"Il faut me croire. de là où je vous parle, les mensonges et les faux-semblants ne servent à rien." C'est la première phrase du livre et je la fais mienne pour vous dire d'abord que je suis honteuse de ne pas avoir connu la situation dramatique de Mayotte avant de lire ce magnifique livre, ensuite que ce livre est une véritable bombe. Il a l'air d'un simple livre comme ça, mais quand vous l'ouvrez c'est toute la violence de Kaweni/Gaza, le plus grand bidonville de France, et l'écriture fulgurante de
Nathacha Appanah qui vous explosent à la figure.
Premier chapitre, ultra efficace, on parcourt la vie de Marie à la vitesse d'un train express, les années se succèdent et parcourent un sillon semble-t-il déjà tracé. Par un procédé que j'ai trouvé ultra original (mais je ne suis pas spécialiste es-style) Marie s'efface pour laisser place à son fils Moïse. Pour Moïse, c'est la même écriture qui fait mouche, qui nous projette dans le corps du narrateur et qui nous montre le monde par ses yeux avec une efficacité remarquable. Moïse nous parle un peu puis cède la parole à Bruce, puis à Olivier, puis à Stéphane.
Ces cinq personnages nous éclairent sur la situation de Mayotte. En 1974 Mayotte a choisi par référendum de rester française, mais sa situation actuelle est loin d'être comparable à celle de la métropole : grande pauvreté (selon des chiffres que j'ai trouvé sur internet, 84% des habitants vivent en-dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 27,1%), bidonvilles, forte migration clandestine, violence, insécurité, le cent-unième département français semble être complètement abandonnée à son sort avec une grande hypocrisie.
Sous la plume magique de l'auteure, Moïse, l'enfant arrivé en kwassa (embarcation de fortune) dans les bras de sa mère sur la plage de Bandrakouni, l'enfant atteint d'hétérochromie, l'enfant confié à Marie, symbolise à lui seul ce "
Tropique de la violence". Il est le djinn qui porte malheur (un oeil vert), le kwassa qui amène les clandestins depuis les autres îles des Comores ou Madagascar, le noir qui vit avec les Muzungus, le gamin perdu qui s'attache aux mauvaises personnes, il est le Mourengué et son absence de règles, il est la victime, il est le bourreau, il est la violence.
Comme j'aime être cueillie à ce point par un livre comme je l'ai d'abord cueilli au hasard des allées de la librairie, attirée sans doute par la photo de ce jeune homme à l'air si libre qui s'envole dans un ciel moucheté de nuages pour un plongeon vers... ? Lisez-le, vous plongerez aussi, mais gare à la réception, ce qui vous attend est puissant, bouleversant et il faudra remonter...
Glossaire disponible en fin de livre :
Mourengué : Combat ancestral à mains nues.
Muzungu : Étranger.