DEUXIÈME PARTIE.
À COMBIEN L’AMOUR REVIENT AUX VIEILLARDS.
Depuis huit jours, Nucingen allait marchander la livraison de celle qu’il aimait, presque tous les jours, dans l’entresol de la rue Neuve-Saint-Marc. Là trônait Asie entre les plus belles parures arrivées à cette phase horrible où les robes ne sont plus des robes et ne sont pas encore des haillons. Le cadre était en harmonie avec la figure que cette femme se composait, car ces boutiques sont une des plus sinistres particularités de Paris. On y voit des défroques que la Mort y a jetées de sa main décharnée, et on entend alors le râle d’une phtisie sous un châle, comme on y devine l’agonie de la misère sous une robe lamée d’or. Les atroces débats entre le Luxe et la Faim sont écrits là sur de légères dentelles. On y retrouve la physionomie d’une reine sous un turban à plumes dont la pose rappelle et rétablit presque la figure absente. C’est le hideux dans le joli ! Le fouet de Juvénal, agité par les mains officielles du commissaire-priseur, éparpille les manchons pelés, les fourrures flétries des Messalines aux abois. C’est un fumier de fleurs où, çà et là, brillent des roses coupées d’hier, portées un jour, et sur lequel est toujours accroupie une vieille, la cousine-germaine de l’usure, l’Occasion chauve, édentée, et prête à vendre le contenu, tant elle a l’habitude d’acheter le contenant, la robe sans la femme ou la femme sans la robe ! Asie était là, comme l’argousin dans le B agne, comme un vautour au bec rougi sur des cadavres, au sein de son élément ; plus affreuse que ces sauvages horreurs qui font frémir les passants étonnés quelquefois de rencontrer un de leurs plus jeunes et frais souvenirs pendus dans le sale vitrage derrière lequel grimace une vraie Saint-Estève retirée.
Découvrez les personnages de la Comédie humaine De Balzac à travers 4 vidéos produite par la Maison de Balzac : Eugénie Grandet, Eugène de Rastignac, le Baron de Nucingen et Vautrin.