La flèche de Dieu reprend le thème de la confrontation, le choc entre deux visions du monde qu'a imposé la colonisation du sud-est du Nigeria. Ce sujet occupe déjà toute l'attention de
Chinua Achebe dans son roman de référence, Things fall apart (éd.Heinemann). le traitement est cependant tout autre et à mon avis beaucoup plus riche dans le texte qui fera l'objet de notre analyse.
Le contexte
Nous sommes dans l'entre-deux-guerres dans une contrée rurale igbo sous administration coloniale. Les britanniques accentuent peu à peu leur emprise sur les populations de la région par, à la fois, la progression rampante de la christianisation d'une frange de certains clans, la mise en place d'une nouvelle organisation sociale dont les premiers à investir l'espace possèdent de fait une longueur d'avance sur les autres et, enfin, la création de chefferies montées de toute pièce en milieu igbo connu pour l'éparpillement et l'autonomie de ses différents clans.
Les personnages
Il m'est difficile de produire cette chronique sans faire référence à son premier roman. Ma lecture s'est effet faite en opposant les deux romans. Deux figures dominent
La flèche de Dieu. Ezeulu le prêtre de la divinité Ulu, leader spirituel du clan, est décrit avec minutie par
Chinua Achebe. Son univers, sa famille, son ami Akwebwe expliquent un homme ancré dans un savoir ancestral mais qui est en même temps le père polygame d'une grande famille. Comme, dans son premier roman,
Chinua Achebe n'enjolive pas le personnage. Quoique respecté, ses relations avec son entourage ne sont pas parfaites, faites de rupture générationnelle, de gestion de situations triviales au sein de sa famille : jalousie, rivalités, incompréhensions. le lecteur s'amusera à aimer cette figure austère mais ô combien attachante. C'est aussi un homme rancunier qui rejette les divisions dans lesquelles son clan s'enfonce. Ses choix sont contestés et suscitent des controverses. Comme, par exemple, le fait d'envoyer son enfant au catéchisme anglican, avec le projet d'avoir un oeil à l'intérieur du système qui se met en place et qui bouscule les valeurs de son groupe. Mais, à l'image des vieux du village, chargés de l'oralité qui leur donne une longueur d'avance sur beaucoup, il est difficile de lire dans le jeu d'Ezeulu. C'est un personnage visionnaire qui veut comprendre ce qui se passe. Contrairement à Okwonkwo qui n'a pas les outils d'interprétation. On me dira que les périodes ne sont pas les mêmes. A raison. La seconde figure de ce roman, quoique moins présente est celle du capitaine Winterbottom, administrateur colonial de la contrée. Homme solitaire. C'est un homme de terrain, droit dans ses bottes, peu enclin aux compromissions de toutes sortes. Autour de lui, se forme un jeune administrateur anglais. C'est le monde très restreint du cercle colonial que décrit
Chinua Achebe par son biais.
Le propos de
Chinua Achebe
Ce roman est intéressant parce qu'il complète le propos déjà très nuancé d'
Achebe dans le monde s'effronde. La force de son écriture est là. Il n'y a pas les méchants colons d'un côté et des autochtones dociles et écrasés de l'autre. Winterbottom et Ezeulu se ressemblent beaucoup en dépit d'un rapport de forces disproportionnées les opposant. Leurs solitudes se ressemblent. Leurs capacités à se projeter en avant aussi. Ezeulu m'interpelle par ses travers et la farouche colère qui le ronge quant aux divisions profondes qui détruisent les clans dont il a la charge spirituelle. Il a une hauteur d'âmes qui lui permet de résister à la séduction du pouvoir que les européens veulent lui donner. Mais, il ne lâche rien concernant les membres de son clan, décidé à les faire plier par tous les moyens à la logique du rassemblement.
Ezeulu offre par sa perspicacité, sa lucidité et sa spiritualité, un cheminement plus intéressant qu'Okonkwo dont le suicide est symptomatique de l'abdication de nombre d'élites africaines face à une confrontation culturelle, économique, militaire avec l'autre. le final laisse toutefois songeur et réduit l'optimisme du nigérian. Ulu a le dernier mot. La dernière flèche du dieu frappe celui qui les décochait en son nom. Mais, on se demande si
Achebe y croit vraiment. Une réflexion très riche, portée par ce parler imagé, chargé de paraboles et de proverbes employés dans les fameuses joutes verbales si passionnantes pour ceux qui y ont encore accès.
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