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Ejo

Un recueil de nouvelles qui ne raconte pas l’histoire du génocide rwandais, mais parle un peu de l'”ejo”, l’avant, ce qui s’est passé dans les années précédentes, et beaucoup de l'”ejo”, l’après cette fois, la survie, la résilience, la solitude, la culpabilité. Ces nouvelles s’articulent autour de l’histoire de quelques femmes, celles qui sont restées et celles qui sont parties. Elles sont écrites avec délicatesse, parfois crues et dures, mais jamais en s’apitoyant. Une belle narration autour de ce magnifique mot kinyarwanda, ejo.
Lien : https://redheadwithabrain.ch..
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Les maquisards

J’avoue avoir eu peur de la généalogie sur plusieurs générations, en ouverture du roman « Les maquisards » d’Hemley Boum, avec des mentions « géniteur » et « père », peur qui s’est vite évanouie à la lecture.

Parce qu’en fait, ce qui est présenté avec subtilité et intelligence, ce sont les distances prises par les jeunes femmes envers les traditions et les coutumes familiales et/ou sociétales. Officiellement, elles doivent se marier avec l’homme choisi, mais, ou bien leur cœur les a conduites auparavant vers l’amour né de l’amitié, ou bien un viol doit être déguisé en naissance reconnue par le père et non le géniteur ou bien la mère écœurée par la polygamie, revient ensuite auprès de son mari, avec le bébé d’un autre.

Les amours enfantines d’Esta et d’Amos, les amours adolescentes de Muulé et de Likak, fondent le roman, en nous présentant des femmes fortes, choisissant leur destin, et prêtes à tout pour se défendre. Maitresses femmes bravant les croyances obsolètes, et pourtant toujours en décalage dans leur maternité, comme si même les enfants de l’amour ne les intéressaient absolument pas, et que les problèmes étaient résolus par les grand mères ou qu’elles ne pouvaient se permettre le luxe d’aimer avec emportement l’enfant d’un autre que le mari.

L’enfance africaine déguisée de Gérard Le Gall, fils d’un gros porc appelé le porc,si imbu de sa puissance de blanc qu’il ne pense pas nécessaire d’apprendre la langue et n’imagine pas un instant que les phrases tendres dites à son sujet devant lui sont en fait des insultes, fait le contrepoint dans ce Cameroun des années précédant l’Indépendance.

Le père trousse sans vergogne toutes les petites.

Et ne voit pas le bonheur de son fils à jouer en haillons dans la boue, aidé à se rhabiller par tout le village lors de son retour. Là encore la filiation n’est pas synonyme d’accord et de points de vue similaires.

Père et fils seront toujours ennemis.

Le Cameroun n’est pas véritablement une colonie, mais un codominium entre la Grande Bretagne et la France après la défaite de l’Allemagne en 1919, dont le sort est confié à la SDN puis aux Nations Unies.

La France veut justement non seulement en faire sa colonie, mais aussi garder le pouvoir, même après l’Indépendance.

Arrivent alors les maquisards, dans le pays bassa, au Sud du Cameroun proche du littoral, en premier Mpodol, Ruben Um Nyobé, une figure connue, et sans doute le seul historiquement reconnaissable, non violent ; il visite pour exposer la cause les divers endroits du pays, dont lui, à la différence de Le Gall, maitrise toutes les langues.

Il rencontre dans le maquis Amos, son meilleur ami, Likak, fille d’Esta et d’un père inexistant, puisque Esta a dû se marier et avoir un enfant … pour être reconnue comme guérisseuse initiée du Ko’ô. Et enfin Muulé, parti en France pour la défendre durant la seconde guerre.

Mpodol, le porte-parole, Amos, Likak paraissent très déterminés dans leur volonté d’obtenir l’Indépendance, en fondant l’UPC, l’Union des populations du Cameroun.

« La lutte armée est sans espoir, nos partisans sont des commerçants, des paysans, des gens ordinaires, pas des guerriers. Quel choix avons-nous ? »

Muulé le dragueur ne semble pas aussi résolu, ses études en ont fait un intellectuel à qui la France promet le pouvoir, dans le but de le transformer et le faire finalement s’allier au pouvoir colonial. Ce sera pourtant lui le martyr des forces militaires françaises.

Parallèlement à cette présentation du pays bassa au moment de l’Indépendance, Hemley Boum tisse la généalogie d’un village dont l’auteur nous livre très attentivement les pensées et le destin, avec un souci du détail, de la psychologie et de la nuance.

La fable de La Fontaine «  le chêne et le roseau » si on la rapporte à la condition des paysans forestiers camerounais des années 50, habitués à la splendeur vitale des arbres, -bien que critiquée par Esta la rebelle- illustre la « force des femmes d’Afrique qui portent le monde sur leur dos » : Nous sommes des chênes, et nous ne ploierons pas.

Ce qui me semble le plus remarquable dans «  les Maquisards », réside dans la nuance des sentiments, des croyances, la tiédeur de l’instinct maternel, et, aussi, puisqu’il est question de révolution, des trahisons toujours possibles.

Rien n’est blanc, rien n’est noir.



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Les maquisards

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les Maquisards est tout autant une saga familiale qu'un livre militant. Le discours politique est toujours présent, parfois en toile de fond, mais les maquisards est beaucoup plus qu'un livre politique, qu'un plaidoyer pour l'indépendance. On suit en détail l'histoire de plusieurs familles, toutes engagées dans le combat pour l'indépendance du Cameroun, mais l'essentiel du récit parle de la vie au village, des relations entre les personnages, des histoires d'amour plus ou moins couronnées de succès. Il nous explique comment les traditions permettent de conserver la cohésion du village, mais aussi comment elles peuvent peser sur la vie de ceux qui pensent différemment : "Notre société n’a aucune sympathie pour ceux qui se singularisent comme tu le fais".



Certains personnages sont très marqués, comme Ruben Um Nyobè, alias Mpodol, le leader apôtre de la non-violence (à noter d'ailleurs que Ruben Um Nyobè a réellement existé et qu'il était à la pointe du combat pour l'indépendance), ou Pierre Le Gall, le colon qui ne connait que la brutalité, ou encore Soeur Marie-Bernard, qui pratique la charité chrétienne au quotidien. D'autres sont plus complexes, tels Amos, Likak ou Muulé, il faut dire qu'ils sont soumis à de nombreux dilemmes. Comment réagir quand la France leur propose d'être le représentant de la région bassa ? L'auteure nous dit :

"L’occupant avait une méthode parfaitement huilée et efficace pour maintenir le peuple sous sa coupe. Il choisissait un nombre réduit d’indigènes à qui il attribuait des pouvoirs afin de maintenir ou de transformer les réseaux d’intérêts locaux. Le peuple subissait le double joug des colons et de leurs propres chefs."

Comment doivent réagir ceux qui sont approchés par le pouvoir colonial ? Accepter pour essayer d'influer sur la politique camerounaise au risque de devenir complice des colons ? Refuser et devenir leur ennemi, voire leur cible, et risquer de voir un pantin accepter la place ?



Le roman parle beaucoup des relations humaines et des dilemmes que vivent les militants, car l'attitude au jour le jour ne dépend pas que des convictions politiques. Ça m'a rappelé l'attitude des Français durant l'occupation, il y a eu des héros qui se sont sacrifiés, des gens qui ont joué et souvent perdu leur vie, mais aussi des gens qui ont parfois aidé l'occupant lorsqu'il y trouvaient un intérêt. Dans les maquisards on parle aussi de sacrifice et de trahison, et cela n'a rien à voir avec les convictions. Donner un résistant aux autorités coloniales peut être un moyen de régler un problème personnel, et ce pour la plus grande joie desdites autorités.



A un certain moment le discours est un peu idéaliste :

"La défaite des braves a permis à l’occupant de répliquer l’exemple camerounais, de mettre ses sbires au pouvoir de la nouvelle Afrique « indépendante », s’en sont suivies des décennies de pauvreté, de corruption qui durent encore."

Ce n'est pas si simple, la pauvreté et la corruption ne sont pas le seul fait de la post-colonisation, et c'est beaucoup trop facile de tout mettre sur le dos de l'ancienne puissance coloniale. L'indépendance n'est pas la garantie d'un gouvernement "propre" et certains leaders du combat indépendantiste ont débarrassé leur pays de l'autorité coloniale uniquement pour en devenir les dictateurs (Robert Mugabe au Zimbabwe, Isaias Afwerki en Érythrée, Sekou Touré en Guinée ...).



Les maquisards est un livre bien écrit, agréable à lire, et qui nous dit beaucoup sur les traditions du Cameroun et sur ce qu'était le combat contre le colonialisme à la fin des années 1950.
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