec la pointe de nostalgie émanant d'un lieu qu'il a fréquenté durant son enfance. Une fois que l'on a dompté le mode de pensée de Tom Kettle, on se laisse littéralement emporter dans le courant de cette écriture au lyrisme envoutant pour s'insinuer au coeur de la trajectoire de ce policier vieillissant qui remet à jour les fragments d'une mémoire défaillante. C'est ainsi que l'on prend la pleine mesure de ce scandale dont Sebastian Barry se garde bien de nous en faire l'étalage sordide pour se concentrer sur la douleur des victimes et de leur entourage en faisant également ressurgir cette colère sourde qui imprègne l'ensemble du texte avec cette certitude foudroyante que rien ne pourra jamais être réparé et dont il ne reste qu'à en faire le compte-rendu pour mettre à jour des décennies de souffrance. Et malgré cette douleur sous-jacente, il émane de ce roman une beauté indicible qui nous saisira tout au long de cette lecture éprouvante s'achevant de manière magistrale sur une scène aux contours surréalistes à l'image d'un récit à la fois flamboyant et mélancolique. Sebastian Barry incarne sans nul doute cette magie de l'écriture.


Sebastien Barry : Au bon Vieux Temps de Dieu ( Old God's Time). Joëlle Losfeld Editions 2023. Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux.

A lire en écoutant : Kol Nidrei, Op. 47 de Max Bruch - Steven Isserlis, Olivia Jaggeurs et Connie Shih. Album : A Golden Cello Decade, 1878-1888: Dvorák, R. Strauss, Bruch, le Beau. Steven Isserlis, Connie Shih. 2022 Hyperion Records Limited.
Lien : http://www.monromannoiretbie..
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Je lis Sebastian Barry depuis ses débuts. Donc, pas d'exception à la règle pour Au bon vieux temps de Dieu, le dernier sorti pour la rentrée littéraire.
Tom Kettle est un inspecteur de police en retraite depuis peu. Il vit dans la cossue vie de Dalkey près de Dublin, dans une annexe d'un château victorien - décor idéal pour voir surgir des fantômes ! Seul. Pas de compagnie à part les voisins et encore. On se dit : han, un grincheux acariâtre qui vit en ermite. On a tout faux ! Tom a été marié et père de deux enfants. Il n'est pas divorcé. Non. Il a eu sa dose de malheur dans la vie. Il est veuf : June a disparu dans des circonstances tragiques. Puis, au niveau des enfants, c'est parti en cacahuète de manière tragique également. Pas gai, hein ?

Tom est seul et donc passe ses journées à ressasser en scrutant la mer et le voisinage. Un jour, ses anciens collègues viennent le voir pour un cold case, une histoire de prêtre retrouvé mort. le passé de Tom remonte encore un peu plus à la surface.

Sebastian Barry utilise le monologue intérieur pour nous plonger dans les tourments de son personnage et celui de l'Irlande. Les scandales qui ont éclaboussé l'Eglise jusque très récemment. Des crimes sur des femmes et des enfants. La quatrième de couverture en dit presque trop à mon goût car on découvre l'horreur de la situation au fur et à mesure et la torture mentale que subit l'ancien inspecteur de police. Celui-ci a tenté le tout pour le tout pour que June vive enfin en paix. En vain.

L'auteur décrit à la perfection les dommages collatéraux d'un drame, des crimes d'une Eglise qui s'est cru tout permis. Sebastian Barry ne s'épargne rien, ne nous épargne rien. C'est parfois très cru. Et parfois on se surprend aussi à sourire car en bon Irlandais, l'autodérision n'est jamais très loin. Une histoire à la fois sombre et lumineuse où les disparus s'invitent par instant dans le monde des vivants.

Un roman émouvant qui prend par instant une allure de thriller. J'ai beaucoup aimé. Je classe ce roman dans les meilleurs que j'aie lus de l'auteur, avec Un long long chemin et le testament caché.
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"Il n'était qu'un vieux policier au coeur gauchi, mais s'il avait su s'y prendre, il aurait aspiré toute cette vue en lui, chaque grain de sel, de sable et de mer, il aurait tout englouti comme cette vieille baleine dans son musée préféré, ou le monstre d'une vieille histoire. Ce bleu et cet autre bleu, ces verts et ces hectares de brume blanchâtre, l'or et l'argent mystérieux de la pluie."

C'est Tom Kettle ce vieux policier. Chaque jour depuis qu'il est retraité, il s'abîme avec délectation dans la contemplation de la baie qu'il aperçoit depuis sa fenêtre, lové dans son fauteuil en rotin où il a élu domicile depuis près de 9 mois "inactif, heureux et sans utilité."

Pourtant sous la placidité apparente de ce soixantenaire solitaire, dans son coeur meurtri et ses souvenirs capricieux se niche une histoire tragique et belle à la fois, d'un amour construit sur les ruines d'une enfance blessée, d'une famille dont ne subsistent que des fantômes.

Quand deux policiers viennent perturber l'isolement bienheureux de Tom pour solliciter son aide dans une enquête délicate, c'est tout un passé enfoui, étouffé, douloureux qui resurgit. Celui de Tom évidemment, mais aussi celui de l'Irlande, de l'Eglise catholique et des abus s*xuels commis par des prêtres sur de milliers d'enfants dans l'impunité la plus totale.

Ainsi Barry nous plonge dans les méandres des pensées de Tom, et nous remontons le fil de ses souvenirs, témoins de sa souffrance, complices de ses égarements, et marqués par la capacité de l'auteur irlandais à dire le mal qu'on peut faire un enfant, de manière définitive. Un mal qui s'enracine et contamine tout le reste.

Malgré toute cette douleur, l'écriture de Barry éblouit par sa capacité à décrire la beauté du monde, les sentiments sincères, l'amour par-delà la mort. Un roman qui joue brillamment avec nos certitudes, dans une construction narrative aussi capricieuse que la mémoire de Tom, écrit dans une langue poétique et tellement sensible. Somptueux!!

Après ma lecture de "Des jours sans fin" et "Des milliers de lune", ce roman confirme mon immense amour pour cet auteur!

Incontournable Barry.
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Sebastian Barry évoque la sale histoire irlandaise, la face noire de la verte Erin, dont on sait maintenant qu'elle a érigé la pédophilie au rang d'un art de vivre, perpétrée au nom de la religion catholique par l'église – le E majuscule ne s'impose pas -, son bras armé et sexué. Commis par des prêtres ou tout ce qui porte soutane, couverts par des « archevêques des saloperies dévastatrices », par des bonnes soeurs faussement niaises avec leur visage lisse stéréotypé de jambon encore intact, protégés par une police complice, des médecins complaisants et une société coupable, les viols à grande échelle ont détruit des générations entières d'enfants, éteint leurs âmes en les plongeant dans une mer de luxure, transformé leurs vies en scènes de crimes, souillé leur innocence, déchiré leurs corps mais vous savez, dit un toubib à une cornette : « Ces fillettes sont délicates, ça se déchire assez facilement, elle s'est peut-être assise sur une brindille » et la cornette réjouie joint ses mains rougies du sang d'innocents pour rendre grâce à son dieu de lui envoyer une si bonne explication.... de nombreux enfants, enterrés à la va-vite dans des charniers ne témoigneront jamais de la barbarie subie Au bon vieux temps de Dieu quand même le plus humble des hommes était légalement un tyran pour les femmes et jeunes filles.


L'auteur donne la parole aux victimes par l'intermédiaire de Tom, fraîchement à la retraite, policier qui a passé sa vie à fréquenter des méchants, c'est dire si sa foi en la nature humaine a été ébranlée ; pourtant, ce sont les souvenirs de son enfance « de progéniture du diable » battu comme plâtre, témoin d'horreurs, et les confidences de son épouse June sur son calvaire entre ses 6 ans et l'âge où risquer une grossesse sonnait la fin de la récréation des monstres, qui le torturent. June, éperdument aimée par son époux et leurs enfants, capable de voir le bon côté dans le moindre événement du quotidien comme autant de perles enfilées sur le collier du temps, a survécu à tout, sauf à sa propre survie.


Trois gestes impitoyables du destin ont arraché de son existence les êtres qu'il aimait le plus, rendant Tom déjà orphelin de père et de mère, orphelin désormais de son ancien bonheur simple et le dispensant à tout jamais de la joie de vivre. Depuis il rumine sa solitude, s'y complaît, ressasse inlassablement des souvenirs qui s'effilochent à mesure que le temps passe, rendant de plus en plus souvent poreuse la ligne de démarcation entre réalité et imaginaire. le roman démarre au moment où deux jeunes policiers consultent Tom à propos de l'enquête réouverte d'un meurtre non élucidé qui a jadis marqué sa carrière. A cette occasion, la mémoire de Tom, stimulée par cette piqûre de rappel, convoque de nombreuses réminiscences mal étiquetées dans les méandres labyrinthiques de son cerveau. Quel crédit le lecteur peut-il accorder aux souvenirs de Tom ? Reflètent-ils l'exacte réalité, ou l'ont-ils enjolivée ou amputée ? Où se situe la vérité ?


Les mots me manquent pour parler de ce roman à la beauté tragique, à la puissance rarement égalée, au style hypnotique sous l'élégance et la pudeur duquel couve la fureur de l'auteur. Sebastian Barry rend hommage à d'anonymes victimes d'un crime d'Etat, dont les cris nous parviennent par l'entremise de la mémoire défaillante d'un homme à l'automne de sa vie. C'est beau, c'est grand, c'est mélancolique... A lire absolument.
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