Mille fois mieux que la rentrée, il y a la rentrée littéraire et ses promesses qui s'étalent sur les rayonnages des librairies, ces romans qu'on attend et ceux qui nous surprennent. Ces auteurs dont on aime retrouver la plume, l'univers même si parfois c'est avec la crainte chevillée au corps, une pointe d'appréhension et le ventre qui se noue un peu.
Depuis "
Les Impatientes", j'avais envie de renouer avec
Djaïli Amadou Amal, non sans crainte. Ses "Impatientes" m'avaient laissé une telle sensation de colère, de révolte, de malaise; elles m'avaient tellement cognée, brutalisée, retournée le ventre que je me sentais hésitante à l'idée de replonger dans l'oeuvre de "la voix des sans-voix"... Jusqu'à "
Coeur du Sahel" qui trônait là sur la table de la librairie, qui semblait m'attendre.
Alors que "
Les Impatientes" se penchaient sur les épouses à l'ombre des concessions de l'Afrique Sahélienne, "
Coeur du Sahel" en raconte les domestiques avec la même acuité, le même réalisme, la même sensibilité et la même révolte.
Tout au nord du Cameroun, le changement climatique a déjà amorcé sa révolution meurtrière et les sécheresses sont de plus en plus longues et fréquentes. Au nord du pays toujours, un autre fléau sème sur son passage la mort et la désolation: Boko Haram. Peu à peu alors les villages se vident ou se meurent, les jeunes s'en vont tandis que les parents peinent à nourrir les petits, à les tenir à l'abri du vent brûlant et de la barbarie des fous de dieu...
Faydé a quinze ans et décide un jour de quitter à son tour le village et sa famille. Elle veut rejoindre Srafata et Bintou à Maroua, plus au sud pour y devenir domestique dans une concession et gagner de quoi aider sa famille.
Le roman de
Djaïli Amadou Amal s'attache alors aux pas et au quotidien des trois adolescentes qui doivent trimer comme des esclaves dans des foyers au sein desquels elles subissent maltraitance, insultes, viols parfois, mépris de classe toujours. Ni peules, ni musulmanes, issues d'ethnies différentes et de milieux plus que modestes, elles ne sont rien (et moins encore que cela) pour meurs employeurs fortunés, sûrs de leur supériorité et de leurs bons droits. Au-delà de nous raconter d'une plume précise, sèche, faussement simple les trajectoires de ses personnages et plus particulièrement de Faydé dont c'est la voix qui s'élève, vibrante, extrêmement touchante, l'auteure nous livre aussi une chronique puissante, un tableau bouleversant de la vie dans cette zone d'Afrique, de ses femmes en particulier auxquelles rien n'est épargné, ni la violence, ni la souffrance.
"
Coeur du Sahel" est à l'image des "Impatientes" un roman puissant, engagé et dont on ne sort pas indemne mais s'il est un peu plus doux parfois, même s'il n'est pas exempt d'une lueur qui après des passages d'une cruauté inouïe et qui confine à l'insupportable ne fait pas de mal, bien au contraire.
Un roman comme un cri de colère et de révolte qui hurle les amours qui se brisent et la tragédie de naître femme, qui défend -oriflamme qui claque au vent- la nécessité de l'éducation, qui fustige au passage l'hypocrisie et le patriarcat, l'injustice et les non-dits et toutes les violences qu'ils charrient comme un fleuve en fureur.