Présentation par Eric Amon de son dernier ouvrage "L'Eveil des Chimères" Leha Editions
Ce sont de curieuses petites choses, les mots, quand on y pense. Toute la vie durant, nous tâtonnons dans la grande nuit, sans nous rendre compte de ce que nous leur devons. Ils font partie du décor. Ces petites perles de verre apparemment insignifiantes dédoublent le monde, et qu'on en soit conscient ou non, bien souvent le détournent. Plantés dans le mauvais terreau, les voilà qui se font les germes du malheur. Mais peut-être aussi, quand on parvient à en user correctement, avec force prudence et circonspection, permettent-ils d'affiner notre vision des choses et ainsi d'irriguer le monde et les êtres en retour. Sans eux, la confusion, la cécité, l'errance sans queue ni tête au cœur de ténèbres sans nom. Avec eux, quelques fragments de clarté. Parfois.
L'humanité a toujours été très inventive dans ses tentatives de faire passer la stupidité superstitieuse pour de la connaissance.
« [...] Au commencement étaient les Monstres, dit l’Anthrope, et puis nous sommes venus.
Au commencement était la Paix, disent les Chimères, et puis les Anthropes sont venus. »
Parce que c'est aussi ça le paradoxe de la nature fabuleuse : pendant que les êtres de l'ancien temps s'étaient retrouvés dans l'imagerie populaire réduits à l'état de monstres dégénérés et malfaisants, les humains exceptionnels, dans un mouvement inverse de balancier, s'étaient vus, eux, élevés au rang de mythes et dotés de qualités surhumaines. Combien de roi prétendaient descendre de tel animal mythique et combien de héros légendaires ?
Le chant permettait à la fois la focalisation et le déploiement de soi-même. Ressentir les fils immatériels dont est tissée la nature et qui nous relient à elle. Au cours de ma retraite, j’avais fini par croire que le bruissement mystique du monde s’était totalement tu, alors qu’en fait, c’est moi qui étais progressivement devenu sourd à sa musique ténue. Se réaccorder, modestement, à la pelote ondoyante de l’univers.
Qu’est-ce qui fait le monstre, au fond ? Les cornes, les plumes, les écailles, ou bien la manière d’agir ?
Le surnaturel existe, proclame-t-elle, les contes et les légendes sont vrais, au moins en partie. Quelque part sans doute loin des regards des humains, des êtres fabuleux vivent leur vie, attendant peut-être qu'on les redécouvre.
L'amour, c'est ce laps d'éternité où deux bouts de bidoche se découvrent une aptitude au rêve.
Difficile, d’ailleurs, de faire la part des choses entre la vérité historique et la fantaisie purement imaginative, tant, chez les anciens chroniqueurs, la rigueur de l’historien le dispute à l’enthousiasme exubérant du fabuliste.
Hélas, trois fois hélas, le temps des Miracles était révolu. Les titres n’avaient plus de sens. La terre même ne résonnait plus de la même manière. La vibration bruissante de la nature s’etait tue, l’on ne pouvait plus en jouer comme d’une subtile musique. Le monde se refroidissait et l’on courait à la ruine. La morsure de l’entropie, voilà ce qui me rattrapait, voilà ce qui allait me faucher. Insondable tristesse à l’abord de la fin des temps.